26 août 1970-2010 : quarante ans Le bel âge du féminisme

jeudi 26 août 2010.
 

Le 26 août 1970 marque la date symbolique 
de la naissance du Mouvement de libération des femmes. Quarante ans plus tard, la nouvelle génération de militantes affiche sa fierté d’appartenir à cette lignée 
de personnes 
qui relèvent la tête.

Osez le féminisme. L’appellation sonne comme une réhabilitation, une ré-appropriation. Le nom de l’association, créée en 2009, a jailli comme un cri du cœur de ses fondatrices Julie Muret (voir portrait ci-contre) et six autres jeunes femmes. « Nous voulions relever la tête, être fières de l’héritage », commente la trentenaire. La militante est à peine plus âgée que Cathy Bernheim (1) quand celle-ci participa, le 26 août 1970, à une journée qui allait ébranler l’histoire des rapports entre les hommes et les femmes en France.

Ce jour-là, Cathy Bernheim arrive à l’Arc de triomphe, place de l’Étoile, à Paris, pour déposer avec ses camarades une couronne de fleurs dédiée à la femme inconnue du soldat. « On avait opté pour une opération d’éclat, se remémore-t-elle, car on n’était qu’une poignée, dont Christiane Rochefort, Anne Zelensky ou Christine Delphy. On voulait tordre le cou à l’idée émise dans la presse selon laquelle les Françaises n’avaient pas de problèmes avec les hommes ».

L’action concoctée secrètement attire les journalistes mis dans la confidence. Cathy Bernheim raconte  : «  On a commencé à déployer nos banderolles sur lesquelles on avait écrit “un homme sur deux est une femme”  » ou encore ”il y a plus inconnu que le soldat inconnu  : sa femme”. On portait la couronne à bout de bras, solennellement en s’approchant du tombeau. Mais on a été empoignées par les gardiens de la paix, qui ont confisqué les banderoles et embarqué certaines d’entre nous.  » Il n’empêche, photographes et cameramen arrivent tout de même à immortaliser l’événement annonciateur du Mouvement de libération des femmes (MLF).

L’initiative à l’Arc de triomphe a «  concentré l’essence de ce qui serait notre mouvement, sa pensée, sa démarche, ses formes d’intervention, explique Anne Zelensky (2), présidente de la Ligue du droit des femmes, cofondée avec Simone de Beauvoir en 1974. Toute la griffe MLF était là. Sauf que le label, nous ne l’avons jamais choisi, il nous a été plaqué de l’extérieur, par analogie avec le Women’s Lib américain. Nous, notre nom, c’était le Mouvement.  » L’action relayée par les médias a rendu visibles les groupes de femmes existant ici et là en Mai 68. En octobre 1970 paraît un numéro spécial de la revue Partisans titré « Libération des femmes, année zéro ». Ce numéro «  atteignait des femmes qui n’avaient pas participé aux premières réunions et qui, du même coup, découvraient, ravies pour la plupart, qu’un Mouvement de libération des femmes était né en France. Ce fut mon cas  », relate Martine Storti (3), présidente de l’association 40 ans du MLF. «  Dans ce numéro, on trouve quasiment tous les thèmes qui allaient devenir les enjeux des luttes féministes pour la décennie à venir  : sexualité, viol, avortement, famille, maternité, travail domestique  », note-t-elle.

Mais le Mouvement féministe des années 1970 ne se contente pas de dénoncer l’avortement clandestin. Il s’est créé pour s’opposer à l’oppression, un terme inédit à l’époque, qui remplace celui de «  condition féminine  ». Le vocable «  libération  » effaçait, quant à lui, celui d’«  émancipation  ». «  Nous avions compris que les droits arrachés à l’éducation, au travail et au vote demeuraient pures théorie tant que nous n’avions pas les moyens de les exercer, explique Anne Zelensky. Tant que nous n’avions pas la liberté de disposer de nos ventres et de nos corps, confisqués.  » Le mouvement se caractérise à ce moment-là par sa radicalité, il se voulait accoucheur d’un monde nouveau, débarrassé du patriarcat et du machisme. «  Nous étions, pour la plupart, dans l’utopie du changement global, ce qui obligeait à démêler tous les fils, à se battre sur tous les fronts  : contre la droite, la gauche, les gauchistes, les patrons, les juges, les maris, les camarades  », raconte Martine Storti. L’égalité, pour les féministes «  historiques  », comme on les nomme aujourd’hui, n’est pas l’aboutissement de leur mouvement, mais un marchepied pour aller à la conquête «  d’une autre manière d’appréhender le monde et d’y vivre, hommes et femmes ensemble  », analyse Anne Zelensky. Ces «  historiques  », en décidant de célébrer les 40 ans du Mouvement, entendent transmettre leur histoire, comme leurs aînées ont tenté de passer le relais. «  Notre rôle est de faire émerger la mémoire, d’accompagner les nouvelles générations. Redire encore et encore que les profonds changements intervenus dans la vie des femmes résultent des luttes menées  », souligne Monique Dental, militante féministe d’hier et d’aujourd’hui. Pour l’animatrice du réseau féministe Ruptures, initiatrice de la commémoration de ce quarantième anniversaire, «  il faut poser le féminisme comme une action politique pour changer la société politiquement, en profondeur, et pas uniquement par rapport à la question sociale  ».

Paradoxalement, alors que les idées portées par les féministes se sont répandues dans la société comme une traînée de poudre, on en a dénié leur appartenance au féminisme. Celui-ci a été le mouvement le plus important de la seconde moitié du XXe siècle. «  Il a réussi à ébranler une des dominations les plus universelles et sans recours à la violence, affirme Monique Dental. Il a rendu illégitimes le machisme et le sexisme partout dans le monde.  »

Peut-on aujourd’hui parler d’un mouvement féministe  ? Bien des militantes déplorent qu’il se limite à un «  remaillage des trous du patriarcat  » et regrettent son incapacité à promouvoir une organisation globale et une présence visible sur la scène politique. La preuve, selon elles, le glissement sémantique qui fait que l’on ne parle quasiment plus de «  mouvement féministe  », mais de «  droits des femmes  ». Sensible aussi bien au sein des associations, des syndicats que des partis politiques, ce mouvement, selon Monique Dental, «  ne voit plus les inégalités de sexes comme structurelles à la société patriarcale. Il interprète le féminisme comme une action sociale. Or, elles ne sont pas uniquement le produit du capitalisme  ». La question de la primauté, de la priorité et de l’articulation entre patriarcat et capitalisme qui agitait les féministes au début des années 1970 traverse les féministes des années 2000, d’autant plus crucialement que l’exploitation capitaliste actuelle creuse les inégalités entre les hommes et les femmes.

Il n’empêche, une nouvelle génération d’associations féministes, comme la Barbe, Femmes solidaires ou Osez le féminisme, revendiquent la philosophie féministe. Elles se disent «  fières  » d’appartenir à cette lignée de femmes politiques qui ont transformé la vie. Julie Muret estime que le temps est venu «  de retrouver l’insolence des “historiques’’. Elles avaient tellement d’imagination, d’audace…Nous, nous sommes plus pragmatiques. On ne veut peut-être pas la révolution. Si, quand même, mais en s’ancrant dans la réalité d’aujourd’hui. Nous nous trouvons devant une telle remise en cause, que nous en sommes contraintes à défendre nos acquis.  » Sans doute la tâche la plus urgente en ce nouveau cycle du féminisme consiste-t-elle à réduire le fossé creusé entre une des législations les plus avancées du monde et les résistances toujours à l’œuvre.

(1) Perturbation ma sœur, de Cathy Bernheim, réédition en octobre 2010, Éditions du Félin.

(2) Histoire de vivre, mémoires d’une féministe, d’Anne Zelensky, Éditions Calmann-Lévy.

(3) Je suis une femme, pourquoi pas vous  ?, de Martine Storti, Éditions Michel de Maule.

Mina Kaci dans L’Humanité du 26 août 2010


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