Présidentielle 2012, à mon avis : les primaires, le « care » de Martine Aubry …

mercredi 5 mai 2010.
 

21 avril 2002… 21 avril 2010, huit ans déjà

Beaucoup d’entre nous ont gardé un vif souvenir de cette journée. Pas de candidat de gauche au second tour, un face à face droite contre extrême droite, Chirac contre Le Pen, bref une catastrophe qui fut lourde de conséquences. Nous en payons encore le prix aujourd’hui. Pour autant, huit années plus tard, cela ne doit pas servir de prétexte à imposer à toute la gauche des fadaises. Au nom du souvenir cuisant du 21 avril 2002, il y a quelques temps, certains espéraient en 2012 de ranger toute la gauche française derrière un seul candidat… dès le premier tour ! Soyons franc, c’est là, au point de départ, l’idée sous jacente des primaires que nous proposent le PS. Certes, d’ores et déjà, cela a fait long feu. On l’a vu. Les meccanos de quelques « think tank » sociaux libéraux qui portaient ce projet ont buté sur le principe de réalité. Depuis au moins deux siècles, en France, la gauche est diverse, traversée de nombreux débats très politiques. Et toutes ces querelles sont loin d’être derrière nous. Il y aura donc plusieurs candidats de gauche en 2012, c’est une évidence. Et que personne ne pousse des cris d’indignations. En 1981, lorsque François Mitterrand est élu Président de la République, il y avait au premier tour 6 candidats de gauche et écologiste. Ils lui furent très utiles pour le second tour. Sans eux, pas de victoire. Puis, il y en eu 4 en 1995, 8 en 2002, et 7 en 2007, et là, ce fut la défaite. Ceci n’explique pas cela. Si la division sans fondement est dangereuse, l’unité de la gauche est un chantier sérieux qui ne peut être réglé par des mesures administratives, des modes d’organisations et de désignations et des astuces. L’exemple pitoyable de l’Italie doit nous faire réfléchir. Là bas, les primaires ont tué la gauche.

En France, les espoirs de larges primaires enrôlant la totalité de la gauche, sont donc enterrés. C’est du moins mon avis. Même les plus brûlants se sont refroidis. Malgré le forcing (désormais plus discret) de Daniel Cohn-Bendit, il me semble par exemple évident que la mouvance Verts-Europe Ecologie aura un candidat. Quand au Front de Gauche, je n’ai pas entendu de voix parmi nous qui semblaient attirées par ces primaires (mais, peut être n’ai je pas eu l’ouïe assez fine).

Cela a donc fait pschiiit. Au PS, les primaires ne serviront plus en réalité qu’à départager les prétendants socialistes, avec peut être le possible soutien de quelques forces satellites comme le PRG ou le MRC. Pourquoi pas ? Sans en minimiser l’importance, même si elles vont porter le qualificatif « d’ouvertes », ces primaires ne seront que le spectacle d’un débat interne entre socialistes. Bien sûr, de mon balcon, je l’observerai, mais je doute de sa profonde capacité d’entraînement dans le peuple de gauche. Des nouveaux y participeront peut-être au prix de quelques euros. Mais, fondamentalement, quelle différence avec la campagne d’adhésion au PS à 20 euros de 2006 ? Alors adhérent du PS, je l’ai vécu de près. Elle avait tout de même attiré 100 000 personnes, ce qui n’est pas négligeable, dont 90 % rejoignait pour la première fois un Parti politique. Elles sont pour l’essentiel toutes reparties. Pas sûr qu’elles soient disponibles pour une nouvelle expérience quasi identique.

La ritournelle du programme avant le candidat

Mais, anticipant les critiques, Martine Aubry répond que cette fois ci le programme sera adopté avant le choix du candidat. Ce serait même là une grande nouveauté, sous entend-elle. La bonne blague. Sacré socialistes ! Un peu de mémoire, ce fut exactement le même discours en 2006. Cette année là un « Projet socialiste » fut voté par les militants le 22 juin 2006 et ratifié à une Convention Nationale le 30 juin. Puis, vint le débat entre les 3 candidats (Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius) qui dura plus de deux mois et fut tranché par un vote des militants le 16 novembre 2006.

Insistant donc, sur le programme qu’elle veut d’abord faire adopter à son Parti, Martine Aubry a fait savoir à la presse qu’elle entend s’inspirer, pour rédiger ce programme, du concept de « care », mot anglais que l’on pourrait traduire, selon le Trésor de la langue française, comme une notion qui évoque « la préoccupation, le soin inquiet et le souci », et, ensuite, « les soins attentifs et affectueux, constants, prodigués envers une personne et une collectivité ». Mouais. Pour l’heure, à mes yeux, tout cela reste flou, et pour le dire sans détour, assez fumeux et un poil inquiétant. Sans franchouillardise déplacée, j’ai personnellement la plus grande méfiance dans ces concepts politiques prétendument « nouveaux », exprimés en anglais afin de leur donner une certaine allure intellectuelle plus branchée.

Care, comme caritas et charité...

Mais, allons plus loin. Dans une interview donnée à Médiapart le 2 avril, Martine Aubry précise ainsi sa pensée à propos du « care » : « La société du bien-être passe aussi par une évolution des rapports des individus entre eux. Il faut passer d’une société individualiste à une société du "care", selon le mot anglais que l’on pourrait traduire par "soin mutuel" : la société prend soin de vous, mais vous devez aussi prendre soin des autres et de la société. » Pour Joan Tronto, universitaire américaine enseignante à New York qui a inventé ce concept, et dont se réclame Martine Aubry, il s’agit de forger une éthique du « care ». Elle écrit : « Au niveau le plus général, nous suggérons que le care soit considéré comme une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer, et réparer notre “monde”, de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie »

Tout cela semble à première vue sympathique, mais guère époustouflant. Et puis, franchement, pas la peine d’aller découvrir outre-atlantique l’idée que la contre-société que nous voulons bâtir (le socialisme ?) modifiera également les comportements humains et individuels et notre mode de vie. Etre républicain à mes yeux, c’est aussi une éthique, un engagement individuel marqué par l’altérité, la générosité... Dès son origine, la République proclame la "Fraternité". Les révolutionnaires de 1789 voulaient atteindre la "vertue républicaine". Alors, pourquoi aller chercher ailleurs, avec des concepts plus vagues, plus confus ? Au nom de la modernité ? Bof. Le problème avec le "care", c’est qu’on peine à y trouver la critique contre les injustices sociales de notre monde, si fortes en ce début de 21e siècle ? Quel est le jugement sur notre système économique, le capitalisme et son nouvel âge, qui impose des rapports marchands toujours plus brutaux, la recherche permanente du profit ? Où est l’aspiration à « changer la vie » ? Et le rôle redistributeur de l’Etat ? Quelle vision de la République ? Manifestement, pour les penseurs du « care », sur ces sujets « circulez, il n’y a rien à voir ». Sans mauvais jeu de mots, en cela il apparait comme une langue étrangère à la gauche. Ici, on nous propose simplement de « réparer » notre monde, mais aussi de le maintenir et de le perpétuer. J’exagère ? En êtes vous sûr ? Comment renvoyer à une addition de comportements individuels, à une seule éthique (produite par quel modèle social ?), le nécessaire rapport de forces social indispensable pour imposer un autre type de société, une autre répartition des richesses ? Ici, cela ne semble pas être le sujet. Mais, plus fondamentalement, ce concept de « care » semble faire fi qu’en France, il existe des services publics qui organisent la solidarité et la fraternité entre chaque citoyen. Ces services publics, à cause du gouvernement UMP et de la construction libérale de l’Europe, sont aujourd’hui très malmenés, étranglés, disloqués, affaiblis…et la part belle est laissée à des entreprises privées. Les services publics, laïques et universels, sont pourtant une des composantes essentielles de notre « identité nationale » républicaine et sociale. Le « care » est lui, un concept qui prend naissance dans des pays, comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, où les services publics sont quasi inexistants après les années Reagan et Thatcher. Mais en France… ? Je grossis le trait, mais n’y a-t-il pas danger à mettre en avant ces concepts qui semblent puisés dans une conception « caritative », tout droit issue de la doctrine sociale de l’Eglise, des relations entre les êtres humains, tournant le dos à toute idée de classe sociale, de revendications collectives. Dans ce système intellectuel, les conditions d’existences et de productions ne semblent plus jouer un rôle central dans le façonnement de la représentation du monde que nous avons. Le changement de société semble renvoyé à l’attitude individuelle de chacun (patron, ouvrier, chômeurs, …) sans distinction selon la place qu’il occupe dans la société.

L’obsédante question sociale

Est-ce de telles théories, semblant contourner la bataille sociale pour une autre répartition des richesses, qui vont armer la gauche pour l’emporter en 2012 ? Je ne le crois pas. En 2002, les raisons de la défaite de Lionel Jospin, et de la gauche, furent profondes. La majorité sociale, les ouvriers et les employés, bref la classe ouvrière, s’était détournée massivement du vote socialiste. Les décrochages électoraux que nous montrent toutes les études, dans les milieux populaires en attestent. Le principal acteur d’un gouvernement, rassemblant la quasi-totalité de la gauche, obtenait à peine 17% des voix des ouvriers ! On connaît la principale explication. Malgré un oeuvre positive dans certains domaines, le recul du chômage et les 35 heures sans perte de salaire, l’attente sociale dans le pays était forte et ce gouvernement semblait hésiter devant les difficultés. Il privatisait des services publics, capitulait devant l’Europe libérale, et ne traçait aucune perspective cohérente et audacieuse. A l’inverse, la droite et l’extrême droite cognaient idéologiquement contre lui, sans qu’il réponde avec clarté.

Mais, en 2002 (et aussi en 2007), au cours de la campagne, on a aussi pu constater une nouvelle fois combien le piège de la Ve république, rédigée par Michel Debré sur commande de Charles De Gaulle, s’était refermé sur la gauche. Classique. Elle a été élaborée pour cela. La gauche n’a jamais été à l’aise avec ce modèle institutionnel, d’essence bonapartiste, personnalisant à outrance l’élection majeure de la vie politique. La médiatisation de notre société, aujourd’hui incomparable avec ses balbutiements en 1958, en a rajouté des couches. A gauche, et c’est heureux, on est aux antipodes des délires idéologiques aux fondements de la Ve, célébrant : « la rencontre d’un homme avec son peuple ».

Honte aux peuples qui ont besoin de héros !

A gauche, ou du moins dans « l’Autre gauche » que souhaite regrouper le Front de gauche, on préfère les hommes plutôt que les grands hommes. Nous clamons : honte aux peuples qui ont besoin de héros. On chante « Ni Dieu, ni César, ni tribun », et l’on se méfie sitôt que le débat prend une forme trop personnalisée. Tant mieux. Saine réaction. Je suis de cette culture, elle nous met en garde face aux aventuriers. Mais, évitons toutefois de pratiquer un tir aux pigeons démagogique sitôt que la discussion commence. Nous entrons désormais dans le cycle politique qui nous amène à la prochaine élection présidentielle. Un peu de maturité collective, voilà maintenant 52 ans que la Ve République structure le débat politique. Cela a des conséquences profondes. Refuser de prendre l’élection présidentielle avec sérieux nous condamne à un rôle secondaire. Est-ce l’objectif de certains ?

En 2012, que va-t-il se passer ? Cette élection va passionner des millions de gens. Elle sera le moment d’une extrême tension dans la société sans doute sans précédent. La volonté de chasser Nicolas Sarkozy sera énorme et ce dernier se battra avec une détermination redoutable pour l’emporter à nouveau. Il mobilisera son camp avec des moyens de grande ampleur. La violence de l’affrontement sera sans précédent. Cet homme, et les forces qui le soutiennent, on le sait, sont prêt à tout. Ses codes ne sont les mêmes que ses prédécesseurs. Notre candidat devra savoir parler fort sous la mitraille de l’adversaire. Les électeurs qui voudront battre Sarkozy, pris à la gorge, auront la tentation de l’efficacité, dès le premier tour. Des millions de gens qui se sont abstenus dernièrement vont (re)venir voter. L’élection présidentielle est toujours le moment d’une plus forte participation. Plus éloignés des subtilités, parfois microscopiques, du débat politique que les électeurs des dernières régionales, l’approche des 30 % de nouveaux citoyens qui voteront se fait particulièrement par le média télévisé. S’ils ne sont pas dupes sur la déformation de l’information proposée, elle joue un rôle déterminant dans la formation de leur opinion. Enfin, les électeurs de gauche ne rechercheront pas le témoignage, mais voteront pour quelqu’un capable de gouverner, capable selon eux de changer le quotidien et apporter des réponses aux difficultés imposées par la crise économique (que l’on regarde l’exemple grec) qui risque d’être la toile de fond de l’élection de 2012.

Abattre la Ve République. Vite l’Assemblée constituante pour la VIe !

Bien sûr, la critique des institutions doit aussi rester une ligne de conduite permanente pour notre camp. Ce sera aussi, je crois, un des thèmes forts de la campagne à venir. Au PG, comme pour les autres composantes du Front de gauche, nous voulons la fin de la Ve République, imposée par la force, et la mise en place d’une VIe République rédigée par une Assemblée constituante. Quelle autre méthode démocratique et républicaine pour mettre en place de nouvelles institutions ? Un comité d’experts ? Mais, désignés par qui ? Par la simple voie parlementaire ? Mais, sur quel mandat ? Il faut donc une Assemblée constituante pour fonder une VI e République. Ainsi, si c’était un candidat PG qui était élu, le premièr de ses actes serait la convocation immédiate d’une telle Assemblée, en assumant la crise que cela représente, et le refus de se glisser dans le costume du monarque républicain taillé par la Ve. Depuis notre fondation, nous refusons ces institutions dont l’idée permanente est : « Rentrez chez vous, on s’occupe de tout ». Pour le PG, la gauche n’est forte que si elle s’appuie sur une société mobilisée.

Alors, comment préparer 2012 ? Dans les mois qui viennent, toutes les forces qui veulent la réussite du Front de Gauche doivent débattre avec sérieux. Si un candidat commun est possible, il ne sera la résultante que d’un raisonnement politique rigoureux. Les questions à se poser sont les suivantes : en 2012, que voulons-nous ? Postuler pour le pouvoir, ou être satellisé par le PS ? Pour jouer un rôle majeur notre candidate ou candidat doit répondre à quels critères ?

La candidature de Jean-Luc Mélenchon, me semble la plus efficace en 2012

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