La chasse au Mélenchon serait-elle ouverte ? Les tireurs sont nombreux et lourdement armés d’injures, mais…

samedi 23 octobre 2010.
 

Mardi dernier, plus de trois millions et demi de personnes dans la rue pour le maintien de la retraite à 60 ans, et pour le retrait de la réforme Woerth-Sarkozy ! Du jamais vu depuis bien longtemps durant la même journée. Même en 1995 contre le Plan Juppé. Quel magnifique succès ! Quelle force ! Quelle détermination ! De même le samedi 16 octobre. Et on continue le mardi suivant. La lutte est engagée, ne reculons plus. On peut gagner, on doit gagner. La jeunesse scolarisée aussi se mobilise. Elle est concernée, elle a raison. Chaque manifestation est désormais plus nombreuse que la précédente. Puisque le pouvoir sarkozyste ne cède pas, la tension sociale monte. C’est désormais clair. Il parait que certains, les mêmes qui se montrent inflexibles, craignent la radicalisation. Pourtant, être radical, c’est bien aller à la racine des problèmes, non ? Et la période exige de s’y rendre. C’est un changement profond que souhaitent des millions de gens. Pas un rafistolage. Comment essayer, même modestement, mais c’est la fonction d’un responsable politique, d’être le porte-parole de cette indignation qui monte sans ressentir cette radicalité, sans la transmettre, sans l’exprimer ?

Alors, précisément, nous revoilà dans le débat (ou disons-le clairement : la polémique) engagée par les propos de mon camarade Jean-Luc Mélenchon au sujet de M. David Pujadas. Vous savez de quoi je parle, je ne reviens pas sur les détails. Certes, Jean-Luc a dit un « gros mot » contre M. Pujadas. Certes, c’est regrettable, et il est préférable de ne jamais dire de juron. Certes. Mais, où est l’injure la plus importante si ce n’est pas dans la façon dont M. Pujadas s’adresse au représentant d’ouvriers en colère ? Imaginerait-on, un présentateur du journal de 20h00 s’adresser à un homme sans domicile, contraint de dormir dans la rue, portant des vêtements souillés par cette situation, sur le mode : « Mais, pourquoi êtes vous si sale ? Ne pensez-vous pas que vous allez trop loin ? » Ou encore, si le même homme avait volé pour manger, accepterait-on que le journaliste lui demande, en condamnant ce vol : « Mais, la fin justifie-t-elle les moyens ? ». Et bien, je dis que c’est la même obscénité, ou pour être peut-être moins rude, le même « décalage » entre la violence des situations vécus par des êtres humains qui souffrent, et la violence de la question (certes posée fort poliment) qui rend cette scène du journal TV de France 2 insoutenable.

Où est la « morale » dans cet échange ? Et où se trouve l’immoralité ? Dans la rudesse de la réaction spontanée de Jean-Luc Mélenchon ? Ou dans la question préalablement préparée, réfléchie, ciselée, de M. Pujadas ? Chacun aura compris ma réponse à cette question.

Dès dimanche dernier, j’ai eu la chance avec plusieurs de mes camarades du PG, d’accompagner Jean-Luc sur le plateau de l’émission du Grand Jury RTL/LCI/Le Figaro. C’est Jean-Michel Aphatie qui menait les débats, accompagné d’Eric Revel de LCI et Etienne Mougeotte pour le Figaro. « L’Affaire Pujadas » a occupé pratiquement la moitié de l’émission. Les trois journalistes voulaient lui faire mettre un genou à terre, sur cette question, et je considère qu’ils n’y sont pas arrivés. Mais, quel ring ! Quel bras de fer ! Après l’émission, avec quelques camarades, nous avons discuté un moment avec Jean-Michel Aphatie sur le rapport entre les journalistes et les politiques. L’homme, plus à l’écoute que ce que je pensais, n’était pas indifférent à nos critiques sur la façon dont certains journalistes assénent des évidences qui ne peuvent être remise en cause, sans être moqué. Nous avions déjà vécu cette outrance en 2005 lors du débat sur le TCE, et nous avions le sentiment de le revivre à présent, lors du débat sur les retraites. Il semblait entendre. Mais, peut être était-il lui aussi épuisé par l’épreuve qu’il venait de faire subir à JLM. Il faut dire que l’exercice était éreintant, et la tension grande dans la petite équipe que nous étions, assis derrière les intervenants, durant les soixante minutes de l’émission. Dans le métro qui nous ramenait nous avons ri avec Jean-Luc des pièges qui lui furent tendus par ce trio. Mais, sans son expérience accumulée, un autre invité aurait été écrasé. Il faudra s’en souvenir dans les étapes suivantes.

Je fais encore un petit détour à propos de M. David Pujadas. Voulez-vous un nouvel exemple de ses choix éditoriaux lorsqu’il interroge un syndicaliste ? Mardi soir, après le succès de la manifestation organisée le jour même, M. Pujadas avait pour invité M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT. Quelle est la première question qu’il lui a posé : « Avec cette culture du blocage, ne craignez-vous pas d’être la risée de l’Europe ? ». Sidérant, non ? Qui ne voit pas le lourd contenu idéologique colporté par une telle question qui, sur le ton de l’évidence, entend ridiculiser un puissant mouvement populaire ? M. Thibault aurait sans doute dû lui répondre : et vous, M. Pujadas, avec une telle question, ne craignez vous pas d’être la risée de votre profession ? Il ne l’a pas fait. Dommage. Mais, a-t-on le droit s’indigner que sur une chaîne de service public on traite ainsi l’information ? Cette affaire nous concerne tous. L’information et le traitement de l’information sont des questions civiques relevant de l’intérêt général. Elles formatent les consciences. Elles ne peuvent être seulement débattues entre journalistes, en famille, tel un clan fermé. Je suis convaincu que l’immense majorité d’entre eux sont conscients de ce problème. Ils le vivent quotidiennement. Je suis persuadé que pour la plupart, ils en souffrent. Il ne s’agit donc pas de globaliser en critiquant « les » journalistes, mais au contraire de défendre cette profession indispensable à toute démocratie et de pointer ses dysfonctionnement les plus graves. Est-ce possible ?

Il faut à présent dire un mot du ball-trap anti-Mélenchon auquel certains rêvent de participer. Pour un mot de colère lâché devant un écran, combien d’insultes, injures et calomnies… ? Je veux essayer de répondre à certaines d’entre elles.

Alors, « totalitaire » Jean-Luc Mélenchon par son comportement ? Mais, je rêve. Qui possède les groupes de presse ? Où sont les monopoles mêlant dangereusement pouvoirs médiatiques et économiques ? Qui contrôle et décide du traitement de l’information ? Qui a le pouvoir de faire taire telle ou telle personne, ou tel courant de pensée ? Mélenchon tout seul ? Quelle blague. Et pourtant, déjà la menace est brandie, elle menace de s’abattre. Sur le net, la mode est au billet d’insulte. Inutile de tous les citer. Mais au premier rang, M. Renaud Revel, rédacteur en chef de l’Express, qui prévient sur son blog : il faut faire taire ce « gugus ». « Que serait Mélenchon sans la télé ? Rien : un obscur militant venu du PS représentant un courant politique confidentiel, plombé dans la pénombre. » Pour lui, JLM est « un hurluberlu qui ne représente que lui-même », « un homme politique virtuel » au « poujadisme rampant et à la démagogie poisseuse ». « Il est tout ce qui rend la politique détestable ». Il est temps de « faire un sérieux tri ». Sous entendu : Journalistes, mes chers collègues ! Ne l’invitez plus, n’en parlez plus, boycottez-le ! Ruth Elkrief si I-Télé en rajoute en considérant que Jean-Marie le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont comparables, et elle ne souhaite plus en parler. Voilà donc comment ils veulent traiter un des rares responsables politiques qui exprime l’opinion de millions de gens actuellement mobilisés contre la réforme des retraites. Ils ont tout pouvoir, ce sont eux qui l’ont « fabriqué », à présent il faut le faire taire, et c’est un fasciste. Et cela, parce qu’il s’est indigné de la façon dont l’information est traité par les principales chaînes de TV. Où est le totalitarisme ? Franchement. Que chacun garde donc son sang-froid. Je me souviens encore d’une émission sur France 5, Ripostes animé par Serge Moati (excellente émission d’ailleurs qui a disparu) en avril 2009, durant laquelle M. Pierre Lellouche, actuel membre du gouvernement, avait insulté Jean-Luc en lui disant : « vous êtes un pauvre type Mélenchon. Si nous étions au 19e siècle, je vous provoquerai en duel et je vous flinguerai. Mais hélas je ne peux pas.. » Jean-Luc était resté de marbre devant cette menace de mort en direct à la TV. A-t-on vu un journaliste, ou précisément M. Renaud Revel s’indigner de ce comportement de Pierre Lellouche ? Non. Cela, pour M. Revel « ne rend pas la politique détestable » pour reprendre son expression. Idem, quand Xavier Bertrand, en pleine affaire Woerth Betancourt, considère que Médiapart est digne d’une officine d’extrême droite des années 30. J’attends encore la réaction de M. Revel qui est pourtant responsable de la rubrique Médias pour l’Express.

Poujadiste ! JLM serait donc « poujadiste » selon ce journaliste de l’Express. C’est à dire un héritier de Pierre Poujade, leader d’extrême droite des années 50, défenseur des petits commerçants, violemment anti fonctionnaire et ultra de l’Algérie française. Bigre, ça c’est précis, et ça c’est envoyé ! Il faut dire que M. Revel lui, connaît les sujets importants et s’y consacre. Il est notamment un « spécialiste » de Johnny Hallyday sur lequel il vient de publier récemment un ouvrage : Johnny, les 100 jours où tout a basculé. Ah, voilà enfin un sujet important qui ne dégrade pas la vie politique. Dans les pages de M. Revel, on ne trouvera aucune critique contre le rockeur exilé fiscal en Suisse. Rassurez-vous, ici pas de telle vulgarité. Par contre, M. Revel en présentant son ouvrage s’inquiète : « Johnny est un travailleur pauvre qui malgré ses nombreuses années de carrière n’a pas cumulé de patrimoine, car il a toujours eu un train de vie flamboyant. » Quand le producteur du chanteur lui verse « 800 000 euros, il y a 15 jours, c’est insuffisant. Il ne possède pas de capital, excepté son capital immobilier. » Pauvre Johnny… Des lignes pareilles, voilà du beau journalisme, sur des thèmes majeurs, traités avec une belle hauteur de vue. Chapeau. Pas de « poujadisme » dans votre style. Et cela vous donne le droit de défendre l’honneur de toute votre profession… M. Revel, à la vérité, parler ainsi de Jean-Luc Mélenchon, homme de gauche, est indigne. Savez-vous au moins de quoi vous parlez ? J’en doute. Vous avez une excuse. Vous n’êtes pas le seul. Ce qualificatif à force d’être utilisé en toute circonstance, n’a plus aucun sens. Je l’ai même entendu utilisé contre moi, en Conseil de Paris, il y a deux semaines, alors que j’expliquais pourquoi j’allais voter contre le protocole d’accord entre la Ville de Paris et l’UMP et Jacques Chirac. « Poujadiste » que de demander justice et la tenue d’un procès digne de ce nom pour une affaire qui a occupé durant plus de dix ans la vie politique française. « Poujadiste » d’être outré par l’arrogance tranquille d’un présentateur TV quand il interview un homme licencié. Les mots n’ont décidemment plus aucune signification. Pour la peine, j’en invente un nouveau (en réalité je l’emprunte à l’intelligence vive et mordante de mon ami François Delapierre) : M. Revel, vous, et ceux qui pratiquent comme vous ce métier êtes des « Pujadistes » ! Et vos insultes sans fondement vous déshonorent.

Mais, ce n’est pas fini.

Populiste ! Ils veulent aussi l’injurier par ce terme. Mais, cette fois ci, cela ne fonctionne plus, car le pire pour eux, c’est que Jean-Luc Mélenchon assume. A ce sujet, lisez « Qu’ils s’en aillent tous ! Vite, la révolution citoyenne » (édition Flammarion) dans lequel il s’explique brillamment. Je voudrais ajouter au sujet de ce mot « populiste » qui donne des sueurs froides à certains, quelques arguments. Cela s’impose. Il y en a assez, que tout ce qui semble venir du peuple est montré comme vulgaire, simpliste et généralement raciste. Le mot de populiste n’a pas la signification que certains lui donne depuis quelques années. Depuis 1929, il existe par exemple en littérature un « Prix du roman populiste ». Il récompense, je cite : « une œuvre romanesque qui préfère les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité ». En 1930, ce prix a récompensé Marcel Aymé, puis en 1932 Jules Romains, en 1940 Jean-Paul Sartre, en 1984 Didier Daeninckx, en1987 Gérard Mordillat ou encore en 2001 Daniel Picouly. Aucun de ses auteurs ne s’est indigné de l’intitulé de ce prix. Il me semble même qu’ils en ont été honorés.

Depuis quelques décennies, des commentateurs politiques ont détourné ce mot pour qualifier des mouvements d’extrême droite qui seraient « des représentants du peuple contre les élites ». Le problème est que cette définition courante est dangereuse. Non, l’extrême droite ne représente pas le peuple. Elle n’est ni populiste, ni populaire. Il nous faut nous réapproprier ces mots, même si cela choque dans un premier temps. J’invite chacun à y réfléchir sans passion. Pour nous républicains, le peuple est notre souverain. C’est lui que l’on doit servir, écouter, éduquer aussi et non pas le mépriser en considérant que ce qu’il pense, la façon dont il parle, ses modes d’actions sont « la risée de l’Europe » ou de je ne sais trop qui.

Je le sais, pour des femmes et des hommes de gauche, le peuple n’a pas forcément raison. Mais il n’a pas forcément tort non plus. Et, quand il se trompe c’est souvent quand on lui a fait entrer au forceps dans le crâne des valeurs qui sont celles de ceux qui organisent et profitent du système économique actuel : le goût inconsidéré de l’argent facile, de la réussite individuelle, du chacun pour soi. L’idéologie dominante est aujourd’hui celle des classes dominantes. Qui peut prétendre l’inverse ?

On revient donc à la question des médias. Peut-on imaginer une société plus juste, plus fraternelle, plus solidaire, en ne changeant rien de notre système médiatique et aux messages quotidiens qu’il fait entrer dans des millions de foyers ? C’est aussi aux professionnels de l’information de nous aider dans cette tâche. Ils n’ont rien à perdre et tout à gagner.

Est-il possible de prétendre « changer la vie » en annonçant que rien ne changera ? Est-il crédible de dire que nous bâtirons un autre monde en gardant aux mêmes places, aux mêmes responsabilités, ceux qui organisent le monde actuel ? Ayons confiance en nos propres forces. L’intelligence de la majorité de notre pays se fait entendre. D’immenses énergies sont disponibles pour cette tâche. Pour l’essentiel, elles sont actuellement dans la rue, pour le retrait d’une loi injuste.

Si certains veulent ouvrir la chasse au Mélenchon pour le faire taire, ils rencontreront une difficulté. La cible est multiple. Il y en a des millions dans la rue qui manifestent.


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