Si le gouvernement et le chef de l’État persistent, nous allons vers une crise lourde (Bernard Thibault)

dimanche 10 octobre 2010.
 

Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, pense que le mouvement social est aujourd’hui plus fort que le gouvernement. Pour la suite, la « démocratie va être essentielle ».

Après les manifestations 
de samedi, 
la mobilisation 
prend-elle un 
sens nouveau  ?

Bernard Thibault. C’est une nouvelle étape  : 
la mobilisation s’est installée dans 
le pays. La journée de samedi conforte un mouvement qui dure, rendez-vous après rendez-vous, malgré 
le gouvernement et le président de la République qui ne cessent de répéter qu’ils ne céderont pas sur le recul 
de l’âge de départ à la retraite. Nous avons fait un pari en choisissant une mobilisation un samedi, ce qui n’est pas habituel dans la pratique syndicale en France. De telles mobilisations ne réussissent qu’à des moments exceptionnels. Le succès d’aujourd’hui montre que nous sommes justement dans un mouvement exceptionnel.

Parce qu’il y a eu aussi un public nouveau  ?

Bernard Thibault. Oui, il y a eu un renouvellement très important du profil des manifestants. Sans doute pour la moitié, nous avons vu manifester ceux qui ne peuvent pas sortir de leur entreprise par peur 
de représailles ou de licenciement, 
des jeunes qui ne sont pas spectateurs, qui deviennent de plus en plus acteurs de la mobilisation. Nous ne sommes pas dans un baroud d’honneur. 
Il y a une véritable détermination 
à ne pas laisser passer ce recul social. 
Ce qui me fait dire que si le gouvernement et le chef de l’État persistent, nous allons vers une crise lourde. Le pouvoir est dans le déni, 
il a choisi une position radicale.

Vous avez déclaré vendredi que 
les grèves reconductibles n’étaient pas 
à exclure. Est-ce que ça veut dire que 
la CGT va pousser en ce sens  ?

Bernard Thibault. L’intersyndicale 
a souhaité une multiplication 
des initiatives dans les territoires et les entreprises. Nous, nous voulons promouvoir la méthode des assemblées générales, des assemblées de personnel, des consultations dans les entreprises pour poser la question  : « Que pouvons-nous faire ensemble  ? » Pour réussir la suite, la démocratie va être essentielle. Tout ce qu’on envisage de faire doit contribuer à un élargissement, et en même temps, nous avons un calendrier qui se resserre. Nous savons que, dans certains secteurs, les salariés sont disponibles pour des grèves qui ne se limiteront pas à vingt-quatre heures.

Le gouvernement joue le bras de fer. Nicolas Sarkozy lie la réussite de la réforme à l’élection présidentielle de 2012… En quoi cela pèse-t-il sur le mouvement  ?

Bernard Thibault. Je pense qu’un gouvernement, quel qu’il soit, qui ignore à ce point un mouvement social, se condamne pour les prochaines échéances électorales. La question désormais est moins « combien cette réforme peut contribuer à la réélection de Nicolas Sarkozy », que « combien cette réforme, s’il la fait adopter malgré 
les protestations, pèsera sur sa défaite et celle de sa majorité ». 70% de la population est opposée à ce projet, 
sur une question qui structure 
en profondeur leur vie…

Cela signifie que vous croyez toujours pouvoir le faire reculer  ?

Bernard Thibault. Je crois que dans 
la majorité gouvernementale, 
on prend la mesure de ce qui se passe. On commence à entendre çà et là des petites musiques différentes. Chez les sénateurs, il y a des signes qui montrent les inquiétudes sur les répercussions politiques de la protestation.

C’est donc le moment pour les syndicats de tenir bon  ?

Bernard Thibault. Le gouvernement 
ne dit plus que la réforme est juste, il ne lui reste plus comme argument qu’elle est incontournable, un mal nécessaire  ! La campagne menée par les syndicats, dont l’unité a été un des facteurs de réussite, a renversé totalement la tendance. Aujourd’hui, c’est nous qui sommes plus forts que le gouvernement. À partir du 12 octobre, le mouvement peut prendre une nouvelle configuration sur la base 
de décisions prises par les salariés, 
avec des formes d’actions multiples.

Entretien réalisé par Olivier Mayer


2) Feuille de route officielle de la CGT signée B. THIBAUT

Aux organisations et aux Militants de la CGT le secrétaire général

Montreuil, le 6 octobre 2010

Cher(e)s Camarades,

Je m’adresse à vous suite à la réunion qui s’est tenue à Montreuil le 5 octobre et qui a permis à la direction confédérale et aux directions des fédérations et des unions départementales de faire une évaluation précise de la mobilisation sur l’avenir des retraites.

En quelques mois, le déploiement de l’ensemble des forces de la CGT pour dénoncer la nocivité du projet de loi sur les retraites a permis une réelle prise de conscience des enjeux parmi les salariés, d’éclairer sur les alternatives et de construire une mobilisation d’un niveau exceptionnel. Exceptionnel par son unité et sa détermination pour empêcher la mise en oeuvre de dispositions à la fois injustes socialement, néfastes pour le système de retraite par répartition, pour l’emploi des jeunes et pour le niveau des futures retraites. Nous avons su dénoncer l’absence de prise en compte de la pénibilité des métiers et bien d’autres aspects négatifs de cette loi. Aujourd’hui, 3 salariés sur 4 sont opposés aux mesures reportant les âges de départ en retraite.

Les initiatives de l’intersyndicale, dont les grandes journées de mobilisation interprofessionnelles, sont soutenues par 71 % de la population et ce malgré le vote de l’Assemblée nationale le 15 septembre dernier. Tout cela est le résultat d’un engagement résolu de nos forces militantes. Pour autant, comme chacun le sait, le Président de la République veut maintenir son cap. Il est enfermé dans le chantage qu’exercent les marchés financiers et les agences de notation internationales qui exigent des états européens des coupes sombres dans les budgets publics et les comptes sociaux. Il prétend aussi pouvoir brandir la fin de la retraite à 60 ans comme un trophée politique qu’il présentera pour chercher sa réélection en 2012. Ainsi, nous entrons dans une nouvelle phase du conflit dès lors qu’il compte clore le sujet d’ici quelques jours par le vote du Sénat qui pourrait intervenir dès le 15 octobre. Mais rien n’est moins sûr.

L’ancrage de la mobilisation, son caractère unitaire, la détermination qui s’y exprime peuvent démentir les scénarios qu’on nous disait écrits d’avance. Beaucoup va désormais dépendre de ce qui va se passer dans les tous prochains jours. Avec l’ensemble des fédérations et unions départementales, nous avons décidé d’une « Adresse de la CGT aux salariés » en ce moment crucial. Bien sûr, il faut en assurer une très large diffusion.

Cette adresse traite de trois questions :

1. Nous insistons pour que le 12 octobre soit partout d’une ampleur sans précédent par le niveau des grèves et le volume des manifestations unitaires. Nous sommes convaincus que de nouvelles forces peuvent se mobiliser. Cela va dépendre de notre disponibilité à les rencontrer et les convaincre, en quelques jours, que le 12 octobre peut être déterminant pour les suites.

2. Nous appelons à généraliser la tenue d’assemblées générales, de consultations sur les lieux de travail pour définir ensemble et démocratiquement les revendications, le rythme, les formes et les modalités de la reconduction de l’action après le 12 octobre. La CGT l’a affirmé depuis le début, nous irons jusqu’au bout dans ce combat. Nous savons de la longue expérience de la CGT que sa démarche démocratique en toutes circonstances et singulièrement pour conduire l’action est une condition d’efficacité. Nous savons aussi que la puissance du mouvement déjà très réelle va reposer sur notre capacité à entretenir et élever la mobilisation du plus grand nombre de salariés en les associant aux décisions qui nous engagent solidairement. C’est une démarche très exigeante pour tous mais elle conditionne nos chances de succès. Cette démarche démocratique est déjà engagée dans certaines branches professionnelles, certaines entreprises où la grève est déjà une réalité depuis plusieurs jours à propos de l’avenir des retraites et des revendications salariales et d’emploi. Impulsons ce débat et les décisions d’actions partout où nous sommes présents.

3. Nous avons également décidé d’installer dans les localités des points de rencontre publics pour assurer une permanence de la mobilisation contre le projet de loi actuel sur les retraites. Ceux-ci nous permettrons d’entretenir et d’alimenter l’action auprès des nombreux salariés sans présence CGT dans leur entreprise, avec les retraités et les jeunes, de plus en plus engagés parce que très concernés. Les organisations territoriales de la CGT seront les maîtres d’oeuvre pour l’organisation de ces permanences. Là aussi, leur succès et leur efficacité dépendront de la contribution de chaque syndicat de la CGT, quelle que soit sa fédération professionnelle. Enfin, et ce n’est pas l’aspect le moins important, chacun a pu constater combien nous avons été en capacité de mobiliser très au-delà des adhérents de la CGT. Des centaines de milliers de salariés inorganisés ont répondu présents à nos initiatives locales ou nationales. Certains ont pris conscience de l’utilité de se syndiquer à la CGT en étant plongés dans l’action. Prenons aussi des dispositions très concrètes pour amplifier ce mouvement d’adhésion nécessaire pour accroître durablement le rapport de forces en faveur des salariés.

Recevez, Cher( e)s Camarades, mes plus fraternelles salutations.

Bernard THIBAULT Secrétaire général de la CGT


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