Pourquoi les marines débarquent-ils au Costa Rica ? (article du site national PG)

samedi 31 juillet 2010.
 

L’objectif est de renforcer l’impérialisme des États Unis dans la région, de renverser les gouvernements « ennemis » et d’affaiblir les gouvernements chancelants de « centre-gauche »

Avec les voix du Parti gouvernemental Libération National (PLN), du Mouvement Libertario et de Justo Orozco, député évangéliste du Parti de Rénovation Costaricien, le Congrès du Costa Rica a autorisé, le 1er juillet dernier, l’entrée dans son pays de 46 navires de guerre de l’armée des États-Unis, de 200 hélicoptères et avions de combat et de 7.000 Marines. Bien que la multiplicité des versions données ne permette pas de cerner clairement l’origine de cette décision, les faibles preuves disponibles paraissent indiquer que c’est Washington qui aurait demandé la pénétration des troupes.

Le silence de la presse aux États-Unis à ce sujet est extrêmement frappant. L’absence de toute référence explicite sur cette autorisation dans les communiqués de presse quotidiens des départements d’ État et de Défense alimente la suspicion que la Maison Blanche en aurait pris l’initiative, initiative favorablement accueillie par le Congrès costaricien qui a exigé la plus grande discrétion. Ce qui a été communiqué au Costa Rica, c’est que la situation régnant au Mexique avait obligé les cartels de la drogue à modifier leurs routes traditionnelles d’approche et d’entrée aux États-Unis et que, pour déjouer cette manoeuvre, il fallait garantir le déploiement d’un solide contingent de forces militaires dans l’isthme centro-américain, condition sine qua non pour livrer une bataille efficace contre le narcotrafic. Comme c’était à prévoir, le gouvernement de la Présidente Laura Chinchilla - étroitement liée depuis de nombreuses années à l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international), rien que ça ! a offert tout son appui ainsi que celui de ses parlementaires pour se soumettre à la demande de Washington.

L’argument de la lutte contre le narcotrafic ne surprend personne car il est couramment utilisé par Washington -à défaut d’autres prétextes, comme par exemple, l’opportunité offerte par le séisme d’Haïti - pour justifier l’intrusion du personnel militaire américain dans les pays de Notre Amérique. Il existe cependant un fait qui va à l’encontre de la crédibilité de cet argument : ce sont précisément les pays caractérisés par une forte présence militaire des États-Unis qui se distinguent par leur production et commercialisation de narcotiques. Comme cela a été démontré dans « le Côté obscur de l’Empire ». Le viol des Droits de l’Homme par les États-Unis ainsi que des sources incontestables des Nations Unies (l’UNODOC, le Bureau de l’ONU contre la Drogue et le Crime) prouvent, par le biais de statistiques écrasantes, que depuis que les troupes des États-Unis se sont installées en Afghanistan, la production et l’exportation d’opium et la fabrication d’héroïne ont progressé de façon exponentielle, de même que la présence nord-américaine en Colombie n’a pas été un obstacle (bien au contraire !) à la prolifération remarquable des cultures de cocai.

Tout ceci ne devrait pas nous surprendre, pour plusieurs raisons. Entre autres, ce pays qui s’arroge le droit de combattre le narcotrafic partout dans le monde fait preuve, sur son propre territoire, d’une incapacité aussi ahurissante que suspecte à mettre les moyens pour démanteler les réseaux qui lient les maffias de narcotrafiquants aux autorités, police et juges locaux et fédéraux qui facilitent le commerce de la drogue ainsi que pour mettre en œuvre une campagne un tant soit peu significative pour endiguer la toxicomanie et soigner les toxicomanes. Il n’y à rien de surprenant à cela, répétons-le, dans la mesure où le trafic de drogue brasse plus de 400.000 millions de dollars annuels, qui sont honorablement « blanchis » dans les nombreux paradis fiscaux installés par les principaux pays capitalistes sur toute la planète (en commençant par les États-Unis et l’Europe) pour être ensuite réintroduits dans le système bancaire officiel et, de cette façon, renforcer les affaires du capital financier.

D’autre part, la faiblesse et l’inconsistance de cet argument, celui de la « lutte contre le narcotrafic », sont encore plus évidentes lorsqu’on apprend que les États-Unis sont le premier producteur mondial de marijuana, ce qui selon une étude de la Fondation Drug Science, rapporte à ce pays une somme supérieure à 35 milliards de dollars, chiffre qui dépasse la valeur cumulée de la production de blé et maïsii. Troisièmement : comment sous-estimer l’importance qu’ont le contrôle et l’administration du commerce des narcotiques pour soutenir la domination impérialiste dans les provinces extérieures de l’empire ? N’est-ce pas la Grande-Bretagne qui a réintroduit l’opium en Chine (drogue qui avait été interdite par l’empereur Yongzheng compte-tenu des ravages qu’elle causait sur sa population) dont la consommation massive promue par les Britanniques a servi à équilibrer ses déficits de balance commerciale avec l’empire céleste ? Pour promouvoir cette dépendance entre les chinois, britanniques et portugais, ils ont mené entre 1839 et 1842 et entre 1856 et 1860 deux guerres, à la suite desquelles ils ont établi deux comptoirs pour organiser le trafic de l’opium dans toute la Chine : une à Hong Kong, sous contrôle anglais, et une autre à Macao, dominée par les portugais.

Pourquoi devrions-nous aujourd’hui penser que les Etats-Unis, héritiers spirituels de l’empire britannique, devraient être mus par d’autres intérêts lorsqu’ils déclarent la guerre au trafic de drogues ? Ne s’avère-t-il pas conforme à leurs intérêts d’avoir une Amérique latine caractérisée par la prolifération « d’ États perdus » - rongés par la corruption qu’engendrent le trafic de stupéfiants et ses conséquences : désintégration sociale, maffias, paramilitaires, etc. et incapables pour cela même d’opposer la moindre résistance aux desseins impériaux ?

L’autorisation accordée par le Congrès du Costa Rica est de six mois, à partir du 1er juillet. Cependant, cette concession, qui se matérialise dans le contexte de l’ Initiative Mérida (qui comprend le Mexique et l’Amérique Centrale) est un projet qui a des objectifs mais pas de délais, c’est pourquoi la probabilité que les troupes nord-américaines quittent le Costa Rica à la fin de cette année et retournent à leurs casernes en métropole est pratiquement nulle. En outre, l’expérience internationale montre que tant en Europe qu’au Japon, les troupes installées après la Seconde Guerre Mondiale par les États Unis pour quelques années, prolongées ensuite au prétexte de la Guerre Froide, sont dans ces territoires depuis plus de 65 ans sans que leurs chefs montrent les plus petits signes d’ennui ou de désir de rentrer chez eux. A Okinawa, l’aversion générale de la population locale envers les occupants yankees - qui, protégés par leur immunité, tuent, violent et volent à leur guise -n’a pas été suffisante pour imposer le démantèlement de la base américaine.

Soit dit en passant, cet incident souligne le courage et l’efficacité du gouvernement de Rafael Correa qui, lui, a réussi à faire partir les troupes nord-américaines de la base de Manta. Dans le cas où une clameur populaire exigerait que cet événement insolite se reproduise au Costa Rica, une série d’opérations criminelles comme sait si bien les monter la CIA y mettrait fin instantanément, surtout avec un gouvernement comme celui de Laura Chinchilla qui s’acharne à démontrer son inconditionnelle soumission aux diktats de l’empire. C’est exactement ce qui apparaît dans le Traité Obama-Uribe où la Colombie cède l’usage de sept bases militaires aux États-Unis, dans le cas qui nous occupe, les militaires de ce pays bénéficieront d’une totale impunité vis-à-vis de la Justice costaricienne et tous ses membres pourront entrer et sortir du Costa Rica à leur guise, circuler sur tout le territoire national vêtus de leurs uniformes et arborant leurs munitions et leur équipement de combat.

Avec cette décision, la souveraineté du Costa Rica est non seulement humiliée mais touche au ridicule pour un pays qui, en 1948, a abolit ses forces armées et qui, en grande partie grâce à cela, a pu développer une politique social avancée dans un contexte régional centre-américain déprimant en dispersant le gendarme oligarchique.

Sur le plan de l’armement, cette autorisation du Congrès permet l’entrée de garde-côtes et de navires de petite taille mais aussi du porte avion dernière génération, le MakinIsland, inauguré en 2006 et capable d’abriter 102 officiers, 1449 marines et de transporter 42 hélicoptères CH-46, 5 avions AV-8B Harrier et 6 hélicoptères Blackhawks. Par ailleurs, la législation est assez large puisqu’elle autorise l’arrivée de navires tels que le USS Freedom, inauguré en 2008, capable de combattre les sous-marins et de baigner dans les eaux peu profondes. Elle autorise également d’autres bateaux, de type catamarans, un navire de secours et des véhicules de reconnaissance capable de se déplacer sur terre comme sur mer. Des armements et un attirail qui, en somme, ne servent en rien à combattre le narcotrafic, dans les cas peu probable où telle serait la volonté de ses occupants. Il est plus qu’évident que leur objectif est tout autre. Il faut situer cette initiative du gouvernement nord-américain dans un contexte de militarisation croissante de la politique extérieur des États-Unis. Dans la région latino-américaine, cette re-militarisation s’est exprimée dans la réouverture de la quatrième Flotte, la signature du traité Obama-Uribe, l’occupation militaire de facto d’Haiti, la construction du « mur de la honte » entre le Mexique et les États-Unis, le Coup d’ État au Honduras et la légitimation a posteriori de la fraude électorale qui fit élire Porfirio Lobo à la Présidence, la concession de bases militaires par le gouvernement réactionnaire du Panamá et à présent, le débarquement de marines au Costa Rica.

Évidemment, tout ceci est à mettre en relation avec le maintien du blocus et de la traque de la Révolution Cubaine ainsi que le dénigrement permanent du Vénézuela, de la Bolivie et de l’ Équateur. Sur le plan international, le débarquement des marines au Costa Rica doit être interprété dans le cadre de la guerre imminente contre l’Iran et la grotesque provocation de la Corée du Nord, dont le Commandant Fidel Castro Ruiz, dans ses Réflexions, ne cessent depuis longtemps de prévoir les très graves conséquences.

En conclusion, l’empire intensifie la militarisation dans la région et se prépare à une aventure militaire à l’échelle mondiale. Si une offensive contre l’Iran venait à se concrétiser, comment interpréter les décisions prises ces derniers jours, la situation internationale qui en découlerait serait si grave qu’elle pousserait les Etats-Unis à se poser en garant à n’importe quel prix du contrôle absolu et sans failles de ce que ses stratèges géo-politiques nomment « la grande île américaine », un énorme continent qui s’étend de l’Alaska à la Terre de Feu, distant à la fois de la terre eurasiatique et de l’Afrique et qui, selon eux, joue un rôle fondamental pour la sécurité nationale nord-américaine.

Voici donc la raison principale de ce déploiement militaire préventif, cette militarisation de la politique extérieur des États-Unis. Prétendre nous convaincre que la vingtaine de bases militaires établies en Amérique Centrale, en Amérique du Sud et dans les Caraïbes, le débarquement au Costa Rica et la réactivation de la quatrième Flotte aient pour objectif la lutte contre le narcotrafic frôle en effet le ridicule. L’expérience montre bien qu’il ne se combat pas par la stratégie militaire mais par une politique sociale que les États-Unis n’appliquent pas dans leurs frontières et font en sorte qu’elles ne s’appliquent pas non plus en dehors grâce à la grande influence du FMI et de la Banque Mondiale dans les pays vulnérables et endettés. Les expériences précédentes en Colombie et au Mexique (qui compte plus de 26000 morts depuis que le Président Felipe Calderón a déclaré « la guerre au narcotrafic ! ») témoignent que la solution au problème ne passe pas par les marines, les porte-avions, les sous-marins ou les hélicoptères d’assaut mais par la création d’une société juste et solidaire, une idée incompatible avec la logique du capitalisme et contraire aux intérêts fondamentaux de l’empire.

En somme : Le débarquement des marines au Costa Rica a pour seul objectif de renforcer la domination nord-américaine dans la région, défaire par tous les moyens les gouvernements considérés comme ennemis (Cuba, Vénézuela, Bolivie et Équateur), affaiblir encore davantage les gouvernements hésitants et ambivalents de « centre-gauche » et de consolider la droite déjà bien présente sur le littoral Pacifique (Chili, Pérou, Colombie, Panamá, Honduras et México), réorganisant ainsi « l’arrière-cour » de l’empire afin d’ avoir les mains libres et assurer une arrière-garde pour affirmer de nouveau la toute puissance impériale en combattant sous d’autre latitudes.

Atilio Boron, trad. Françoise Bague et Guillaume Beaulande

NOTES

[1] Cf. Atilio A. Boron y Andrea Vlahusic, El Lado Oscuro del Imperio. La Violación de los Derechos Humanos por Estados Unidos (Buenos Aires : Ediciones Luxemburg, 2009), pg. 73.

[2] Cf. El Lado Oscuro, op. Cit. , p. 72.

i Cf A. Atilia Boron et Andrea Vlahusic, El lado oscuro del imperio, La violación de los Derechos humanos por Estados Unidos (Buenos Aires : Ediciones Luxemburr, 2009) p.73.

ii Cf El lado Oscuro, op. Cit, p. 72


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