Fiscalité des riches, Europe, médias... Interview de Jean-Luc Mélenchon

samedi 30 octobre 2010.
 

Pour« L’opinion indépendante », Christian Authier : « Parmi les propositions de votre « révolution citoyenne », vous préconisez une imposition à 100 % des revenus dépassant 30 000 mensuels. Est-ce réaliste ? »

JLM : Oui, sinon je ne le proposerais pas. Cette idée est construite sur le modèle de la revendication européenne des syndicats qui envisage qu’il n’y ait pas un écart de salaire supérieur à un rapport de un à vingt, de sorte que le meilleur salaire ne puisse augmenter sans entraîner à la hausse le plus bas. Sur ce modèle, je propose un revenu maximum qui nécessiterait la création de plusieurs tranches d’imposition supérieure. Je rappelle qu’aux Etats-Unis, jusqu’à Reagan, le taux d’imposition maximum s’élevait à 90%… Il est donc réaliste d’envisager une telle mesure. Elle contribuerait à la définanciarisation de l’économie française. De plus les dépenses des ultra-riches sont les plus irresponsables écologiquement et socialement.

C.A : « En 2007, au premier tour, les ouvriers avaient autant voté pour Sarkozy et Le Pen que pour l’ensemble des candidats de gauche. Pensez-vous que la gauche peut reconquérir l’électorat populaire ? »

Elle a vocation à être la représentation politique des ouvriers et des salariés qui constituent plus de la majorité de la population active, mais la gauche a toujours dû se battre pour conquérir les cœurs et les consciences. Il lui faut partir des préoccupations et des intérêts sociaux de ces catégories. Si la gauche a tant perdu parmi elles, c’est parce que son action n’a pas répondu à ce devoir.

C.A : « la gauche a été au pouvoir quinze ans depuis 1981. Quelle est sa responsabilité dans la situation que vous décrivez dans votre livre ? »

Elle n’a pas mené la bataille des idées comme la droite l’a fait sans complexe. Ensuite, les socialistes se sont progressivement alignés sur l’orientation libérale de l’Europe qui ne mène nulle part. Pour autant, il serait ridicule de ne pas se rendre compte que les grandes conquêtes sociales des trois dernières décennies sont dues à la gauche, notamment la retraite à soixante ans.

C.A : « Sur le plan économique, vous préconisez une relocalisation des activités. Cela passe-t-il par une certaine dose de protectionnisme ? »

Evidemment. C’est le libre-échange actuel qui est déraisonnable et irresponsable. Il aboutit à un nivellement par le bas des conditions sociales des travailleurs. L’exemple de Ryan air le démontre encore : le patron irlandais ferme son entreprise en France, mais garde ses lignes aériennes au motif que les droits sociaux des Français sont plus élevés que ceux des Irlandais…

C.A : « A propos de l’Union européenne, vous dites qu’elle fomente un « grand marché transatlantique » avec les Etats-Unis. Quel est ce grand marché ? »

La commission européenne s’est prononcée à trois reprises, le Parlement à quatre, pour la constitution d’un grand marché unique avec les Etats-Unis en 2015. En dépit de mes alertes, je suis stupéfait de voir que cette question n’est jamais évoquée ni mise sur la place publique. Cette intégration économique avec les Etats-Unis avance de mois en mois et je la juge dangereuse pour l’économie européenne, et en particulier pour l’économie française. Les Etats-Unis sont le grand corps malade de l’économie mondiale et leur comportement monétaire irresponsable menace la planète entière.

C.A : « Vous évoquez dans le livre l’éclatement sanglant de la Yougoslavie. L’Europe, qui se targue d’avoir garanti la paix sur le continent depuis 1945, a-t-elle eu une responsabilité dans cette affaire ? »

Sans aucun doute. L’empressement des Allemands, sans aucune concertation avec leurs partenaires, à reconnaître la déclaration d’indépendance de la Slovénie et de la Croatie, sans qu’aient été réglées les conditions de la séparation des différentes composantes de la Yougoslavie ou un mode d’intervention de l’Europe pour garantir la paix, a été un puissant facteur de désordre et d’incitation à la guerre. Par ailleurs, le fait qu’une majorité des Etats de l’Union européenne n’ait tenu aucun compte des mises en garde sur le danger de fractionnement ethniciste que comporte la création du Kosovo est un très mauvais signal pour l’avenir.

C.A « Vous envisagez dans le cadre d’une dislocation de la Belgique l’hypothèse selon laquelle les Wallons pourraient demander leur rattachement à la France ».

J’observe que les Flamands ont une revendication indépendantiste très forte et qu’elle s’est concrétisée par une victoire électorale dans la partie flamande. On peut donc craindre que le pays éclate. Au demeurant, il n’a déjà plus de gouvernement. Dans ces conditions, l’Histoire nous enseigne que les Wallons ont toujours été très proches de notre pays. Dans cette hypothèse, et celle-là seulement, je dis que les Wallons seraient les bienvenus dans la République française.

C.A : « Vous vous en prenez au système médiatique français. Quel est son péché majeur selon vous ? »

A l’image des autres composantes de la société, il est malade de conditions sociales terrifiantes qui sont un handicap pour la liberté de penser et d’écrire. Il faut rappeler que la moitié des personnes ayant reçu leur carte de presse l’année écoulée étaient en contrats précaires. De fait, l’application brutale de concepts de rentabilité dans les médias aboutit à une quasi impossibilité, notamment dans l’audiovisuel, d’un traitement sérieux de l’information. Or, les médias sont avec l’école les piliers sur lesquels repose la démocratie républicaine.

C.A : « De la mondialisation, vous parlez d’un « système globalitaire » face auquel il faut rétablir la souveraineté populaire. Les Français vous semblent-ils sensibles à ce thème ? »

Oui, parce qu’ils en mesurent les effets. Cette globalisation les dépouille, sans qu’ils aient donné leur accord, de la plupart des acquis sociaux. C’est aussi au nom de cette globalisation que se produit une uniformisation culturelle sous influence anglo-saxonne. Le caractère tyrannique de ce processus se manifeste par le fait que toutes les procédures de désignation démocratique sont contournées. On voit même apparaître des méthodes de contrôle inédites. Je pense par exemple à l’accord « SWIFT » qui permet aux USA d’entrer dans le compte bancaire de chaque européen…

C.A : « Votre mot d’ordre est radical « Qu’ils s’en aillent tous ! », mais tout cela ne finira-t-il pas à un appel à voter en 2012 pour le candidat socialiste ?

Je ne suis pas d’accord pour, qu’en octobre 2010, la campagne présidentielle si importante pour l’avenir du pays soit déjà déterminée par un appel au vote du second tour. En ce qui concerne les socialistes, je répondrai à cette question quand eux-mêmes diront si, dans le cas où le candidat du Front de gauche arrive en tête du premier tour, ils appelleront à voter pour lui. J’observe qu’en Amérique latine, ils ont toujours fait le choix de la droite plutôt que celui de l’autre gauche. »


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