Libéralisme, crise et austérité : la leçon de l’Argentine

samedi 5 juin 2010.
 

Les moins de vingt ans ne peuvent pas savoir. L’Argentine, a été l’enfant prodige du FMI. Le très bon élève, celui que le maitre mettait en valeur pour inspirer ses congénères. Michel Camdessus, l’actuel conseiller spécial en matière de déficit public de Nicolas Sarkozy, était à cette époque le génial directeur du FMI. « L’Argentine a une histoire à raconter au monde » pétulait-il ! En effet ! Mais ce n’est pas celle qu’il annonçait.. Commençons par le début. En ce temps là régnait l’hyperinflation. J’ai connus ces billets qui déteignaient dans la poche et dans les mains parce que l’encre pour réimprimer leur valeur était tout le temps fraiche. Ce mécanisme terrifiant était déclenchée par les voyous friqués qui planquaient leur argent aux Etats Unis et minaient la monnaie de leur pays. Une mesure radicale fut prise. Elle ne punissait, bien sur, aucun spéculateur. Quelle idée ! Au contraire elle les cajolait. Ce fut pour eux, en quelques sortes, comme un rêve de Trichet et de Merkel. On garantit aux tricheurs la valeur de leurs avoirs en peso, la monnaie argentine. C’était une trouvaille géniale. Seul un demi-dieu du type Camdessus pouvait avoir une idée pareille. Sous son impulsion, en 1991, le parlement argentin adopte une loi de convertibilité de la monnaie absolument sans précédent. A partir de là fut proclamé : « un peso est égal à un dollar ». La mise en place de régime de taux de change fixe correspondait à la création à partir de rien d’un peso fort et stable. Un peso fort comme un euro fort d’aujourd’hui. Bien sur tout cela était parfaitement et totalement artificiel puisque sans aucun rapport avec la production et les échanges réels à l’intérieur du pays. On connait. C’est la même doctrine que celle de notre chère banque centrale européenne (BCE). C’est ce que proclame le splendide article 127 du Traité de Lisbonne concernant le fonctionnement de l’Union : « L’objectif principal du Système européen de banques centrales, est de maintenir la stabilité des prix ».

Dans ce contexte, l’économie réelle s’anémie, l’activité vivote mais un porte feuille en fer est garanti aux puissants. Certes en Argentine, l’effet fut d’abord spectaculaire. Notamment sur l’inflation. Avec le retour des capitaux, elle passa de 5000 % à 4 % en à peine 3 ans. Toute la scène internationale fut aussitôt couverte par les cris de joie de la célébration du « miracle argentin ». Camdessus, dont le livre de recette économique ne quitte pas le chevet de son ami Nicolas Sarkozy si l’on en croit ce dernier, louangeait à grandes trompes. Carlos Menem le président argentin élu en 1989 accompagne évidemment cette merveille par un superbe plan d’austérité dont on affirmait qu’il garantirait le sérieux de l’opération. Il a fait ainsi avant l’heure la politique de Strauss Kahn en Grèce ! Quel visionnaire ! Le remède de cheval habituel a donc été mis en place : libéralisation commerciale et privatisation de la totalité des entreprises publiques. Tout est vendu ou presque : gaz, pétrole, compagnie aérienne, chemin de fer, téléphone, énergie … Une orgie de bonnes affaires pour les gros portefeuilles ! En peso ou en dollar, c’était tout du pareil au même. Le pays fut pillé. Evidemment ces fainéants de fonctionnaires argentins furent frappés les premiers par une vague de licenciements massifs. Camdessus était en épectase !

Hélas, si le peso était dorénavant stable, le dollar, lui, ne le sera jamais. Et, comme on le sait, les variations du dollar n’ont jamais rien à voir avec l’état de l’économie réelle des Etats Unis. Car sinon ce pays serait déclaré en faillite depuis longtemps. En tous cas à partir de 1999, une spéculation mondiale sur le dollar et les bourses américaines portent le dollar à des sommets. Horreur ! Les marchandises argentines, les matières premières agricoles que produit ce pays sont alors invendables. Mais dévaluer le peso n’est pas possible puisque tous les comptes sont libellés dans la monnaie magique « un peso égal un dollar ». L’Argentine est asphyxiée. Au secours ! Que faire monsieur Camdessus, vous qui êtes si intelligent ? Garantir la stabilité, vous a-t-on dit ! Sinon tous ceux qui vous ont fait confiance en vous confiant leur argent ou à qui vous en devez vont être très fâchés ! Bande de danseurs de tango ! L’Argentine était donc en camisole de force. Impossible d’ajuster la monnaie à sa valeur réelle. C’est ce qui arrive à la Grèce aujourd’hui. Elle aussi est également privée de l’instrument du taux de change. Elle ne peut dévaluer. Les préteurs la tiennent donc à la gorge comme ils tenaient l’Argentine. C’est d’ailleurs la situation de toute la zone euro actuellement. Les États n’ont pas la maîtrise de la monnaie puisque la politique de change de l’euro est gérée par la BCE et le Conseil. Voyons le résultat. En Argentine l’asphyxie avança. Le chômage explosa ! Du rio de la Plata à la Patagonie, le pays fut secoué par les protestations et les manifestations de chômeurs. Tous ceux qui possédaient le moindre peso couraient le changer en dollar pour se protéger en sachant parfaitement bien que le mythe d’un peso égale un dollar ne résisterait pas à l’épreuve de vérité. La pénurie de dollars, et donc de pesos s’aggrava donc vertigineusement.

Mais comme il faut bien vivre et que l’économie n’est pas un caprice des dieux mais une fonction de base de la vie en société, il fallait quand même produire et échanger. Des monnaies alternatives sont donc apparues ! Mais oui ! Ce fut le cas du « patacon » dans la région de Buenos Aires. Ce genre de monnaie de substitution permettait aux régions de maintenir de hauts niveaux de dépenses publiques pour empêcher l’activité de s’effondrer totalement. L’État central Argentin en vint donc lui-même à généraliser cette solution de contrebande. Il émet alors des reconnaissances de dettes appelées LECOP. Vous suivez ? L’état émettait des Lecop dont la signification était : je vous dois tant de pesos, que je n’ai pas, qui eux mêmes valent tant de dollar. Une vraie trouvaille, non ? Ces LECOP servent alors par exemple à payer les fonctionnaires. Dès lors ils se diffusèrent dans tout le pays. Jusqu’à 80 % du salaire finira par être versé de cette façon et près de 50 % de la masse salariale totale sera libellé sous cette forme. Ces papiers avaient d’ailleurs l’apparence de billets de banque. Ils finirent par être acceptés comme moyen de paiement dans beaucoup de magasins. Lesquels se firent banquiers en ajoutant une surtaxe pour tout achat payé de cette façon. Au pic de la crise déclenchée par les conséquences de la politique de monsieur Camdessus, ces papiers représentaient une part immense de la monnaie en circulation en Argentine : près de 6 milliards de Pesos. Pendant ce temps le gouvernement faisait, cela va de soi, une politique d’austérité, avec courage face à ce ramassis de latinos folkloriques ! Alors, bien sur, son parti fut battus par tous ces ingrats.

Le successeur du président Menem qui avait si bien appliqué la politique de monsieur Camdessus fut Fernando De la Rua, chef du parti radical, membre de l’internationale socialiste. Son équipe était un concentré de sociaux libéraux "réalistes" et "gouvernementaux", Bla Bla. Le ministre des finances, Domingo Cavallo, un illuminé du libéralisme, fut proclamé « homme de l’année » au jamborée de Davos ! La gloire à l’état pur. Le pillage du pays continua donc avec désormais la bonne conscience habituelle des sociaux démocrates. Et l’agonie économique continua aussi, à petit feu. J’étais présent dans la salle de réunion entre Jospin et De La Rua quand ce fou de Cavallo proposa d’échanger un prêt sans prime de risque contre un remboursement prioritaire sur des privatisations. La « prime de risque » était déjà le problème ! « Ah bon ? Il reste quelque chose à vendre dans ce pays » soupira le premier ministre argentin ! Non bien sur. Ca se savait. Aucun sacrifice n’était plus guère envisageable, faute d’avoir à qui l’imposer, la bête étant déjà tondue jusqu’à la peau. L’Argentine parti à la dérive dans un océan de chômage, d’économie de troc et de combines calamiteuses de gestion publique.

Le 5 décembre 2001, le bourreau qui a déclenché la machine infernale donne le coup de grâce. Le FMI annonce qu’il refuse de transférer 1,26 milliards de dollars, comme il l’avait promis. Car, disaient ces sadiques, le plan « Déficit zéro » de Cavallo n’avait pas été mis en œuvre « sérieusement » ! Le FMI abandonne ses proies sitôt que le moindre problème apparait. C’est ce qui attend la Grèce. Son plan d’austérité sera évalué tous les trimestres avant le versement de l’aide financière prévue. Cela a été exigé par le mémorandum du FMI et l’Union Européenne. Car « l’Europe qui protège » a délégué au FMI la surveillance du plan « d’aide ». Et comme on le sait, l’aide est conditionnée à des mesures de libéralisation forcenée sur le modèle argentin. C’est à dire la vente de ce qu’il reste des biens publics, les suppressions de postes de fonctionnaires et ainsi de suite. Que se passe-t-il alors ? Voyons l’Argentine. La mauvaise nouvelle du blocage de « l’aide » par le FMI provoqua une énormissime crise de confiance dans la classe moyenne. Et la navette des bas de laine repris son bal entre les deux rives du Rio de la Plata, nombre de grands naïfs croyant qu’en cachant leur argent en Uruguay, sur le trottoir d’en face, ils échapperaient au siphon.

Le socialiste De la Rua et sa bande de « courageux gestionnaires » décidèrent de séquestrer les comptes bancaires : interdiction aux particuliers de retirer plus de 250 pesos par semaine ! Cette invention reçu un joli nom qui sonnait doux : le corralito. Les sous se trouvaient en quelque sorte retenus pour leur bien dans un petit coral comme de bestiaux qu’on protège dans la pampa ! L’abime s’ouvrit sous les pas de l’Argentine. Grèves générales, fuites des petits patrons, disparition d’aigre fins banquiers en Uruguay et en Argentine, bref ce fut le chaos ! Les gens dans la rue devant les banques tous les jours tapant dans des casseroles. Les socialistes demandèrent à l’armée d’intervenir. Elle refusa. Ce fut donc la police qui tira dans le tas faisant vingt huit morts. Enfin, tout s’effondra. De La Rua s’enfuit. Domingo Cavallo finit en prison pour corruption. Le FMI maintenait pourtant toujours aussi fermement le pied sur la gorge des argentins. En trois mois le pays vit se succéder et démissionner trois présidents de la république. Puis l’équipe actuelle, alors composante de la vague de la révolution démocratique qui déferle sur l’Amérique latine, l’emporta. Cette séquence et très instructive. Ce qui est frappant c’est que les argentins savaient que rien ne pouvait s’améliorer jamais après des années de souffrances, les refrains ne changeaient jamais : austérité, dépenses excessives Bla Bla.

En Grèce ce sera tout pareil. D’ors et déjà le plan du FMI intègre dans ses prévisions la baisse d’activité due a ses plans d’austérité et le poids supplémentaire de la dette provoquée par l’augmentation des intérêts de celle-ci. En 2015, après cinq années de purge et de souffrance, la part de la dette dans le PIB en Grèce aura augmentée pour parvenir à 150 % C’est le FMI lui-même qui le dit. Les grecs auront souffert pour rien à part payer les intérêts aux banques. Pourtant, à ce moment là, on dira de nouveau aux grecs qu’ils doivent être « plus sérieux », mieux appliquer le plan de sacrifices et ainsi de suite. La solution est pourtant simple. Il faut voler les voleurs. C’est ce qu’on finit par décider les bons bourgeois qui dirigeaient l’Argentine.

En janvier 2002, Eduardo Duhalde, troisième président de la République consécutif en trois mois déclare l’insolvabilité du pays. C’est le défaut de paiement. Les créanciers sont floués. La monnaie magique est abolie de fait. Le change du peso fut fixé à 1.40 Peso pour 1 Dollar. Ce n’est pas beaucoup. Juste 28% de dévaluation. Tout ça pour ça ! Evidemment il y a eu de la casse. Mais plus pour les mêmes. Tous les contrats signés en dollars devinrent immédiatement caducs. Financiers et grands entrepreneurs hurlèrent a la mort. Mais aucun ne s’écroula en dépit des pertes qu’ils subirent. Mais la dévaluation eut son effet positif. Enfin les produits argentins redevenaient vendables. Le secteur agro-industriel redémarra. L’Argentine se dépêcha de rembourser certes avec beaucoup de retard sa dette vis à vis du FMI pour ne plus avoir à faire à cette institution que tout le monde après cela fuit comme la peste ! En 2005, Le ministre argentin de l’économie Roberto Lavagna annonce aux créanciers privés qu’ils ont 6 semaines pour accepter la proposition de restructuration de la dette. Il affirme qu’« il ne fera plus aucune offre dans le futur » et que ceux qui refuseront celle-ci risquent bien de ne jamais rien recevoir de l’État argentin. La dévaluation de cette dette est alors massive. La somme proposée pour le remboursement des prêts internationaux privés est d’environ 35% de ce qui est dû. Le montant des impayés de la dette privée argentine était de 81 milliards de dollars depuis 2001. Fin 2002, l’économie repart. Les effets favorables de la dévaluation sont alors clairement observables. Début 2003, la plupart des monnaies alternatives furent abolies et la valeur qu’elles représentaient fut garantie par l’Etat. La consommation redémarra et la vie commença à redevenir vivable. Je me souviens de la stupeur des argentins apprenants qu’ils pouvaient renoncer à leur régime de retraite par capitalisation et revenir au régime par répartition. En six mois un million de personnes firent leur transfert préférant offrir aux caisses de retraites par répartition leurs avoirs capitalisés plutôt que de rester dans les mains des sangsues bancaires.

Telle est la leçon de l’Argentine qui devrait être connue en Grèce et que nous ferions bien de méditer pour savoir que faire dans l’hypothèse où notre tour viendrait. "Gouverner contre les banques" ce sera le thème du forum du Parti de gauche le 12 juin prochain, avec la participation d’Oskar La Fontaine. Le contraire d’un colloque savant. Plutôt la préparation d’un mode d’emploi. Je ne finis pas mon récit sans vous dire qu’il reste toujours un peu d’espoir pour que les méchants soient punis à la fin du film. Dans ce cas, après avoir ruiné l’Argentine, et le Mexique parmi d’autres, Camdessus fut viré du FMI où il n’acheva pas son second mandat.


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