Biodiversité « Les apparitions ne compensent plus les extinctions d’espèces »

mercredi 9 août 2017.
 

par Pierre-Henri Gouyon, généticien CNRS

« En tant que généticien, je considère la biodiversité comme le produit d’une évolution constante de chacune des populations. La génétique entraîne perpétuellement de la nouveauté, du fait des mutations, de la reproduction, de la sélection naturelle et d’autres forces évolutives, comme le hasard… Tout cela crée de la diversité. Mais je veux insister sur un point : depuis toujours, des nouvelles formes apparaissent et des formes disparaissent ; les extinctions ne sont pas en elles-mêmes des handicaps pour la biodiversité. Mais ce qui se joue dans les périodes de crise, c’est que les apparitions ne compensent plus les extinctions. Or, c’est cette dynamique et cet équilibre entre apparitions et extinctions qui fait que le système fonctionne ou non. Et le malheur, c’est que les extinctions peuvent aller assez vite, alors que les apparitions, en général, prennent du temps. Il faut que, progressivement, se soient différenciées des formes.

Pour combattre la situation actuelle, il faut mettre en place des structures permettant cette différenciation. Quant au rôle des entreprises, il faut bien sûr qu’elles se sentent concernées, et c’est une très bonne chose si elles agissent de plus en plus en ce sens. Tant qu’on aura des situations dans lesquelles l’entreprise n’a pas trop à perdre en respectant la biodiversité, tout ira bien. La difficulté se situe lorsqu’il y a conflit d’intérêts. Car, j’insiste, la biodiversité est un processus dynamique.

Pour qu’il y ait biodiversité, il faut une double condition : chaque population d’êtres vivants doit être suffisamment autonome pour pouvoir développer des spécificités propres, et il faut qu’il y ait un minimum d’échanges entre les populations, de manière que chacune ne s’appauvrisse pas totalement. Si on mélange tout, il n’y a plus de possibilité de faire de la diversité locale, tout reste semblable, et si on isole tout, toute population finit par perdre toute possibilité évolutive. Donc, au niveau de l’aménagement du territoire, si l’on veut remettre en route un processus de biodiversité, il faut faire attention à cet équilibre. Par exemple, ce processus a très bien fonctionné au début dans l’agriculture traditionnelle. Les agriculteurs ressemaient leurs semences, échangeaient avec leurs voisins, donc il y avait à la fois une dimension locale pour chaque champ, et une dimension d’échange. On ne mélangeait pas toutes les semences à l’échelle de toute la planète et, progressivement, on a réussi à fabriquer une immense diversité de variétés cultivées.

Aujourd’hui, pour des raisons essentiellement économiques, les semenciers ont intérêt à pouvoir vendre la même semence sur les plus grandes surfaces possibles. Résultat : la diversité des semences est en train de diminuer de façon affolante à l’échelle de la planète. Je ne sais pas comment mettre en œuvre un système qui fasse que les entreprises n’aient plus intérêt à diminuer cette diversité. Nous connaissons bien le processus de perte pour ce qui concerne la diversité des plantes cultivées, et la solution est à portée de main. Il s’agit de modifier les lois. Pour ce qui concerne les espèces sauvages, à l’heure actuelle, nous ne possédons pas de connaissances suffisantes sur l’ensemble des processus, mais on peut imaginer qu’une fois enclenché, le processus d’extinction ne fera que s’amplifier, d’où l’urgence de l’enrayer à ce stade. »


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