Manifeste d’ATTAC : Construire un monde démocratique, solidaire et écologique

jeudi 23 novembre 2006.
 

Pourquoi Attac s’adresse à vous

Avec son Manifeste 2007, Attac se tourne vers les citoyennes et les citoyens. Ceux-ci vont être appelés à faire leurs choix lors des échéances électorales du printemps prochain. En proposant, pour le court et le moyen terme, des mesures alternatives au néolibéralisme pour la France, pour l’Europe et pour l’ensemble du monde, ce Manifeste vise à stimuler le débat public, tant à l’occasion qu’au-delà des élections, et à le recentrer sur l’essentiel. Tout donne en effet à penser que telle ne sera pas nécessairement la caractéristique première des programmes des candidats. C’est seulement s’ils bousculent le ronron de campagnes calibrées au millimètre par des agences de communication que les citoyennes et les citoyens pourront déplacer le curseur politique vers les réponses aux véritables enjeux, hors des postures médiatiques et de la langue de bois.

Notre association ne présentera ni ne soutiendra quelque candidat ou candidate que ce soit : elle n’est pas un parti politique, mais un mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action, et totalement impliqué dans la vie de la Cité. C’est de ce point de vue que nous nous adressons aux citoyennes et citoyens.

Dès sa fondation en 1998, Attac a identifié les politiques néolibérales menées partout dans le monde, et particulièrement en Europe et en France (quels que soient les gouvernements), comme la cause principale de la montée des inégalités, de la dislocation des sociétés par le chômage et la précarité, de l’insécurité sociale, de la prolifération des conflits militaires et de la violence aveugle, ainsi que de l’accélération du saccage de l’environnement.

Une rupture avec ces politiques ne se réduit donc pas à des considérations électorales, françaises ou autres. C’est un impératif de civilisation si nous voulons transmettre aux générations futures une planète encore habitable et vivant en paix.

Déjà, en 2005, par son travail d’analyse et d’explication, et par sa mobilisation sur le terrain, Attac avait joué un rôle déterminant dans la victoire historique du « non » au manifeste néolibéral qu’était le traité constitutionnel européen. Même si certains tentent de l’effacer de la mémoire nationale, le potentiel d’espoir de ce « non » est toujours présent. Nous en sommes collectivement et individuellement dépositaires. A nous de lui donner une nouvelle traduction en 2007 et dans les années qui suivront.

INTRODUCTION

Scier les sept piliers du néolibéralisme

Depuis le début des années 1980, nous sommes entrés dans une nouvelle ère : celle du néolibéralisme, c’est-à-dire du projet de destruction systématique de toutes les limites, politiques, sociales, écologiques au déploiement des forces du marché. Ses méthodes sont bien connues : marchandisation généralisée, liberté d’action des patronats et des investisseurs, extension à l’ensemble de la planète du terrain de chasse des entreprises transnationales.

Ses objectifs sont également sans équivoque : donner toujours plus de poids aux propriétaires du capital dans le rapport de forces, déjà très inégal, avec les salariés. Le néolibéralisme se nourrit, en même temps qu’il les engendre, des fortes inégalités entre catégories sociales, entre pays, et également entre hommes et femmes, les bas salaires, comme on le sait, étant majoritairement féminins. Lorsque le FMI ou la Banque mondiale imposent aux pays endettés le démantèlement des services publics - éducation, santé, garde d’enfants, cantines, etc. - ce sont les femmes qui jouent le rôle d’« amortisseur social" : en plus de leur activité quotidienne, elles sont contraintes d’assumer les tâches qui ne sont plus prises en charge par la collectivité. Enfin, le néolibéralisme promeut des comportements individuels renvoyant à l’image sociale de la virilité - course au pouvoir et à l’argent, compétition et agressivité -, au détriment de valeurs comme la solidarité et la coopération.

La mise en œuvre de ce projet passe par une discipline supplémentaire imposée aux travailleurs, par la pression sur leur pouvoir d’achat, par le démantèlement des protections sociales et, corollairement, par la distribution éhontée de revenus exorbitants aux plus favorisés : hauts gestionnaires, actionnaires et créanciers. Dans le système productif, une nouvelle hiérarchie s’est instaurée entre les groupes géants et les petites et moyennes entreprises (PME) sous-traitantes et fragilisées. La cascade des donneurs d’ordre a dilué la responsabilité sociale et écologique des grandes sociétés. Certes, l’extension internationale de leur champ d’action est un processus antérieur au néolibéralisme, mais celui-ci lui a donné une violence renouvelée. Les multinationales françaises, telles Carrefour, Suez, Vivendi, Véolia, EDF ou France Télécom, comptent parmi les plus agressives. En matière agricole, l’imposition du productivisme et l’introduction d’espèces génétiquement modifiées, ruinent l’agriculture paysanne, détruisent l’environnement et portent atteinte à la biodiversité.

Ce nouvel ordre social mondial est inséparable du durcissement du rapport de forces entre les pays les plus avancés, Etats-Unis en tête, et les autres. Les Etats-Unis siphonnent les épargnes des autres pays et les investissent chez ceux d’entre eux où des profits considérables peuvent être réalisés. L’Europe aspire à partager ce statut privilégié de prédateur, mais elle y parvient avec moins d’efficacité. Des pays dits « émergents », comme la Chine et l’Inde, entrent dans la ronde de cette nouvelle économie mondiale en bradant le travail de leur main-d’œuvre et en exacerbant ainsi la concurrence avec les salariés du « premier monde ». Ces derniers, soumis au chantage à l’emploi, se retrouvent le dos au mur pour préserver des avancées sociales conquises de haute lutte au cours des décennies passées. Loin de constituer une protection contre cette spirale à la baisse, les politiques de l’Union européenne contribuent à l’accélérer sous la bannière de la « concurrence libre et non faussée », tant en son sein que dans le reste du monde.

Par ailleurs, la dette contractée par beaucoup d’Etats de ce qu’on appelait autrefois le « tiers-monde » - quand ceux du « socialisme réel » en formaient un deuxième - est devenue un fardeau insupportable du fait de la hausse formidable des taux d’intérêt imposée par les Etats-Unis à partir de 1979. Cet endettement est utilisé comme un levier pour les faire passer sous les Fourches Caudines de l’ordre néolibéral.

Aussi, pour construire un monde démocratique, solidaire et écologique, ce sont sept piliers fondamentaux non pas de la sagesse, mais du néolibéralisme, qu’il faut préalablement scier.

Premier pilier : le libre-échange et la libre circulation des capitaux

Le libre-échange, c’est l’ouverture de toutes les frontières commerciales par la disparition graduelle des droits de douane, des obstacles non tarifaires et des limitations quantitatives aux échanges de biens et de services, indépendamment de toute considération sociale, écologique et de droits humains. Ainsi, l’intégrisme libre-échangiste détruit - c’est son objectif même pas camouflé - la capacité des Etats à définir des politiques économiques autonomes répondant aux aspirations de leurs citoyens. D’innombrables traités bilatéraux, à l’initiative des Etats-Unis auxquels l’Union européenne (UE) emboîte désormais le pas, imposent ces nouvelles règles que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) vise à rendre universelles.

La libre circulation des capitaux, c’est la totale latitude laissée à leurs détenteurs de les placer ou de les investir dans les pays de leur choix, notamment dans des paradis fiscaux. Tout se tient : la production se fera là où le travail est le moins cher, là où les normes environnementales et fiscales sont les plus laxistes et là où l’ordre règne. La parfaite mobilité des capitaux conduit à la mise en concurrence directe des travailleurs et des systèmes sociaux des pays du centre du capitalisme avec ceux de la périphérie, pour le plus grand profit du capital financier.

Libre circulation des capitaux et libre-échange intégral sont les deux aspects indissociables du processus de marchandisation qui affecte progressivement toutes les activités humaines, hors de tout contrôle démocratique.

Le laminage des souverainetés populaires - s’exerçant dans un cadre national ou supra-national - n’est pas tombé du ciel : il est le produit de décisions - parfois volontaires, parfois contraintes - de gouvernements théoriquement souverains. L’UE représente un cas d’école de ce mélange de démission délibérée des gouvernements et d’application, non moins délibérée, par ceux-ci des dogmes du néolibéralisme. Ce sont bel et bien les gouvernements, lors des conseils des ministres et des Sommets européens, qui mettent en œuvre des orientations faisant de la « concurrence libre et non faussée » l’alpha et l’oméga de la construction européenne. Ce sont ces mêmes gouvernements qui justifient ensuite ces orientations auprès des peuples, au nom de « contraintes » européennes qu’ils ont eux-mêmes créées. Notons au passage que les traités européens, et notamment le TCE rejeté par les peuples français et néerlandais, donnent au libre-échange des biens et des services et à la liberté de circulation des capitaux le statut de « libertés fondamentales »...

L’objectif, aujourd’hui, est que les peuples puissent exercer leur souveraineté, c’est-à-dire décider réellement de la société dans laquelle ils veulent vivre, des politiques qu’ils veulent voir mener et des institutions qu’ils veulent voir construire.

Deuxième pilier : la nature comme réservoir inépuisable et comme dépotoir

Pour les néolibéraux, qui ont poussé les ravages de l’économisme à un point jamais atteint, la nature est d’abord un stock dans lequel on peut puiser sans limites, et une gigantesque décharge publique dans laquelle on jette tout ce qui est devenu obsolète. Un réservoir et un dépotoir. Dans les deux cas, ce sont les pays les plus démunis qui paient le prix fort : d’un côté, accaparement des ressources naturelles et de la biodiversité par les multinationales du Nord ; de l’autre, « accueil » des déchets polluants et dangereux.

Le risque d’irréversibilité de certains phénomènes, comme le réchauffement climatique dû aux émissions de gaz à effet de serre, a beau faire consensus au sein de la communauté scientifique mondiale, il est tenu pour nul et non avenu par le président Bush, porte-parole patenté des lobbies pétroliers,. Il est aussi consciemment ignoré par nombre d’autres gouvernements. Quant à l’épuisement inéluctable des ressources énergétiques et minérales, il est seulement appréhendé en termes de marché. N’est-il pas significatif que le seul élément qui ait quelque peu fissuré les certitudes néolibérales soit le récent rapport rédigé par Nicholas Stern, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, qui chiffre à 5 500 milliards d’euros le coût économique de la catastrophe écologique annoncée, à 200 millions le nombre de personnes déplacées qu’elle entraînera, et à 40 % du total la disparition des espèces vivantes ?

S’articulant intimement avec le processus de marchandisation, et le poussant à l’extrême avec la privatisation du vivant, cette conception de la nature ne peut qu’être rejetée sans appel .C’est un modèle de développement radicalement nouveau, fondé sur la reconnaissance de biens publics mondiaux et de biens communs (l’eau en particulier) qui, de toute urgence, doit être promu pour l’ensemble de la planète, avec une juste répartition des contraintes entre le Nord et le Sud. En n’oubliant jamais que le Nord a une dette écologique considérable vis-à-vis du Sud.

Troisième pilier : la mise sous tutelle de la démocratie

Les néolibéraux ont toujours prétendu que les libertés politiques étaient inséparables des « libertés » économiques. C’est d’ailleurs la logique mise en œuvre par l’UE dans l’élargissement aux pays de l’ex-« bloc socialiste » pour les contraindre à privatiser, ou plutôt brader les entreprises publiques aux intérêts étrangers et aux nomenklaturas et mafias locales. Les exemples, entre autres, du Chili de Pinochet et de la Chine actuelle montrent bien que libéralisation économique et autoritarisme, voire dictature, font parfaitement bon ménage.

Si les investisseurs ont un faible pour les régimes « forts », ils savent aussi s’accommoder de la démocratie représentative dont les limites favorisent l’émergence d’une aristocratie élective. Les milliers de lobbies ayant pignon sur rue à Washington, à Bruxelles et dans les autres grandes capitales, et disposant de budgets quasiment illimités, veillent au grain pour empêcher toute législation hostile aux intérêts des grandes entreprises. Il est, à cet égard, révélateur que les OGM, pourtant massivement rejetés par les opinions publiques européennes, soient néanmoins autorisés par la Commission européenne et les gouvernements.

Le système médiatique, acteur de la mondialisation libérale et vecteur de propagation de son idéologie, joue un rôle central dans le confinement de la pratique démocratique. C’est lui qui fixe les limites des choix politiques possibles, en gros entre le pareil et le même. Tout ce qui est extérieur à un « cercle de la raison », qu’il a lui-même défini, est diabolisé comme une intolérable manifestation d’ « archaïsme », de « corporatisme » et surtout de « populisme ». Cette dernière appellation est de rigueur pour caractériser et tenter de déconsidérer les politiques de récupération des ressources naturelles et de redistribution des richesses au profit des catégories populaires, telles qu’elles sont mises en œuvre dans des pays comme la Bolivie et le Venezuela.

Faire sauter cette chape de plomb et libérer la démocratie de ses tutelles est la condition sine qua non de la construction d’un autre monde possible. Cela passe notamment par la mise en place de nouvelles formes de participation populaire complétant les formes classiques de représentation, par une formation à la citoyenneté dans le système éducatif et par des mesures garantissant le droit d’être informé et le droit d’informer.

Quatrième pilier : Des politiques publiques au service des propriétaires du capital

A tous les niveaux - local, national, régional, comme au sein de l’UE ou au plan international -, les politiques néolibérales ont fait reculer systématiquement les régulations publiques au profit du « tout-marché ». Les politiques publiques n’ont cependant pas disparu : elles se sont transformées pour développer l’« attractivité » des territoires, c’est-à-dire pour permettre la réalisation d’un taux de profit maximal par les entreprises. Elles privilégient désormais la stabilité de la monnaie, les taux d’intérêt réels élevés (compte tenu des faibles niveaux d’inflation), et les libertés de circulation des biens, des services et des capitaux, avec pour accompagnement inévitable, la déréglementation en matière sociale et environnementale...

La préoccupation de mettre un terme au chômage a fortement reculé ou complètement disparu. La protection sociale n’est plus perçue comme un objectif de civilisation, mais comme une contrainte pesante pour les entreprises, leurs actionnaires et les contribuables riches.

Ce volet des politiques a aussi une dimension internationale. Ainsi le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, créés à la fin de la Deuxième guerre mondiale pour faciliter les échanges, sont devenus, partout où ils interviennent, les gendarmes néolibéraux les plus efficaces pour démanteler les services publics et pour servir les intérêts des créanciers internationaux. La responsabilité du FMI, par exemple, a été écrasante dans les crises dévastatrices des années 1990, comme en Corée du Sud ou en Argentine. Il serait cependant malhonnête de dédouaner les Etats : le FMI est une organisation multilatérale, et s’il prend essentiellement ses consignes au département du Trésor des Etats-Unis, ses politiques ont également l’aval des autres gouvernements siégeant à son Conseil d’administration, dont ceux de la France et de ses principaux partenaires européens.

C’est la récupération de leur capacité d’intervention qui peut permettre aux citoyens de mettre en place les régulations qu’ils estiment nécessaires, et en particulier de créer de nouveaux services publics, tout en améliorant le fonctionnement de ceux qui existent, et en déprivatisant ceux qui ont été privatisés.

Cinquième pilier : dans l’entreprise, tout pour les actionnaires

Dans les entreprises, le grand tournant des années 1980 a entraîné un recentrage des objectifs de gestion au service exclusif des actionnaires. Donc à un nouveau partage de la richesse produite entre salaires et profits, beaucoup plus défavorable aux travailleurs. Ce résultat a été atteint par le versement aux managers de rémunérations parfois astronomiques afin de faire coïncider leurs intérêts avec ceux des actionnaires, et de les dissocier de ceux des salariés.

Ces pratiques ont remis en question les modes antérieurs de gestion de l’après-guerre, fondées sur un jeu plus équilibré entre travailleurs, pouvoirs publics et propriétaires du capital. Les profits étaient alors largement conservés par les entreprises et investis dans l’appareil productif, créant ainsi des emplois. Ils sont désormais distribués aux classes aisées. Ce sort royal fait aux actionnaires ne profite guère aux investissements, puisque, dans leur quasi totalité, les transactions financières sont étrangères à leur financement.

En donnant tous les pouvoirs aux actionnaires, au mépris des autres acteurs, en premier lieu les salariés et les territoires, qui n’ont pas leur mot à dire sur les décisions qui les concernent directement, tels les licenciements et les délocalisations, la pratique néolibérale a fait de l’entreprise une zone interdite de démocratie. Cette exception doit prendre fin.

Sixième pilier : la guerre permanente et les politiques sécuritaires

L’« économie de prédation » des grandes puissances trouve son prolongement dans la « guerre permanente » pour le contrôle des ressources naturelles, notamment énergétiques, dont des pays peu développés sont dotés, et dont les pays riches ont besoin. Mais cet usage de la guerre est d’abord l’expression d’une volonté de domination beaucoup plus générale. Les Etats des pays les plus puissants, pour l’essentiel regroupés dans l’OTAN sous la houlette de Washington, et leurs appareils guerriers et policiers, sont le bras armé, non pas d’une « main invisible », mais des intérêts des sociétés transnationales et des classes qui les régissent.

Pour satisfaire leurs appétits illimités, les grandes puissances et leurs alliés régionaux (Israël en particulier), s’appuient sans vergogne sur des courants rétrogrades ou des régimes politiques réactionnaires. Elles ouvrent la voie à la montée des intégrismes religieux et au développement d’un terrorisme qu’elles ont antérieurement encouragé, tout en pratiquant elles-mêmes le terrorisme d’Etat, chaque fois qu’elles le jugent nécessaire.

Le néolibéralisme n’a évidemment pas inventé ces pratiques d’intervention aux quatre coins de la planète, qui mobilisent toutes les formes de la violence, la corruption, la subversion ou la guerre, mais il les a systématisées. Le rôle central des Etats-Unis dans cette situation de confrontation dramatique, et dans l’accélération du militarisme en général, est évidemment écrasant. Cette prééminence ne doit cependant pas occulter celle des autres grands pays développés, notamment de la France, et les stratégies des élites d’Etats fortement militarisés qui aspirent à partager les bénéfices de la mondialisation néolibérale.

La montée des totalitarismes et des intégrismes que provoque la mondialisation libérale est utilisée pour justifier le renforcement des politiques sécuritaires dans les pays riches. Par un extraordinaire tour de passe-passe, le néolibéralisme produit ainsi lui-même les dangers qu’il prétend combattre. par la militarisation. L’exemple de l’Irak est à cet égard aveuglant de clarté.

Septième pilier : la disneylandisation des esprits

Les néolibéraux ont parfaitement compris que ce sont aussi les idées qui gouvernent le monde. Leur entreprise de restauration idéologique a commencé dès les années 1950, pour devenir hégémonique dans les années 1980. Elle se perpétue par un effort permanent de propagande pour faire intérioriser l’idée que, les choses étant ce qu’elles sont, la mondialisation est non seulement inévitable, mais souhaitable, et que l’on ne peut que s’y adapter en attendant qu’elle répande un jour ses bienfaits à tous. Et si elle tarde à le faire, c’est justement parce qu’elle est encore incomplète...

Ce discours intéressé de la résignation et du fatalisme est tenu par les grands médias, par la plupart des « élites » administratives, politiques, économiques, et même parfois syndicales. Il trouve ses fondements « scientifiques » dans la production de la majorité des économistes, certains « Prix Nobel » en tête. Et l’échec du « socialisme réel » ne facilite pas la réceptivité à des modèles volontaristes procédant de projets collectifs, aussitôt assimilés par les porte-parole et porte-plume du néolibéralisme à du « totalitarisme ». C’est là le principal défi posé au mouvement altermondialiste, lui-même divisé sur le sujet.

Il reste que le bourrage de crâne néolibéral que nous subissons depuis plus d’un quart de siècle se heurte, partout dans le monde, à la réalité vécue par la grande majorité des citoyens. D’où la nécessité où il se rouve, par mesure de précaution, de le légitimer en lui donnant un accompagnement « culturel » ou, plus exactement, anti-culturel. Les néolibéraux, habités par le fantasme d’un marché planétaire aussi lisse qu’une boule de billard, sans aspérité d’aucune sorte, voient en effet dans les langues et les cultures, de même que dans les croyances religieuses, les convictions politiques et idéologiques, des éléments qui découpent, segmentent et font obstacle à la circulation sans frontières des marchandises et des services, en tout premier lieu des services audiovisuels. Leur idéal humain est celui d’un consommateur s’épanouissant dans un Disneyland partout identique, quel que soit l’endroit de la planète où il est implanté.

C’est pourquoi les Etats-Unis sont aussi virulents dans la promotion de leurs industries des images et du divertissement, qui a comme triple effet de contribuer en positif à leur balance commerciale, de propager une vision idéalisée de l’American Way of Life, et d’empêcher les créations culturelles véhiculant un imaginaire spécifique. Dans les traités commerciaux bilatéraux qu’ils signent avec leurs partenaires, ils imposent régulièrement l’interdiction des aides publiques à la création cinématographique, la suppression des quotas de diffusion d’oeuvres nationales et même la non ratification de la Convention sur la diversité culturelle, pourtant votée à la quasi unanimité à l’Unesco en 2005.

Cette politique a son volet linguistique : l’imposition de l’anglais, langue de la globalisation, comme vecteur unique de la communication internationale. Cette imposition a déjà fait l’objet, en France, de recours devant les tribunaux engagés par des syndicalistes, au nom du droit de travailler dans sa langue, contre des directions d’entreprises maniaques du « tout-anglais »,. Elle est cependant fortement préconisée par les « élites » citées plus haut, par une partie de la haute administration, notamment celle du ministère de l’éducation nationale et, avec un particulier acharnement, par la Commission européenne.

Le mirage d’un « monde enchanté » et aseptisé, à la Disneyland, suscite des réactions identitaires, pouvant dégénérer en nationalisme borné ou en intégrisme religieux qui, d’ailleurs, s’accomodent parfaitement des politiques néolibérales. Face à l’universalisme marchand et aux replis et régressions qu’il entraîne, le mouvement altermondialiste se doit de proposer un nouvel internationalisme fondé sur la souveraineté populaire et l’accès aux droits pour tous les êtres humains,

Le refus de ce qu’il faut bien appeler un impérialisme culturel et linguistique est une des composantes essentielles du combat contre le néolibéralisme. Comme l’est, par voie de conséquence, la promotion de la diversité des cultures (dès lors qu’elles ne sont pas en contradiction avec les droits humains), ainsi que des langues, en particulier par la coopération entre les grandes zones géolinguistiques : arabophonie, francophonie, hispanophonie, lusophonie, etc.


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