Bernard Thibault : " On peut aller vers un blocage, une crise sociale d’ampleur "

lundi 13 septembre 2010.
 

Le secrétaire général de la CGT dénonce la méthode du président, minimise ses annonces et prévient : " Nous n’avons pas l’intention de lâcher "

L’intersyndicale annonce de nouvelles initiatives d’action, le 15 et le 23 septembre. Quel objectif leur assignez-vous ?

Un objectif clair  : confirmer notre opposition au projet de loi et rallier à cette cause encore plus de salariés. Nous appelons à des mobilisations dans les entreprises le 15 pour interpeller les députés le jour où ils veulent voter la loi. Pour eux aussi, l’heure de vérité approche et l’histoire montre que les précédentes réformes des retraites ne sont pas restées sans effet sur le comportement des électeurs. Le 23 sera une journée de grèves et de manifestations. Nous n’avons pas, nous non plus, l’intention de lâcher !

N’est-ce pas risqué de lancer des mouvements à répétition ?

Nous nous appuyons sur la dynamique exceptionnelle provoquée par la mobilisation de mardi, si forte qu’elle a conduit le président de la République à théâtraliser son intervention en conseil des ministres. Ce rendez-vous est sans égal dans l’histoire sociale de ce pays. Plusieurs millions de personnes ont participé à cette journée soutenue par une large partie de la population. Le répondant a été à la hauteur du défi qui nous avait été lancé. Notre responsabilité d’organisations syndicales est de tout faire pour être entendues, pour faire partager nos arguments et pour convaincre de la faiblesse de ceux du président. Son obstination à maintenir la réforme en l’état obéit, nous semble-t-il, à des raisons qui ne sont plus liées à l’avenir des retraites.

Qu’entendez-vous par là ?

Le chef de l’Etat a décidé d’instrumentaliser cette réforme pour des raisons politiques. Il en a fait l’un des marqueurs de son quinquennat. C’est une source de blocage, comme l’est aussi le fait que l’Elysée rédige aujourd’hui la loi. Par ailleurs, le président est, comme tous les chefs d’Etat européens, sous la pression des agences de notation. Il est soumis à l’injonction de ces agences, celles-là même qui ont contribué à la crise financière de 2008. Le déficit du système de retraite n’est pas d’abord lié à la démographie. Cette dernière n’a pas radicalement changé depuis l’élection présidentielle de 2007. En revanche, ce qui a changé, c’est bien la crise et son impact sur les comptes sociaux. On veut nous en faire payer les effets.

Mais il faut bien assurer le financement des retraites...

On cherche des milliards pour combler les trous, ils existent ! La suppression des allégements de cotisations sociales dont bénéficient d’abord les entreprises rapporterait, d’après la Cour des comptes, entre 67 et 73 milliards d’euros. Quant au montant des baisses d’impôt, qui ont surtout profité aux plus fortunés, il a été évalué par la commission des finances de l’Assemblée à 100 milliards sur dix ans. D’autres solutions existent pour financer les retraites.

Nicolas Sarkozy propose de discuter prochainement avec les partenaires sociaux de la politique industrielle de la France, chère à la CGT. Est-ce une bonne idée ?

Je viens de découvrir cette annonce. Je ne peux évidemment pas ignorer le contexte dans lequel cette initiative intervient.

Que pensez-vous des aménagements annoncés en conseil des ministres sur la pénibilité, les carrières longues, les polypensionnés et la fonction publique ?

Une remarque, tout d’abord : Nicolas Sarkozy avait indiqué, le 24 juin, que le dialogue sur la réforme se poursuivrait cet été. Or il ne s’est absolument rien passé jusqu’à ses annonces du 8 septembre, au lendemain de la mobilisation. Dans ce pays, les syndicats sont sommés d’accepter systématiquement le fait accompli et les arbitrages successifs, unilatéraux et personnels du président. Cette méthode atteint ses limites. Elle est dangereuse pour la démocratie, qui ne se résume pas à la seule élection présidentielle. La démocratie sociale existe. Elle fait partie de notre démocratie. Or elle est très largement bafouée. Aucun gouvernement européen engagé dans une réforme des retraites ne s’est comporté comme l’exécutif français en verrouillant d’emblée toute discussion.

Quels sont les effets d’une telle attitude ?

En procédant de la sorte, le chef de l’Etat renforce chez les salariés le sentiment que sa réforme a été faite par des comptables ou des financiers, pas par des gens qui connaissent les réalités sociales et le monde du travail. C’est pour le moins une stratégie risquée. Mais il a quand même infléchi son projet de loi, notamment sur la pénibilité ?Ce qu’il a annoncé est à la marge au regard des désaccords de fond. Le dispositif de la pénibilité reste subordonné à des critères médicaux et individuels. Le renvoi à des négociations de branche n’oblige à aucun résultat alors que le patronat y est hostile. Les aménagements sur les carrières longues restent flous. La réforme reste fondamentalement injuste.

Entre l’obstination du président et la vôtre, où va-t-on ?

On peut aller vers un blocage, vers une crise sociale d’ampleur. C’est possible. Mais ce n’est pas nous qui avons pris ce risque. Ceux qui manifestaient hier n’avaient pas en tête l’élection présidentielle de 2012. Ils pensaient, et c’est apparu clairement dans les défilés, à la réforme des retraites sachant d’expérience que ses effets continueront de se faire sentir bien longtemps après le départ de la scène politique de ses auteurs. Il ne faut pas faire dire à cette manifestation autre chose que ce qu’elle dit. Et d’ailleurs, je pense que le caractère unitaire de l’action syndicale est de nature à rassurer les salariés. Il montre que, quelles que soient leurs différences, les syndicats font bien ce qu’ils ont à faire : du syndicalisme, en mobilisant au-delà des clivages politiques.

Le taux de grévistes a été important dans les transports et plusieurs syndicats réformistes notent une certaine radicalisation de leur base. Qu’observe la CGT  ?

Il n’y a pas que dans les transports urbains ou à la SNCF que ce climat existe. Il existe aussi dans la métallurgie, la chimie, l’énergie et ailleurs. On a même trouvé une PME sans syndicat où 40 salariés sur 44 ont fait grève. C’est un signe. Plus l’intransigeance dominera, plus l’idée de grèves reconductibles gagnera les esprits.

Propos recueillis par C. Gu.


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