1940, 1945 : Autour de l’appel du 18 juin. Mythes et réalités...

dimanche 8 août 2010.
 

On célèbre ce mois-ci le 70e anniversaire de l’appel du 18 juin 1940, et ce n’est pas seulement l’occasion choisie par Villepin pour annoncer la formation de son parti. De la droite à la gauche institutionnelle, on en profite pour invoquer la «  résistance  », « l’unité » et la «  solidarité  » «  de tous les Français  » face à la crise et aux périls qui nous menacent… Mais que représentait vraiment de Gaulle, qu’a-t-il réalisé et comment  ? Laissons d’abord parler l’historien de droite (à la fois pétainiste et gaulliste…) Robert Aron  : «  De Gaulle, c’est l’homme qui eût dû réaliser en France sinon certes la Révolution nationale de Pétain, du moins une révolution nationale. Tout l’y incite  : sa tradition familiale, ses premières amitiés, son tempérament, hostile comme il le dira à la ‘‘démocrassouillerie’’, sa conception de l’État et sa formation chrétienne, enfin son patriotisme inflexible.

«  Le drame, c’est que politiquement parlant, il soit coincé entre Pétain dont il fut un familier et dont beaucoup de tendances le rapprochent à l’origine, mais que les événements de juin 1940 vont l’obliger à combattre, et les communistes, dont tout le sépare, mais qu’à partir de juin 1941 il sera contraint de ménager, ne serait-ce que pour mieux les neutraliser. Coincées entre un ennemi qui est, au fond, de sa famille, et des alliés qui ont toujours été du parti opposé au sien, sa pensée et son action sont alors obligées souvent de trouver des équivalents à ses convictions réelles, de manœuvrer et de biaiser parfois, ce qui n’est pas conforme alors à sa conception de l’autorité, et ce à quoi il ne réussit pas toujours  : quand il parle ‘‘d’insurrection nationale’’, c’est qu’il ne peut pas prononcer les mots de ‘‘révolution nationale’’.  » (Histoire de la libération de la France , 1959).

C’est en effet un grand paradoxe que ce bourgeois catholique, militaire de carrière proche des idées d’extrême droite, pourfendeur du «  régime des partis  » doté d’un mépris souverain pour le peuple et la démocratie, ait incarné à ce point la Libération, c’est-à-dire ce qui a été avant tout un immense mouvement populaire et démocratique. Son talent, mais surtout les circonstances, lui permirent cependant de se placer à la tête du secteur de la bourgeoisie française qui refusait l’occupation allemande, ou pariait sur la victoire des alliés. Pour cela, il sut avec succès endosser les habits de l’homme providentiel, s’élevant au dessus des classes dans la grande tradition césarienne-bonapartiste.

Invoquant ce qu’il considère être des valeurs nationales historiques de la France, de Gaulle refuse donc de reconnaître toute légitimité au régime de Vichy – quand bien même Pétain a été investi par une assemblée parlementaire élue, comme cela avait aussi été le cas pour Hitler dans l’Allemagne de 1933. Dès son installation à Londres, il se fixe pour tâche de reconstruire, de l’extérieur, une représentation politique et un appareil d’État bourgeois concurrents de Vichy  : un gouvernement, une administration et une armée qui devront être en mesure, le moment venu, d’imposer leur autorité sur le territoire national. Il s’agit de permettre à la France de «  retrouver son rang dans le monde  », en commençant par éviter la mise sous tutelle par les autorités militaires américano-britanniques, que connaîtront les autres pays européens libérés.

Les colonies et Staline

La première phase de sa conquête se mène avec pout théâtre «  l’empire  » colonial français. De l’Afrique noire au Moyen-Orient et au Maghreb, de Gaulle et ses agents recrutent des partisans, s’implantent, remplacent ou rallient les autorités locales, constituent de nouvelles unités militaires. Cela doit être souligné  : sans les colonies, rien n’aurait pas été possible. Ce qui est devenu le gaullisme n’aurait simplement pas existé.

Forts des premiers succès remportés sur le continent africain, de Gaulle livre un bras de fer permanent à ses alliés. Face à un Churchill méfiant et à un Roosevelt hostile (qui ne voyait en lui qu’un apprenti dictateur guère différent de Pétain), il va cependant bénéficier alors d’un soutien inestimable  : celui de l’URSS de Staline, qui considère le proto-État gaulliste de la «  France libre  » comme un possible contrepoids aux intérêts américano-britanniques, et qui donc le reconnaît officiellement, dès septembre 1942, comme unique représentant légitime de la France. Le soutien diplomatique est bien sûr très important, mais ses implications domestiques, alors que le PCF est rapidement devenu la force hégémonique de la Résistance, seront tout à fait décisives. Autrement dit, sans le stalinisme, le gaullisme n’aurait pas non plus existé.

Contrôler la Résistance, 
restaurer le pouvoir bourgeois

Au plan interne, de Gaulle s’efforce d’unifier, pour mieux les contrôler, les différents mouvements de résistance. D’abord, ceux qui se placent spontanément sous sa direction et qui seront regroupés dans «  l’Armée secrète  », branche gaulliste des forces françaises de l’intérieur. La démarche est ensuite étendue aux structures dépendant du Parti communiste, notamment les forces, prépondérantes au maquis, organisées dans les francs-tireurs et partisans français (FTPF).

Ce sera la tâche de Jean Moulin, à l’initiative de la fondation, le 27 mai 1943, du Conseil national de la résistance (CNR) regroupant les différents mouvements de résistance ainsi que les partis, organisations et syndicats «  patriotiques  ». À sa mort, Moulin est remplacé à la présidence du CNR par le démocrate-chrétien Georges Bidault, qui terminera sa carrière politique comme partisan de l’Algérie française et de l’OAS, condamné et banni par la Ve République.

Sous l’autorité du général est constitué le Comité français de la libération nationale, qui se transformera, début juin 1944, en Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Deux dirigeants du PCF, André Billoux et Fernand Grenier, en sont membres. Dans le même temps, les réseaux gaullistes préparent l’installation des représentants locaux du gouvernement provisoire au fur et à mesure du retrait nazi, dans le but de combler aussitôt toute vacance de pouvoir. Sur proposition d’une «  commission  » dirigée par Michel Debré (futur premier Premier ministre de la Ve République), le GPRF nomme dans les régions dix-huit commissaires de la République avec rang de ministres, et 80 préfets pour les départements.

L’été et l’automne 1944 sont une période de grande effervescence populaire. De très nombreux travailleurs sont en armes, et les aspirations sociales se mêlent à l’élan de la libération nationale. Toute la partie du pays située au sud de la Loire et à l’ouest du Rhône s’est libérée sans l’intervention des troupes alliées. Elle se retrouve sous le contrôle des maquis, principalement FTPF, ainsi que des comités de la libération et des milices patriotiques dont la formation, prévue dans le programme du CNR, avait été pilotée par le Front national de l’indépendance de la France, organisation de masse du PCF. Ça et là, on voit surgir quelques appels à prendre le contrôle des usines, voire à instaurer une «  République des Soviets  ».

Mais ceux des travailleurs et militants communistes qui sont prêts à donner un autre tour à la lutte sont laissés sans consignes pour l’action, tandis que leur direction collabore ouvertement avec le nouvel État gaulliste. Le concours du PCF est décisif pour aider les préfets à se subordonner les CDL (comités départementaux de la libération), qui s’effacent bientôt devant les conseils généraux réinstallés. Le nouveau pouvoir contrôle et limite l’épuration, défend les corps constitués (justice, police, autres administrations) où il laisse en place la plupart des responsables vichystes à l’instar d’un Maurice Papon, et organise le redémarrage de l’économie… capitaliste. Les maquisards sont démobilisés ou intégrés dans l’armée régulière dès septembre 1944, tandis que les milices patriotiques, fer de lance d’un double pouvoir embryonnaire, sont dissoutes le mois suivant par décret gouvernemental.

De Gaulle a donc gagné sa guerre, dans laquelle il a imposé tous ses objectifs. La paix lui est cependant bien moins favorable  : impuissant à empêcher le retour du «  régime des partis  », c’est-à-dire du parlementarisme bourgeois, il se trouve contraint à se retirer dès janvier 1946. Il faudra une autre guerre, provoquant une nouvelle crise nationale, pour que l’homme providentiel revienne douze années plus tard.

Jean-Philippe Divès


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