Débat entre Jean Luc Mélenchon et Pierre Moscovici dans L’Express

dimanche 4 juillet 2010.
 

Marcelo Wesfreid : Jean-Luc Mélenchon, iriez-vous jusqu’à dire que Dominique Strauss-Kahn est de droite ?

Jean-Luc Mélenchon : « Il est membre du PS et il a été ministre du gouvernement de Lionel Jospin. Au nom de quoi pourrais-je lui contester son appartenance à la gauche ? Mais à côté de ce qu’il est, il y a ce qu’il fait comme directeur général du FMI. Et là, son bilan n’est pas de gauche. Il aggrave la traditionnelle politique de brutalité sociale et d’aide à la prédation financière de ses prédécesseurs au FMI. Un homme de droite ne s’y prendrait pas autrement. »

Pierre Moscovici : « Je suis en total désaccord. Je ne suis pas le porte-parole de Dominique Strauss-Kahn, mais je peux vous dire qu’il n’a pas changé depuis l’époque où je l’ai eu comme professeur d’économie : c’est un keynésien. En clair, il est pour l’économie de marché, mais il pense qu’il ne faut pas attendre du marché qu’il se régule tout seul. D’où la nécessité d’injecter des liquidités pour alimenter la croissance. Il a transformé le FMI en augmentant les ressources "prêtables" de 860 milliards de dollars, dont 17 sont consacrés au développement de l’Afrique. Il a proposé la création d’un "fonds vert" doté de 200 milliards de dollars d’ici à 2020. La Grèce va recevoir 30 milliards d’euros et des prêts à 3.5% d’intérêt, alors que les marchés les proposent à 18% et que la France et l’Allemagne prêtent à 5%. En plus, le FMI participe au fonds de stabilisation pour sauver l’euro à hauteur de 220 milliards d’euros. »

JLM : « Dans tous les pays où le FMI est passé, de l’Estonie à la Roumaine en passant par la Hongrie ou la Grèce, l’intervention de cette institution s’est traduite par une diminution du nombre de fonctionnaires, des coupes dans les salaires, l’allongement de l’âge de départ à la retraite et l’augmentation des impôts indirects. Comme redistribution keynésienne, pardon, mais il y a mieux ! »

Marcelo Wesfreid : Dominique Strauss-Kahn est-il un social-démocrate ou un social-libéral ?

JLM : « Il aimerait être un social-démocrate, mais c’est un social-libéral ».

PM : « On a actuellement besoin de régulation, de relance intelligente et d’une réforme du système international. Trois principes sociaux-démocrates que partage Dominique Strauss-Kahn. »

Marcelo Wesfreid : Quel regard portez-vous sur son bilan à la tête du ministère de l’Industrie (91-93) et du ministère de l’Economie et des finances (97-99) ?

JLM : « Son bilan c’est celui de Jospin. Je retiens de son passage à Bercy l’impôt extraordinaire sur les grandes sociétés, qui a permis de récolter 70 milliards de francs, réinjectés dans la consommation. Au final, les comptes sociaux étaient passés au vert. Et l’activité avait repris. En 2001, j’étais ministre des lycées professionnels. Les patrons se battaient pour trouver de la main d’œuvre qualifiée et pourvoir des emplois. Cela a bien changé. »

Marcelo Wesfreid : Pourquoi n’évoquez-vous pas les 35h ?

JLM : « Parce que ce n’est pas son œuvre. Il était favorable en 1995 à la semaine de 37,5h. Je peux en témoigner : j’ai lutté dix ans avec l’aile gauche du PS, pour que soit adoptée la semaine de travail de 35h sans perte de salaires ! »

PM : « Jean-Luc Mélenchon a raison. Les 35h ne sont pas une idée de Dominique Strauss-Kahn. C’est une co-production dans laquelle des militants longtemps minoritaires ont joué un rôle déterminant. Je le reconnais : Michel Rocard, DSK, Laurent Fabius et moi-même étions pour une forme de compensation salariale partielle. Mais Dominique Strauss-Kahn a su faire preuve d’intelligence politique. Il n’est jamais interdit d’emprunter les idées aux autres quand elles sont justes. Ajoutons aussi qu’il a sorti 350 000 jeunes du chômage, grâce aux emplois jeunes. Il a mené une politique macro-économique très habile de relance de la consommation et de réduction de la dette public. Les Français n’ont pas oublié cette époque où une gauche réaliste menait de grandes réformes sociales. C’est ce qui explique la cote élevée de Strauss-Kahn dans les sondages. »

Marcelo Wesfreid : Pierre Moscovici, peut-on sauver le capitalisme à Washington et le socialisme à Paris ?

PM : « Le FMI n’est pas là pour sauver le capitalisme, mais pour aider les pays en crise à sortir de l’ornière. Et Dominique Strauss-Kahn ne sauvera pas le socialisme. En 2012, il faudra faire une politique de gauche très réaliste, poursuivant une ambition crédible. Un président de la République de gauche n’est pas là pour diriger une France socialiste, mais pour changer le cours des choses, avec ses partenaires. Si la gauche se pose en donneuse de leçons, comme elle l’a souvent fait dans son histoire, elle risque de se fracasser contre la réalité. »

JLM : « Je plaide, moi, pour une vraie rupture qui consisterait à reprendre le pouvoir à la finance. De gré, si possible. De force, si cela n’est pas possible, par le biais de la loi. Il faudra, entre autres, constituer un pôle financier public. Dans cette période de nécessaire confrontation avec la finance mondiale, la question est de savoir qui aura suffisamment de cran pour entrer dans un rapport de force. Un responsable qui aura été, pendant cinq ans, l’organisateur en chef des politiques d’austérité dans tous les pays ne me semble pas le mieux placé pour faire exactement le contraire, au nom de la France. »

PM : « Cet argument est erroné. Celui qui connaît bien le système est le mieux à même de se faire entendre et de proposer des options différentes et crédibles. »

Marcelo Wesfreid : Pierre Moscovici, comment réagissez-vous quand des leaders de gauche critiquent Dominique Strauss-Kahn ?

PM : « Jean-Luc Mélenchon a dit un jour que les socialistes seraient "barjots" de choisir DSK. Ne disons rien qui puisse insulter l’avenir et compromettre le nécessaire rassemblement de 2012 autour d’une candidature probablement socialiste. S’il est le candidat du PS à la présidentielle, ce sera avec lui que vous devrez traiter. Et c’est avec vous, dans votre diversité, qu’il devrait discuter des conditions du rassemblement. »

JLM : « Je déteste ce terrorisme intellectuel qui veut interdire le moindre débat parce que le PS aurait une collection de vaches sacrées que nous devrions faire semblant d’admirer le moment venu. Strauss-Kahn est un candidat potentiel du PS. Or, le PS est le premier parti de l’opposition. Tout le monde à gauche doit pouvoir dire ce qu’il en pense. Nous préparons une élection pas un sacre ! »

Marcelo Wesfreid : Des détracteurs de Dominique Strauss-Kahn raillent son train de vie et son salaire de directeur général du FMI. Pensez-vous que cette question puisse empêcher une éventuelle candidature ?

JLM : « Ce genre d’arguments me met mal à l’aise. On a connu de grands bourgeois de gauche et des prolétaires d’extrême-droite. Bien sûr, la condition sociale joue un grand rôle dans la perception de l’existence, mais on ne peut pas réduire un homme à cela. »

PM : « Je rejoins Jean-Luc Mélenchon dans le refus de la disqualification des personnes. Léon Blum était d’une famille aisée et a beaucoup fait pour la gauche. Ce qui compte, c’est la compétence et le parcours. » Propos recueillis par Marcelo Wesfreid


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