Retraite Woerth = Régression sociale (par Denis Sieffert, Politis)

samedi 26 juin 2010.
 

On connaît le mot de Woody Allen : « La dictature, c’est ferme ta gueule, alors que la démocratie, c’est cause toujours ! » Il résume admirablement la façon dont le gouvernement a conduit cette affaire de « retraites ». Si l’on est très optimiste, on peut à la rigueur en voir le côté positif : nous sommes décidément en démocratie ! Du moins ce qu’on nomme ainsi dans nos régions. L’autre leçon de ce tortueux feuilleton est moins plaisante : l’opinion a été baladée pendant trois mois, et de débat, il n’y eut point. Le gouvernement avait d’emblée décidé que l’on agirait sur les deux variables les plus défavorables aux salariés : l’âge légal de la retraite et la durée de cotisation. Ce qui n’est guère étonnant puisque ce n’est pas affaire d’idées mais d’intérêts. Les idées peuvent changer et s’échanger, les intérêts économiques plus difficilement. Mme Parisot avait montré le chemin. Le gouvernement n’a pas dévié. La présidente du Medef avait même révélé le dessous des cartes : l’objectif, avait-elle avoué, est de faire place nette à un système d’assurance par capitalisation qui ferait le bonheur des fonds de pension. Et c’est bien de cela dont il s’agit. Le report de l’âge légal de la retraite à 62 ou 63 ans, dans un pays où 38,2 % de la population de 55 à 64 ans est sans emploi, aboutit évidemment à diminuer le taux des pensions. On se garde de provoquer un choc frontal entre les deux modèles, mais on affaiblit le système par répartition.

L’allongement de la durée de cotisation va dans le même sens. Celle-ci passera à 41 ans d’ici à 2012. Elle était de 37,5 en 1993. S’il n’atteint pas cette durée, le retraité ne touchera pas une pension à taux plein. Dans une société dans laquelle les jeunes trouvent un emploi de plus en plus tard et où les quinquagénaires sont « remerciés » de plus en plus tôt, pas besoin d’être grand clerc pour imaginer que la pension sera famélique. On se tournera alors naturellement vers le privé pour compenser. Le citoyen procédera de lui-même à la privatisation en quelque sorte. On nous a également bercés d’illusions avec la promesse de prendre en compte la pénibilité de certains métiers. La chose se fera en effet. Mais dans l’arbitraire le plus absolu. Selon le projet gouvernemental, la reconnaissance de la pénibilité ne se ferait pas par métier, mais selon une approche individualisée, et à partir d’un diagnostic médical. C’est l’aspect le plus cynique de l’édifice. Seuls les malades ou les corps brisés dûment constatés par un médecin bénéficieraient d’une dérogation. Ce n’est pas la pénibilité qui serait mesurée mais la résistance humaine. On achève bien les chevaux ! Cela aussi, c’est une idée du Medef. Une idée archaïque comme peut l’être un certain patronat. Tout est là : la ficelle de l’exploitation tirée à l’extrême ; et la règle sociale hachée menue dans l’individualisation.

Quant aux nouveaux financements promis par Nicolas Sarkozy, ils ont fait long feu. Le gouvernement a indiqué qu’il voulait instaurer une contribution sur les « hauts revenus ». Une taxe sur les revenus financiers a même été évoquée. Puis plus rien. On peut s’attendre à une mesure aussi démagogique que symbolique. Cela dit, l’idée que le capital doit être mis à contribution, c’est tout de même la trace laissée par la gauche de la gauche et le mouvement altermondialiste. Le Parti socialiste a repris ces propositions tardivement et en les édulcorant. Le discours gouvernemental s’en est ensuite emparé pour brouiller les pistes. Mais nous tenons ici le paradoxe de ce vrai-faux débat : jamais peut-être aussi distinctement que cette fois une autre conception du financement des retraites n’a été audible. Et l’ébauche d’un autre partage des richesses n’aura été mieux exposée. Les économistes d’Attac, familiers de notre chronique « À contre-courant », Mélenchon, en parfait pédagogue, et quelques autres ont écumé les plateaux télévisés, et publié des tribunes. L’opinion publique est peut-être moins dupe aujourd’hui qu’hier de tous les faux arguments de « bon sens ». La question philosophique a parfois été effleurée. L’activité humaine doit-elle se résumer au travail salarié ? N’a-t-on pas droit au temps libre ? La question des retraites n’est-elle pas avant tout celle du partage des richesses ?

Par leur grandiloquence, ces questions peuvent faire sourire. Surtout dans un monde souvent sordide. On ne se lassera pas ici de les poser. Elles ont été posées. Le gouvernement n’en a évidemment tenu aucun compte puisqu’il avait mission de répondre à des groupes sociaux aisément identifiables. Mais elles ont irrigué les consciences. Elles peuvent nourrir les projets politiques de demain. Et, peut-être, les mobilisations sociales. Elles affaiblissent Nicolas Sarkozy au moment où il commence à fourbir ses armes pour 2012. Car tout le monde l’a bien compris : c’est sans convaincre que le gouvernement s’apprête à faire passer sa réforme. Une réforme qui s’apparente à une terrible régression sociale.


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