Suite au vote des socialistes... lettre ouverte à mes camarades du PS ( Nicolas Voisin, BN de PRS)

lundi 20 novembre 2006.
 

Cher-e ami-e,

Cher-e Camarade,

Nous avons ensemble mené une magnifique campagne pour défendre la candidature de Laurent Fabius au sein du Parti Socialiste. Et nous avons perdu. Sèchement perdu.

J’ai laissé un peu de temps depuis jeudi soir avant de t’écrire ces quelques lignes visant à tirer un premier bilan de l’investiture de Ségolène Royal. J’avoue bien volontiers que j’ai eu du mal à mettre en ordre le flot des impressions confuses, stupéfaites et rageuses qui remplissaient mon esprit après la raclée que nous venions de subir.

Fabius à Pantin en octobre... Merde : il était bon ! Mais quelques jours sont passés, me permettant de réaliser que la vie continue et que les combats engagés avant cette soirée de vote au PS peuvent être poursuivis, car si le vote d’investiture socialiste impose bel et bien au Parti Socialiste une décision, il ne saurait imposer à chaque socialiste une conviction qui lui est étrangère. Le Parti Socialiste a donc choisi Ségolène Royal comme candidate, c’est un fait incontestable. Mais en aucune manière mon point de vue sur la nature de son discours ne se laissera aveugler par le concert des éditorialistes tombés en adoration mystique devant « l’icône », « l’héroïne radieuse » (je vous jure que je l’ai lu !), et ne se laissera encore moins museler par les injonctions caporalistes m’ordonnant le respect de la discipline. Je sais que toi et moi, nous sommes faits du même bois.

Je suis en colère. Inutile de te le cacher, car je sais que tu partages avec moi ce sentiment. Je ne peux pas avoir passé six mois de campagne interne à avoir expliqué les périls pour la gauche que représentait à mes yeux la victoire de la ligne incarnée par Ségolène Royal, pour me rallier à sa cause dès le lendemain !

D’autant que je ne parviens pas à me débarrasser de ce sentiment d’injustice face à ce qui pourrait être qualifié de Hold-Up (jeudi soir, je laissais exploser mon amertume devant mes camarades en parlant de putsh... mais c’était peut-être disproportionné...).

Un changement brutal, profond et durable de ligne au PS

On le sait, c’est un changement brutal de ligne que le PS vient de connaître. On a eu l’occasion de démontrer à quel point la ligne Royal s’écarte du projet socialiste en allant pêcher dans l’idéologie de droite certaines de ses thématiques, sur les 35 heures, sur le syndicalisme, sur l’école, sur la sécurité, sur l’immigration. Voilà : que les adhérents du PS aient lu ou non le détail des propositions, qu’ils en aient ou non médité les conséquences pour la Gauche, cette ligne dont les bases sont en grande partie étrangères au parti est désormais validée à plus de 60%.

Et il ne faut pas se bercer d’illusions : cette victoire est durable. Elle s’est imposée jeudi dernier pour une période longue. Que Ségolène Royal l’emporte ou non en 2007... Je ne partage pas la posture qu’ont choisi d’adopter certains de mes camarades du PS, qui n’en pensent pas moins que moi sur la ligne politique de Ségolène Royal, sont persuadés que cette ligne ne peut l’emporter en mai prochain, mais qui font prudemment allégeance avec la certitude que tout cela va mener, certes, à la catastrophe, mais qu’alors leur temps reviendra.

Ce calcul est une erreur.

D’abord parce qu’il s’agit d’un raisonnement de notable nanti, qui s’arrangera bien d’une nouvelle victoire de la droite, en faisant fi des conséquences bien concrètes pour notre peuple si par malheur tout ce qu’il subit depuis 2002 devait se poursuivre jusqu’en 2012.

Mais aussi parce qu’il n’est certainement pas démontré que l’effondrement de Ségolène Royal va se produire. Y compris en cas de défaite. On a suffisament commenté la vacance du pouvoir à la tête du PS depuis avril 2002 et le retrait de Jospin pour ne pas s’apercevoir que depuis jeudi 16 novembre 2006, le PS s’est doté d’une dirigeante, contestable sans doute sur le fond (comme l’étaient les précédents...) mais absolument incontournable. Même confronté à une défaite en 2007 (que ces gens de la direction du PS parviendront bien à expliquer, comme ils ont su expliquer le 21 avril 2002 sans se remettre en cause) on voit mal ce PS se débarrasser au bout de seulement quelques mois d’une dirigeante qu’il a eu tant de mal à imposer dans l’opinion... d’autant que le vote de jeudi dernier a clairement démontré que derrière Ségolène Royal, il n’existe plus aucun concurrent, aucun chef de réserve.

Une mutation structurelle du Parti Socialiste qui normalise la ligne politique

Au delà de cette analyse politique, je crois utile de souligner également la mutation structurelle du Parti Socialiste. Cette mutation, qui s’est révelée brutalement jeudi soir, anéantit un système de fonctionnement interne du PS héritée du congrès d’Epinay et qui régulait la confrontation entre les différents courants idéologiques. Ce fonctionnement qui a permis depuis 35 ans aux courants minoritaires du PS de garder l’espoir que leur ligne finirait par l’emporter, et qui, du coup, amenaient ces courants minoritaires à consentir à l’autorité de la direction, ce fonctionnement n’est plus.

L’exemple de ce qui s’est passé dans ma section de Montreuil est à ce sujet particulièrement éclairant.

Trois jours avant le vote, les professions de foi élaborées par les trois comités de soutien sont arrivées dans les boîtes aux lettres. Et au bas de chacune figurait la liste des militants signataires, manifestant par là leur adhésion individuelle et publique à une ligne et une candidature, mais aussi cherchant à entraîner par leur signature l’adhésion des autres. C’est la démarche normale d’un militant dans une organisation politique normale, et singulièrement au PS où la culture de courant était forte. Et tous les comités de soutien ont d’ailleurs fait pareil, au maximum de ses possibilités.

Ainsi, lorsque le comité Fabius de Montreuil que j’animais avec d’autres s’est réuni une dernière fois deux jours avant le vote, nous avons eu l’occasion d’observer les listes présentées par chaque candidat localement... Et localement, les choses ne se présentaient pas mal pour nous, puisque un très grand nombre de militants avaient signé notre appel pour Fabius (près de 33% de l’ensemble des adhérents), moitié moins pour Ségolène Royal (15%) et encore moins pour DSK (5%). Bien sûr, nous conservions une certaine prudence, car si l’on pouvait s’attendre à une répartition des adhérents « non signataires » sur les trois candidatures, on savait bien que l’environnement médiatique serait plutôt favorable à Ségolène Royal. Elle remonterait d’une façon significative, disions-nous, mais nous pensions tenir là l’ordre "du tiercé".

Las ! C’était sans compter sur le bloc informel des quelques 120 nouveaux adhérents qui ont voté presque comme un seul homme pour Ségolène Royal. Plus exactement ceux que l’on n’avait quasiment jamais vu, puisqu’à l’occasion de la campagne d’adhésion « à 20 € » lancée par Solférino et conformément aux statuts, les quelque 150 nouveaux adhérents sont venus se présenter physiquement au local de la section de Montreuil lors d’une des réunions mensuelles organisées depuis le mois d’avril. J’ai assisté à toutes ces réunions, et je me souviens très bien de ce long défilé de nouveaux visages s’exécutant avec plus ou moins de bonne volonté à ce rituel consistant à décliner son identité, son adresse et à dire en quelques mots les motivations de l’adhésion. Je me souviens aussi que la plupart du temps, ces camarades se sont éclipsés dès leur présentation accomplie, sans attendre la suite des débats, et on ne les a revus que jeudi soir, pour le vote.

Pas tous les "nouveaux", bien sûr, car une minorité s’est investie dans le fonctionnement réel de la section, participant régulièrement aux réunions, prenant la parole, se rapprochant de tel ou tel « ancien » pour partager un point de vue, ou pour le discuter... Et au fur et à mesure que la campagne interne avançait, ces camarades se sont naturellement répartis dans les différents comités de soutien, selon leur sensibilité initiale, ou celle qu’ils se sont progressivement forgée dans le débat.

Mais 50% des adhérents qui sont venus voter le 16 n’ont pas eu cette démarche, et jeudi soir, ceux qui étaient présents au bureau de vote on pu comme moi voir arriver une centaine de ces adhérents que personne ne connaissait et qui ne connaissaient personne, et qui pour la plupart ne sont restés au local que le temps de glisser le bulletin dans l’urne.

Ce sont ces adhérents qui ont massivement voté pour Ségolène Royal.

Ce qu’il y a de remarquable, c’est que les animateurs du comité de soutien de Fabius sont capables d’identifier « à coup sûr » 95% des votants pour Fabius (les signataires et quelques autres).

En revanche, l’immense majorité des adhérents qui ont voté pour Ségolène Royal est composée de gens qu’on n’avait jamais vus et dont on peut sérieusement se demander si on les reverra...

On voit là, à Montreuil, l’ampleur du phénomène extraordinaire qui s’est opéré jeudi soir dans toute la France avec les 70.000 nouveaux adhérents qui ne se sont, dans leur majorité, pas réellement intégrés à la vie du PS, n’ont pas participé aux débats contradictoires, et se sont contentés de venir voter jeudi soir sur la base de l’opinion qu’ils s’étaient faites grâce aux médias.

Je ne critique pas individuellement ces nouveaux adhérents, car j’ai vu jeudi soir que ce sont des braves gens, qui n’ont - somme toute - pas fait autre chose qu’utiliser un outil qu’on leur proposait pour l’usage qui lui était prévu dès sa fabrication. Et c’est sans doute avec la certitude de contribuer à battre la droite qu’ils sont venus voter comme un seul homme pour celle dont la presse jure qu’elle est la mieux placée pour le faire.

Il est clair que l’avènement de Ségolène Royal change en profondeur et durablement, comme je l’ai dit plus haut, la nature politique et l’orientation du Parti Socialiste.

Mais aussi son fonctionnement, puisqu’il sera désormais pratiquement impossible de chercher à contester la ligne majoritaire développée par un appareil qui disposera d’une force de frappe électorale d’environ 35% des adhérents parfaitement insaisissables pour les courants minoritaires, car ne venant jamais aux réunions, ne participant jamais aux initiatives de la vie du Parti, mais écoutant ce que la direction du Parti leur dira, par l’intermédiaire des médias dominants...

J’ai lu ici et là qu’il s’agit d’un « bon coup » électoral pour ceux qui ont imaginé le concept : c’est-à-dire la direction du PS, l’appareil dirigeant intégralement mis au service de la candidature de Ségolène Royal. J’ai d’ailleurs lu hier dans le Monde qu’une méthode qui marche ne saurait être changée, et François Hollande a annoncé que la campagne d’adhésion sur internet à 20€ allait se poursuivre en 2007 !

Pauvres de nous ! Malheur à ces militants qui continueront à s’acquitter consciencieusement des cotisations mensuelles calculées sur la base de leur salaire, qui s’efforceront de faire vivre le débat en section, qui ne compteront pas les heures de présence dans les collages, dans les réunions, dans les diffusions de tracts, qui éplucheront, crayon à la main les centaines de pages de nos motions d’orientation pour choisr la ligne du PS... mais qui devront subir la loi de ces cohortes de braves gens qui, pour 20€ par an, achèteront le droit de désigner le (la) candidat(e) de notre parti à tous les échelons de la vie démocratique, fondant leur conviction sur ce qu’il auront compris du dernier sondage, de la dernière petite phrase trouvée dans la presse ou sur internet...

Et tout cela sous l’œil goguenard d’un appareil constitué de dirigeants aussi « rénovateurs » que Georges Frêche, dont les propos racistes sont condamnés aujourd’hui par ceux qui hier n’ont pas fait la fine bouche devant les milliers de voix pro-Ségo qu’il amenait...

Alors qu’allons-nous faire ?...

Cher-e Camarade socialiste, je t’invite d’abord à refuser la résignation. Les temps vont être difficiles pour nous, et tous les moyens de pressions vont être utilisés pour nous conduire à la soumission et au renoncement.

Si la candidature de Ségolène Royal au nom du Parti Socialiste est à cette heure un fait incontestable, tu conserves néanmoins le droit (et je crois le devoir) de défendre tes convictions forgées par près de six mois de campagne interne.

Nous conservons également la liberté de chercher une voie pour poursuivre l’action politique pour une ligne Républicaine et Sociale que nous ne retrouvons pas aujourd’hui dans le discours de cette candidature.

Certains de nos camarades ont d’ores et déjà relevé la tête pour repartir au combat. Je t’invite à lire la dépêche AFP ci-dessous qui décrit l’action menée dès vendredi soir par Jean-Luc Mélenchon à Montpellier. J’ai bien conscience que la ligne de crête sur laquelle s’engage Jean-Luc est étroite, mais je ne parviens pas à concevoir un autre chemin que celui là.

Alors pour ma part, je vais m’engager avec lui dans ce nouveau combat pour éviter la radicalisation anti-socialiste d’une gauche anti-libérale qui conduirait à l’impossibilité d’un rassemblement - pourtant indispensable - de la Gauche contre la droite en 2007. Mais aussi pour aider à la réalisation de l’unité de cette gauche antilibérale autour d’une candidature qui contribuera à rééquilibrer la gauche toute entière autour de son centre de gravité qui ne saurait se laisser déporter vers François Bayrou et ses semblables.

Fraternellement,

Nicolas Voisin

Document cité :

Dépêche AFP du 18 novembre 2006

La gauche antilibérale se voit au 2e tour de la présidentielle

José Bové, Marie-George Buffet et Clémentine Autain ont pronostiqué la présence de la gauche antilibérale au second tour de l’élection présidentielle, vendredi soir lors d’un meeting à Montpellier, en présence du sénateur PS Jean-Luc Mélenchon.

"Nous sommes 4.000 personnes ce soir et la campagne n’a pas commencé, la dynamique que nous avons lancée, personne n’y croyait, mais on est en train de gagner ce pari", a souligné le leader altermondialiste José Bové, qui aspire, comme Mme Buffet, secrétaire nationale du PCF, à porter les couleurs d’une gauche antilibérale unitaire en 2007.

"On n’est pas contraint de perdre, on a décidé de passer de la résistance au pouvoir", a ajouté M. Bové selon lequel "la gauche sera obligée de se désister au second tour pour nous".

"Nous pouvons être majoritaires, nous pouvons le faire, se fixer l’objectif d’une nouvelle majorité de gauche", a dit de son côté Marie-George Buffet. "Les 22.000 ouvriers menacés de licenciement ne peuvent pas attendre, on a besoin de la régularisation des sans-papiers, d’un service public de l’habitat et du logement", a poursuivi Mme Buffet.

Clémentine Autain, adjointe (app. PCF) au maire de Paris chargée de la jeunesse, a égratigné la "blairisation" des socialistes tandis que le maire PC de Saint-Denis, Patrick Braouzec, a estimé que le collectif "a la responsabilité de réussir" et sera peut-être "la seule vraie surprise du scrutin".

Après avoir souligné "sa position assez singulière", le sénateur PS de l’Essonne et partisan de Laurent Fabius Jean-Luc Mélenchon, a "souhaité le succès de cette démarche et qu’elle aboutisse à une candidature unique" car il serait, selon lui, "inenvisageable de croire qu’à lui seul, le parti (socialiste) pourrait avoir la majorité". "Si vous vous laissez transformer en poussière additionnelle, vous aurez réglé la sortie par laquelle vous passerez ensuite", a-t-il averti à l’adresse des responsables du collectif antilibéral. "Il n’y a pas de contradiction à vouloir cette candidature commune et à vouloir l’unité de toute la gauche", a lancé M. Mélenchon, en concluant : "Nous sommes capables de réinventer la gauche".


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