Les théories républicaines des Modernes

vendredi 24 septembre 2010.
 

Les Fondements de la pensée politique moderne, de Quentin Skinner. Éditions Albin Michel, 2001, réédition 2009 (Oxford 1978), 930 pages, 25 euros.

L ’objet de cet ouvrage de l’historien britannique Quentin Skinner est de révéler les racines des concepts politiques modernes et leur développement dans le temps (du XIIIe au XVIesiècle) et l’espace (Italie, France, Angleterre, Espagne, Hollande)  : l’État comme mécanisme, la souveraineté du peuple, le contrat social, le droit de révolte, la séparation du politique et du théologique. L’auteur en voit l’origine chez Aristote et les Stoïciens, mais une origine enfouie par saint Augustin et le concept d’Empire. C’est contre l’empereur que les villes italiennes avancent les idées de liberté et de souveraineté qui seront reprises par les scolastiques parisiens, les réformateurs calvinistes, les jésuites espagnols, les huguenots français et les révolutionnaires anglais. Au contraire de Pierre Legendre, Quentin Skinner considère qu’il y a rupture entre les pensées moderne et médiévale, et au contraire de C. B. Macpherson, il ne croit pas que la politique moderne soit une invention de la bourgeoisie du XVIIesiècle.

La notion de liberté (souveraineté des entités politiques et choix des citoyens) est d’abord dirigée contre l’empereur vis-à-vis des cités italiennes, et justifie la résistance du peuple (Marsile de Padoue, Bartole). Cette résistance anti-impériale s’étend aux « tyrans », formule les notions de « vertu », de « fortune », cherche dans l’âge d’or romain un modèle qui sera égalé et dépassé. Le droit romain cesse d’être un impératif pour devenir un moment historique et, par contrecoup, la Bible subit le même sort, ouvrant la voie à l’étude comparative des systèmes juridiques (Bodin), comme aux critiques des injustices (Thomas More, Rabelais).

Les débats théologiques sur le statut du pape (élu de Dieu ou dépendant du concile) ouvrent la voie à Luther et sa critique de l’Église comme institution  ; mais, alors que Luther, fidèle à l’enseignement de saint Paul condamne les révoltes contre les princes, les protestants, au moment de la contre-attaque catholique (Marie Stuart, la Saint-Barthélemy…), seront amenés à réviser le paulinisme et à justifier la résistance à Charles Quint (Goodman en appelle aux devoirs envers Dieu), aux Valois (les huguenots s’allient aux féodaux contre l’absolutisme royal), puis développent une théorie du droit naturel (Buchanan, Althusius) qui fait les peuples libres à l’origine et le roi issu d’un contrat qu’il doit respecter  : on est tout près de John Locke.

Ce survol ne constitue pas un résumé de l’ouvrage mais une invitation à le lire, lequel se présente comme une encyclopédie d’histoire des idées indispensable pour ceux qui étudient la pensée politique « moderne », c’est-à-dire à partir des Lumières : il permet de mieux mesurer ce qui, en chaque auteur, est radicalement nouveau, ou réactif, ou reprise d’une tradition plus ancienne qu’on ne pourrait croire. La perspective moderne que ciblent ces pages impressionnantes d’érudition (plus de trois cents auteurs recensés, analysés, discutés) est l’époque contractualiste qui s’ouvre avec Hobbes. On peut regretter que Spinoza et les auteurs hollandais (remis à l’ordre du jour par les études sur « les Lumières radicales ») ne soient pas évoqués, de même que Rousseau et la tradition socialiste (Thomas More n’est pas envisagé sous cet angle). Mais ce livre fut écrit il y a trente ans, et il a ouvert bien des chantiers.

Yves Vargas, philosophe


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