L’Etat du Bangladesh à la reconquête de sa laïcité

dimanche 19 septembre 2010.
 

Cet événement est peut-être passé inaperçu dans les médias occidentaux, mais il revêt aux yeux de tous les défenseurs de la laïcité une signification majeure : la Cour Suprême du Bangladesh a ordonné, en juillet dernier, l’annulation du cinquième amendement de la Constitution qui proclamait la « foi en Allah » comme principe fondateur de l’Etat.

Après une guerre d’indépendance sanglante contre le Pakistan, le Bangladesh a adopté sa Constitution en 1971, qui proclamait, dans son préambule, les quatre piliers de ce nouvel Etat : démocratie, laïcité, socialisme et nationalisme. Or, les coups d’Etat militaires se sont enchaînés de 1975 à 1990, et les gouvernements successifs, utilisant l’Islam comme instrument politique, ont modifié profondément les institutions et les lois du pays pour en faire un Etat religieux, à l’aide d’amendements importants à la Constitution adoptés en 1979 et 1988.

Malgré quinze ans de manigances, la population bangladeshi n’a pas succombé à l’influence des extrémistes, et c’est une immense majorité des citoyens qui saluent ce retour de la laïcité. Cette résistance naturelle du pays à la dramatique percée de l’Islam politique à la fin du XXème siècle a limité l’impact de partis extrémistes comme Jammat el-Islami, qui, depuis la tenue d’élections libres, n’a pas dépassé les 10% des suffrages, bien qu’il ait été présent dans de nombreuses coalitions. La situation des femmes du Bangladesh, remarquable dans un pays à majorité musulmane, a peut-être contribué à la résistance à l’extrémisme car elles sont représentées assez largement en politique et dans le monde des affaires. Le gouvernement et l’opposition sont d’ailleurs dirigés par deux femmes.

Sheikh Hasina, leader de l’Awami League (coalition de centre gauche), a axé sa campagne électorale de 2008 sur la restauration d’un Etat laïc et juste. Son programme ambitieux rompait alors avec un positionnement modéré qui, dans les années 1990, avait condamné l’Awami League à de nombreux déboires électoraux. Les citoyens bangladeshi se sont exprimés d’une voix forte : avec 264 sièges sur 300 au Parlement, c’est dire si ce gouvernement doit se montrer à la hauteur du mandat que lui a confié le peuple.

Le jugement de la Cour Suprême ne signe pas la fin de la bataille légale pour le rétablissement effectif de la laïcité dans les institutions. Les conséquences pratiques de l’annulation des amendements de 1979 se font encore attendre et les amendements de 1988 (notamment celui déclarant l’Islam religion officielle) doivent encore être abrogés. Dans les prochains mois, grâce au support du gouvernement et de la population, les différentes cours de justice devront s’attaquer à la dissolution des partis politiques religieux, à la remise en question du financement des écoles islamiques ainsi qu’aux négations des droits des femmes pour motifs religieux. La Haute Cour de Justice a ainsi rendu un verdict le mois dernier condamnant le port forcé du voile islamique à l’école ou sur le lieu de travail.

Le second grand chantier du gouvernement de Sheikh Hasina va probablement précipiter la laïcisation de la vie politique bangladeshi. L’Awami League a, en effet, promis de juger les atrocités commises lors de la guerre d’indépendance de 1971. Or, nombreux sont les partisans de l’Islam politique qui se sont attaqués alors à la population de façon barbare. Le mois dernier, les quatre principaux leaders du parti Jamaat el-Islami ont été arrêtés dans l’attente de leur procès.

Le Bangladesh, un des pays les moins avancés de la planète, a affirmé qu’il ne voulait plus d’un régime religieux dirigé par des criminels, et a affirmé la laïcité et la justice comme principes fondateurs d’un Etat réconcilié. Il mérite pour cela un salut fraternel de la part du Parti de Gauche, et nous espérons que cet exemple remarquable impulse une nouvelle dynamique laïque dans le monde.

Agathe Nougaret, Parti de Gauche


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