Analyse du mouvement de l’automne 2010 : 2 ANALYSE D’UN CONFLIT INEDIT » Vu du monde cheminot

mardi 2 novembre 2010.
 

Les grèves ont cessé dans les secteurs en préavis reconductibles (SNCF, Raffineries, Ports, Energies, Poste, fonction publique …) ainsi que dans les autres poches résistantes du pays. Après 18 jours de mobilisation, il apparaît difficile de tirer un bilan honnête de tout çà en s’appuyant uniquement sur la seule conclusion de l’échec de la rue face au vote de la loi.

Le plus dommageable en tant que syndicaliste est d’avouer que nous n’avons pas réussi à faire circuler assez largement dans nos rangs l’idée pourtant évidente que le mouvement en présence dépasse la seule question de la réforme des retraites... A l’aube d’une crise monumentale de la « rigueur-décrétée » en France, conséquences des marges de contraction de l’économie partout en Europe, s’annoncent surtout pour les travailleurs des lendemains bien difficiles. Cette appréhension que nous devions transformer en mobilisation n’a jamais, malheureusement, assez fait son chemin dans le monde du travail pour attenter rapidement à l’économie et faire reculer l’UMP, syndicat du MEDEF.

« Les cheminots ne sont plus la locomotive sociale » Car il est limpide que ce conflit est clairement devenu au fil des jours une grève de militants interprofessionnels représentant le noyau dur des travailleurs en colère partout dans ce pays. Le point d’encrage national résidait à la vue de tous dans la détermination des raffineurs pétroliers reprenant fermement la relève des cheminots, désormais fatigués et démoralisés après la casse accélérée de leur entreprise et 150 ans de luttes continues harassantes.

Le droit de grève dans ses formes ancestrales est en danger… car de toute évidence, les attaques incroyables invoquant la « sécurité nationale » et décrétant la réquisition des salariés grévistes ont témoigné de la détermination autocratique de nos gouvernants jouant toutes leurs cartes. On peut regretter que ces affaires soient restées sans réelles réactions et trop confinées au silence par les médias et les milieux militants ; les risques de banalisation de la chose à l’avenir sont il faut le dire très inquiétants…

Pour autant, les leçons tirées de ce conflit nous permettent désormais d’avoir un compte exact des forces disponibles en présence dans le paysage contestataire. Et la véritable participation de ce mouvement à la refondation de l’Histoire sociale vient assurément de l’abandon nécessaire et évident de l’illusoire mythique « grève générale » affaiblissant la réflexion car trop portée comme objectif ultime et immédiat de la révolte !

Il est sur que ce conflit social sera, en ce sens, le grand déclencheur d’une prise de conscience unanime du niveau de frilosité et de terreur du salariat dans un contexte de précarisation extrême, grandissant, effrayant.

« L’outil à présent dépassé, place à l’imagination ! »


Blocages : « une idée qui circule »------- Devant ce constat, est apparue d’elle-même l’ambition florissante d’une grippe décidée de l’économie déguisée en désorganisation du pays pour entourer les temps forts du mouvement. La spontanéité incroyable de l’adoption de certaines formes de luttes adaptées à ce nouveau monde fut impressionnante. Au menu : débrayages à la carte dans beaucoup d’entreprises, grève de 3h59, 59 minutes, 24h, ou reconductible, actions de blocages des ressources pétrolières, des ports, des camions livreurs, des dépôts de bus, des zones industrielles, des déchetteries, des rues ; opérations péages gratuits, rassemblements spontanés, interruptions de diffusion de chaînes de radio publics, diffusions de tracts éclair, occupation temporaire d’entreprises etc… Tout ça laisse entrevoir les moyens d’ ’action qu’ont désormais choisis les jeunes générations pour ériger les barricades sociales de demain.

La question des suites possibles et prochaines du socle social contestataire dépendra ainsi certainement de la capacité des travailleurs de tous bords et notamment des grands bastions de militants (comme les cheminots) à rebondir énergiquement sur ces idées et à s’organiser en conséquences. On a d’ailleurs vu certains syndicats (CFDT - CFTC) s’inscrire parfois fortement dans ce mode d’action, débordant par leur gauche les directives officielles de leurs confédérations, jamais habituées à de telles « folies ».

La Solidarité a été incroyable ! Qui, de mémoire, est capable de d’évoquer une telle effervescence citoyenne canalisée autour d’un même enjeu de société ? La part d’opinion publique favorable au mouvement (autour de 70% de la population) a dépassé tous les records imaginables. Les nombreuses journées de manifestations ont rassemblé sans jamais fléchir une masse de mécontents chiffrée exceptionnelle. Les appels aux dons de soutiens pour les grévistes se sont multipliés partout dans le pays, émergeant de façon naturelle comme le témoignage d’une réelle empathie pour le travail syndical. Indice fort, le nombre de nouvelles adhésions à la CGT pendant cette période a dépassé les 60 000 (+8 % d’augmentation !). On a constaté éclore sur les piquets de grève une volonté citoyenne latente de se rencontrer, se mélanger, évoquer ses conditions de vie réciproques et contester ensemble l’avenir qu’on nous promet. Plus symptomatiques, la réception d’innombrables témoignages de soutiens des fédérations syndicales étrangères, suivis par les faits des premiers actes historiques de cohésion, entrepris par des salariés Belges qui ont décidés de bloquer 2 raffineries aux frontières, par solidarité ouvrière, au 14ème jour du conflit...

« Le réel objectif de la réforme »

Ne soyons pas dupes, au regard des soi disantes économies budgétaires que représente la réforme des retraites, (autour de 5% des déficits publics ), les objectifs financiers de la réforme apparaissent ridicules en comparaison de l’objectif de désendettement express de l’état. (110 Milliards en 4 ans / Retraites = 4 Milliards par an …) De deux choses l’une : Soit le gouvernement se fout de la gueule du monde avec ses objectifs de réduction du déficit budgétaire ; soit le recul des droits sociaux impliqués par la réforme des retraites est totalement disproportionné au regard de l’objectif financier. …En fait, la volonté était surtout d’envoyer un message de pénitence aux agences de notations indiquant que la France s’engagerait bien sur la voie de la régression sociale et de la baisse globale du niveau de vie de sa population, condition sine qua non pour que les oligarchies financières et les détenteurs du capital puissent continuer à s’enrichir dans un contexte de stagnation économique.

Mais voila, le peuple français vient audacieusement d’engager une nouvelle fois aux yeux du monde sa volonté de réaffirmer son autodétermination !Au moment de l’annonce d’un nouveau traité européen qui officialise les plans de rigueur, dépouille les états membres de leur pouvoir économique, supprime le droit de vote aux pays jugés « dans le rouge », notre pays a su une fois de plus renouer avec sa tradition identitaire de contestation… La même qui fit surgir la révolution française et son influence sur nos voisins ; le socialisme de lutte et la république sociale, la commune de Paris, le Front Populaire, la Résistance , le programme du CNR, les grandes grèves de Mai 68, celles de 95 et plus récemment le refus du traité ultra-libéral constitutionnel et de l’idéologie du CPE …

Même si la réforme est votée, maintenue, applicable…, nous avons indiscutablement gagné cette bataille, avis aux amateurs ! L’ordre du jour est au maintien de ce climat ! Quelque chose est en marche … …

De : Eliptic


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