L’Allemagne scie la branche de l’Union européenne parce qu’elle a décidé de s’intégrer dans un ensemble plus large  : le grand marché transatlantique

mardi 13 juillet 2010.
 

Comment se prépare la création d’un grand marché regroupant l’Amérique et l’Europe  ?

La crise de l’euro résulte de l’attaque concentrée des agences de notation états-uniennes Standard & Poor’s, Moody’s et Fitsch contre la dette de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal.

L’abaissement des notes de ces trois pays par les agences américaines, surtout celle de la Grèce, reléguée dans la catégorie des investissements spéculatifs, est la conséquence d’une action concentrée. L’abaissement des notes fait suite à une série de décisions répétées et très rapprochées. Ces attaques ont été appuyées par l’appareil d’État américain, notamment les déclarations alarmistes du conseiller économique du président Obama, ancien président de la Réserve fédérale états-unienne, Paul Volker, qui a parlé d’une future désintégration de la zone euro.

Cette offensive contre l’euro est d’abord une action destinée à ramener aux États-Unis les capitaux étrangers nécessaires à la couverture du déficit croissant de leur balance financière. C’est un signal d’avertissement à des pays, comme la Chine, qui avaient commencé à rééquilibrer leurs réserves de devises en achetant de l’euro au détriment du dollar. Pour les États-Unis, il y a en effet urgence en la matière. Jusqu’en 2009, le financement de leurs déficits et la défense du dollar étaient assurés par un solde positif des flux financiers. Mais, durant cette même année, si le mouvement des capitaux reste positif, il ne parvient plus à compenser les déficits. Le solde devient négatif d’un montant de 398 milliards de dollars. À un niveau purement économique, l’offensive contre l’euro est de la même veine que la lutte contre la fraude fiscale, entamée par le président Obama en 2009. Il s’agit de ramener les capitaux dans le giron des États-Unis.

Cette action tactique se double d’une opération stratégique, celle d’un mouvement de démantèlement de l’Union européenne au profit d’une union économique couvrant les deux continents, dont le projet de création d’un grand marché transatlantique est la manifestation la plus visible. C’est en fonction de ce deuxième objectif que l’on peut comprendre l’attitude de l’Allemagne qui, aussi bien au niveau de la lutte contre la fraude fiscale que celui de l’attaque contre l’euro, a fourni un appui à l’offensive états-unienne. Cette double attitude est cohérente avec l’engagement privilégié de cet État européen dans la mise en place d’une union économique transatlantique.

L’Union européenne a été construite autour de l’Allemagne et structurée selon ses intérêts. Pays économiquement le plus performant au moment de l’installation du grand marché, il a pu, sans contrainte politique, sans gouvernement économique et transferts importants vers les zones défavorisées, faire jouer pleinement ses avantages économiques comparatifs. Jusqu’à cette année, la zone euro absorbait les trois quarts des exportations allemandes. L’Allemagne, par les déclarations de ses responsables politiques et de ses banquiers, ainsi que par l’exhibition répétée de ses hésitations, a contribué à l’efficacité de l’offensive contre l’euro. Pour elle, les bénéfices de cette action sont immédiats. La baisse de la monnaie commune permet d’augmenter les exportations allemandes hors zone euro. De plus, ce pays peut financer ses propres déficits à meilleur compte. La crise et la fuite vers la qualité qu’elle engendre permettent aux obligations allemandes de se placer avec un taux d’intérêt réduit.

Si, à terme, l’Allemagne donne l’impression qu’elle scie la branche sur laquelle elle est assise, c’est qu’elle a décidé de changer de branche et veut s’intégrer dans un ensemble plus large  : le grand marché transatlantique. La « construction européenne » est à la croisée des chemins. Si, jusqu’à présent, elle a permis un développement permanent de l’Allemagne, elle ne peut plus continuer selon les mêmes modalités. L’UE ne peut sortir de la crise sans mettre en place un gouvernement économique gérant une politique économique commune, une harmonisation du développement et, pour cela, assurer des transferts financiers conséquents vers les pays et les régions défavorisées. Cette gestion politique est en complète opposition avec le simple pacte de stabilité promu par l’Allemagne. La politique budgétaire de diminution accélérée des déficits réimposée au nom de ce pacte va se faire au détriment du pouvoir d’achat des populations et ne peut se réaliser sans une récession économique. La zone euro ne peut plus être le débouché privilégié des exportations allemandes. L’Allemagne a fait son choix  : le grand marché transatlantique et le marché mondial.

La construction européenne a été imposée par les États-Unis qui, après la guerre, en ont fait une condition d’octroi des aides du plan Marshall. Elle a été réalisée autour de l’Allemagne, dont les intérêts immédiats étaient complémentaires de ceux des États-Unis. L’attaque contre l’euro et l’opération de démantèlement de l’Union européenne résultent aussi d’une offensive lancée par les États-Unis et elles sont également relayées par la première économie de l’ancien continent, ainsi que par les institutions de l’UE. La Commission et le Conseil confirment ainsi leur participation à la décomposition de l’Union et à son intégration dans une nouvelle structure politique et économique transatlantique sous direction américaine, un rôle déjà joué à travers les négociations des accords sur le transfert des données personnelles des citoyens européens vers les États-Unis et celles qui ont pour objet la création d’un grand marché regroupant les deux continents.

(*) Auteur de la Fin de l’État de droit, La Dispute.

Jean-Claude Paye


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