Discours de Jean-Luc Mélenchon au meeting du rassemblement antilibéral de la gauche à Montpellier

vendredi 24 novembre 2006.
 

Animateur du meeting : Jean-Luc, je ne vais pas te poser de question, je vais simplement dire que tu étais avec nous au soir du grand meeting de 2005 ; donc ce soir, tu es le bienvenu parmi nous. René Revol a décidé de te laisser son temps de parole, puisqu’il est comme toi au PRS, alors Jean-Luc, qu’as-tu à nous dire ?

Jean-Luc Mélenchon :

Eh bien cette question là est la plus facile !

D’abord je voudrais vous remercier tous, de la chaleur de votre accueil et des mots aimables qui ont été prononcés à mon égard, tout à l’heure. Soyez assurés que je les reçois avec beaucoup de chaleur et beaucoup de ferveur.

Ma position est assez singulière, vous le savez. Un vote est intervenu dans mon parti, hier soir et la première de ses conséquences est que je n’ai pas beaucoup dormi. J’espère que vous ne m’en voudrez pas, si cela pèse sur la qualité de mon élocution.

Un vote est intervenu et je ne cache pas ma déception. Je sais que le monde médiatique veut que, sitôt qu’un événement a eu lieu, on passe au suivant ; et comme par enchantement on oublie l’engagement, la peine, l’effort , la conviction que l’on a mis dans la défense d’un point de vue jusqu’a la veille. Ce n’est pas mon cas. Je ne suis pas un robot, je ne suis pas une machine. J’ai cru avec ferveur à ce que j’ai dit. Un vote donne une décision, il ne force pas une conviction, la mienne n’a pas changé.

Mais en même temps je veux vous dire sans détour , peut-être que je heurterais quelques uns d’entre vous, que ce vote exprime une réalité politique. Il a sa cohérence et c’est avec cette réalité là qu’il faut traiter. Et avec les mêmes objectifs que nous pouvions avoir avant qu’il soit intervenu . Je le dis parce que je fais partie peut-être d’une catégorie qui n’est plus bien en cours :

Les hommes et les femmes qui font partie d’une organisation, qui croient à la vertu du collectif, qui se sentent héritier d’une histoire et qui savent que cette histoire ne peut pas être transmise autrement que par nous-mêmes, les militants, les personnes qui luttent , ceux qui s’engagent , ceux qui prennent le risque parfois de leur carrière, de leur vie. Ne méprisons pas les organisations, sinon il ne nous restera plus que les sondages et les sondages sont toujours dans la main de ceux qui les paient .

Alors, qu’est ce que je fais ici ? En conscience, je crois qu’il est de mon devoir de dire de la même manière que je souhaite l’unité de toute la gauche pour battre la droite, que je la souhaite de toutes mes forces (parce que je ne sais pas comment on peut sans cela battre la droite), je dis avec la même clarté, tout socialiste que je suis : je souhaite de toutes mes forces le succès de la démarche que vous avez entreprise .

Je souhaite le rassemblement de la gauche représentée ici. Je souhaite qu’il aboutisse à une candidature commune car il est absolument inenvisageable, irresponsable de croire qu’un seul parti pourrait avoir à lui tout seul, la majorité ! Et j’ajoute que si vous vous laissez transformer en poussières additionnées , vous aurez dans les conditions mêmes avec lesquelles vous serez entrés dans le débat, réglé la sortie par laquelle vous passerez ensuite.

Il n’y a pas de contradiction à vouloir cette candidature commune et à vouloir l’unité de toute la gauche, c’est une seule et même chose et il faut avoir le courage de le dire en transcendant parfois ce qui paraît être l’aspect momentané d’un intérêt de parti, le mien en l’occurrence .

Pourquoi ? On a évoqué bien des arguments qui justifient l’importance du vote de 2007 ; à mon tour, je veux en évoquer deux qui me paraissent particulièrement ardents à cet instant :

Premièrement, l’état du continent . Chers amis, chers camarades, c’est la force de s’être instruit auprès des autres, d’avoir ouvert les livres, d’avoir écouté les générations précédentes de militants pour dire et savoir reconnaître que quelque chose de terrible est en train de se préparer . Faute d’alternative progressiste, alors que le libéralisme fait exploser les sociétés dans toute l’Europe, partout c’est l’extrême droite qui tient le dessus du pavé .

C’est cette catastrophe qu’il faut enrayer, c’est la responsabilité de notre génération politique . Celui qui reste une main en arrière, celui qui ne voit pas, celui qui sacrifierait à je ne sais quel intérêt du moment la claire conscience qu’il aurait de cette réalité, celui là vraiment manquera à sa classe, manquera à ses devoirs, manquera à sa patrie républicaine . Nous avons les moyens de détourner le coup qui s’annonce ! Nous en avons les moyens ! Le calendrier nous sert : en 2008 c’est la France qui a dit "non" qui préside l’Union Européenne. Ca ne sera plus le cas avant 2020.

Saisissons cette chance d’ouvrir une alternative pour la paix, et donc par le progrès social. Oui, nous pensions avoir réussi quelque chose depuis le référendum et avant, depuis 2002. Nous pensions qu’ayant tiré la leçon de 2002, au moins une des leçons, nous allions mettre au premier plan la question sociale et que c’est sur elle que chacun serait obligé de se prononcer. Et que voit on hélas, mille fois hélas ? Nous revoilà embourbés dans une discussion qui n’a pas de sens réellement vous le savez comme moi . Non, la France n’est pas malade de manque d’autorité, elle est malade de manque d’égalité, elle est malade d’inégalité. Réglez cette question là et vous en aurez réglé des centaines d’autres.

Quand la première fortune de France gagne 1 SMIC et demi annuel par heure . Quand les 60 premiers dans le tableau gagnent 5300 SMIC annuels et que dans le même temps, 7 millions de nos compatriotes sont pauvres, parmi lesquels 2 millions de travailleurs, alors il y a une injustice et celle-là est la mère de toutes les injustices, de toutes les violences .

400 000 sans-toits, 200 000 qui dorment par terre, 200 000 qui sont dans les campings, voilà la situation de la France au moment ou elle n’a jamais été aussi riche de son histoire. Le premier des tabous à vaincre c’est celui de s’habituer à l’idée qu’il est normal que les uns aient tout et les autres n’aient rien. Voilà les tabous qu’il faut briser. Qu’accumuler l’argent n’est pas un droit, que soulager la misère est un devoir. J’y mets de la passion, mais comment ne pas mettre de la passion quand on regarde des chiffres qui vous apprennent que le revenu salarial moyen a progressé en 10 ans de 3%, régressé d’1% pour les travailleurs et que dans le même temps, les actionnaires du CAC 40 ont vu leur bénéfices augmenter de 300% !.

Alors, nous savons très bien la difficulté de notre situation, nous savons très bien que la gauche, dans l’univers entier est en réinvention . Tout à l’heure José Bové et Marie George Buffet ont signalé quelque chose qui est très juste : aux portes de l’empire, des peuples qui sont bien plus désarmés que nous ne le sommes, ont le courage et l’audace de vouloir changer leur destin. Alors, nous aussi, nous sommes capables de réinventer la gauche ; cette réinvention est en train de se commencer, c’est à nous de la mener jusqu’à son terme et de lui faire subir le test, le seul qui compte pour un républicain, le test de la démocratie, le test du vote.

Que le peuple arbitre entre les différentes orientations politiques qui sont présentes à gauche. Et que cet arbitrage une fois rendu, nous ayons la sagesse d’accepter ensuite de nous rassembler pour battre l’adversaire. Mais que le peuple tranche d’abord, et qu’il puisse le faire en toute connaissance de cause . Je crois que vous ne devez pas accepter que se creuse le fossé que voudraient que s’établisse entre nous ceux qui ont tout intérêt à ce que nous nous divisions. Nous avons intérêt à ne pas accepter le partage des rôles que d’aucuns souhaiteraient et qui leur conviendrait si bien : A une certaine gauche la gestion et à l’autre la protestation naturellement impuissante.

Notre rôle est d’éduquer, d’éclairer, un grand peuple qui bien souvent est désorienté. Le rassemblement que nous voulons opérer ce n’est pas seulement l’addition des patrimoines électoraux de nos partis respectifs. C’est surtout la conquête des esprits de ceux qui sont totalement désorientés et ne savent de quel côté ils vont trouver leur salut, la possibilité de sortir par le haut. Ce sont ces masses innombrables qui ne savent que dire, que penser et qui étant frappées dans leur quotidien n’y trouvent pas les ressorts. Car lorsque l’on est dans la misère il n’est pas facile de se préoccuper des autres . Lorsque l’on doit s’occuper de son lendemain, il n’est pas facile de penser au surlendemain des autres. Ne l’oublions jamais, nous devons être le grand parti des exploités et des humiliés.

J’achève .

Chers amis, chers camarades . Je crois comme vous, sans doute je l’espère que le grand nombre a le droit non pas de rêver mais de voir ses rêves devenir des réalités . Le grand nombre n’aspire pas à empiler la richesse, il aspire à la vie douce, que les enfants soient correctement éduqués, que l’on puisse cesser de travailler lorsque le moment est venu et que l’on est fatigué, que l’on puisse aller en vacances, que l’on puisse être logés, que l’on puisse être nourris et chauffés .

Ce programme de la vie douce semble complètement incompatible avec l’ordre d’un système qui échoue en tout point . Que chacun d’entre nous quelle que soit sa place, et plus éminente est la place, plus éminent est le devoir, se demande comment être utile à cette noble cause . Je finis sur cette phrase de Jean Jaurès : « Assez parlé d’égalité, il est temps de faire des égaux »


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