Biocoop : de la coopérative militante bio au supermarché ?

dimanche 15 août 2010.
 

Le réseau Biocoop compte plus de 300 magasins. Son statut coopératif en fait un spécimen un peu à part au pays de la grande distribution alimentaire. Mais le marché des produits bio, qui a enregistré une croissance de 25 % en 2008, attise les convoitises. L’éthique et les valeurs sociales de Biocoop sont aujourd’hui menacées par les logiques de compétitivité à tout prix, aux dépens des salariés et des fournisseurs. Comment y résister ?

Le réseau Biocoop peut-il perdre son âme ?

15% : c’est la croissance du chiffre d’affaires 2009 de Biocoop, soit 450 millions d’euros. De quoi faire rêver nombre d’entreprises ! Créé en 1986, « le premier réseau de magasins bios » de France enregistre, depuis une quinzaine d’années, une impressionnante augmentation de son activité : doublement du nombre de magasins (environ 320) et croissance du chiffre d’affaires à deux chiffres (allant parfois au-delà de 20% par an). Le nombre de salariés a, lui aussi, explosé. Ils sont aujourd’hui 700 (3.000 en intégrant les magasins). « Biocoop maintient sa ligne de conduite en matière de recrutement et d’accompagnement de porteurs de projets, méthode qui se différencie largement de celles des autres acteurs du marché : les valeurs, l’éthique, la volonté de développer l’agriculture biologique et un esprit coopératif sont des critères de recrutement », aime à répéter le service de communication de la société. Son slogan : « Ensemble pour plus de sens ». Il semble pourtant que la guerre commerciale autour du bio menace ce beau projet. Sa réussite économique risque, paradoxalement, d’entraver son dynamisme coopératif.

Méthodes importées de la grande distribution ?

À partir des années 2000, Biocoop, victime de son succès, recrute des personnes issues de la grande distribution. Certains déplorent un changement de culture au sein du réseau coopératif. En cause notamment : les promos à gogo. « Nous avions l’habitude d’en faire deux par an. Une l’été, l’autre l’hiver », explique Claude le Bourhis, gérant d’une société coopérative (Scop) de distribution de produits bios, l’Ilot bio à Concarneau (Finistère). Exclu du réseau en 2009 « pour cause de désaccords politiques et de conflits d’intérêt sur l’ouverture d’un second magasin dans le secteur », il se souvient avoir été invité par Biocoop à proposer plus de 25 promotions dans la même année. « Pour nous, un produit a un prix, point. Je comprends qu’il faille parfois en mettre un en avant. Mais tout est question de mesure. De plus, mobiliser à outrance les magasins et les fournisseurs pour obtenir un prix promotionnel porte atteinte au reste du travail. »

Pour Claude Le Bourhis, Biocoop pratique « un copier-coller des méthodes de la grande distribution dans le rapport aux producteurs, au salariés et aux clients ». Le PDG de Biocoop, Claude Gruffat défend son choix : « Nous avions besoin de compétences métier. Et ces compétences, on les trouve chez des personnes issues d’enseignes qui n’ont pas les mêmes valeurs que nous. Où aurions-nous pu recruter, sinon ? De toute façon, ces personnes ont intégré le projet et les valeurs de biocoop. »

La vie coopérative bat de l’aile

Vers une confédération ?

Inégalités salariales et travail de nuit

Des producteurs plutôt satisfaits

Les producteurs, partenaires privilégiés de Biocoop, demeurent cependant globalement satisfaits. Dominique Marion est agriculteur en Charente-Maritime et préside la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB). Membre du CA de Biocoop et de son comité d’éthique, il estime que l’entreprise « reste un réseau de distribution différent. C’est le seul à laisser une telle place aux producteurs, à travailler sur la mise en place de filières durables, allant du producteur au distributeur en passant par le transformateur. Nous avons eu vent de rumeurs négatives, effectivement. Mais nous n’avons aucun retour concret de producteurs qui se plaindraient de pressions. Nous serons évidemment attentifs. Si Biocoop ne joue pas le jeu, on le leur dira. Mais pour le moment, nous ne sommes pas inquiets. »

La pression sur les fournisseurs, évoquée par plusieurs témoins, se traduit parfois par un simple dé-référencement. « Référencer une multitude de producteurs de petite taille coûte cher. Du coup, le choix est fait d’en exclure certains, note Claude Le Bourhis. Cela a des conséquences très importantes pour les petits structures, que Biocoop prétend par ailleurs défendre. » Comme dans le cas de Thomas Le Jardinier, ancien agriculteur et fabricant de pâtés végétaux. Malgré un chiffres d’affaires en progression,il perd sa référence en 2008 sur 18 produits, après huit années de travail avec les plate-formes. « Je sentais les choses venir. J’avais vu débarquer dans les rayons des magasins les produits d’un concurrent qui propose des prix 30% inférieurs aux miens ». 2008, c’est aussi l’année de la crise financière. Interdit de découverts bancaires, sa société se retrouve en redressement judiciaire. « J’ai dû licencier les trois salariés avec lesquels je travaillais. J’ai pu écouler le stock de six mois qui me restait grâce à la solidarité de certains magasins. Et je me suis réorganisé. » Aujourd’hui, il travaille de nouveau seul, avec un appui pour les aspects administratifs. Il s’en est sorti, mais estime « ne pas avoir été traité avec respect ». « Il y a un risque réel pour Biocoop de se faire bouffer par le commerce. Il ne faut pas qu’ils oublient leurs origines ! »

Biocoop, toujours mieux que les hypermarchés

« Il est vrai que la question du commerce est souvent mise en avant au sein du CA, constate Carole Prost, de Bio consom’acteurs, Mais c’est par là que passe la survie des magasins ! En 2009, la croissance a été moindre. Et la concurrence est très forte. Certains consommateurs Biocoop partent vers la grande distribution. » Pourtant, le bio en hypermarché affiche des prix supérieurs à ceux des magasins spécialisés, soulignent Les Dossiers du Canard enchaîné publiés en avril. « Une enquête de l’UFC Que Choisir l’a révélé fin janvier : le panier de produits bio de marques de distributeurs (MDD) est 22% plus cher que le panier de grandes marques classique », note ainsi l’auteur de l’article.

Biocoop « peut aussi se vanter de sa plus-value traçabilité », défend Carole Prost. « Dans beaucoup de produits de grande surface, par exemple, il y a de la lécithine de soja non bio et donc un risque d’OGM. Idem pour tout ce qui est arômes naturels. Nous, consommateurs, maintenons une forte pression sur cette exigence de qualité. Au sein du CA de Biocoop, il n’y a pas de conflits à ce sujet. »

Dans un contexte concurrentiel de plus en plus rude, Claude Gruffat assure que le « sens » et la « cohérence » doivent demeurer au cœur du réseau, même au prix de quelques « efforts » en matière de compétitivité. La question à 450 millions d’euros (le chiffre d’affaires de Biocoop en 2009) est : où s’arrêtent les compromis et où commencent les compromissions ? Réunis en congrès national ces 13 et 14 juin, les membres du réseau devront se prononcer. Le distributeur de produits bio allemand Alnatura a renié ses valeurs et en paie aujourd’hui le prix, montré du doigt pour sa politique de bas salaires. Biocoop est prévenu.

Nolwenn Weiler le 10 juin 2010

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