POUR EN FINIR AVEC L’INJUSTICE FISCALE, de droite ou de gauche, la rupture avec la rupture se prépare aujourd’hui (article de Marianne)

dimanche 25 avril 2010.
Source : Marianne
 

Une " passion " pour la fiscalité souffle sur les partis. A l’UMP, certains osent déchirer le bouclier fiscal ; au PS, on réfléchit sur l’impôt redistributif. On discute beaucoup, mais qui passera à l’acte ?

Conséquence paradoxale de la " rupture " engagée par Nicolas Sarkozy : l’injustice de sa politique fiscale et son inefficacité étant patentes les inégalités se creusent ; où est la croissance ? , la majorité se trouve contrainte, tout comme l’opposition, d’inventer une alternative. Précipitamment donc, les politiques rivalisent de propositions de " grand soir fiscal ". A gauche, François Hollande a lancé la mode. A droite, le sénateur Alain Lambert est notamment imité par Dominique de Villepin. Au-delà du bouclier fiscal, toute l’architecture est passée au crible. Si, en 2007, vous avez aimé la " réhabilitation de la valeur travail ", vous adorerez, en 2012, la réhabilitation de l’impôt juste !

A droite, le principal aiguillon est électoral. Dans les urnes du scrutin régional, les élus UMP ou Nouveau Centre n’ont pu que constater la colère d’une partie de leur électorat. Croyant " gagner plus ", la droite de l’usine, de la boutique et des petits propriétaires s’aperçoit qu’une phalange de privilégiés bien tuyautés est dispensée de l’effort de solidarité nationale. Résultat : s’ils ne votent pas encore à gauche, ces sarkodupés ont peu ou prou viré sarkophobes.

D’où l’option, défendue par Jean Arthuis, de Château-Gontier, ou le bordelais Alain Juppé, de piétiner le bouclier fiscal, trop marqué Neuilly, afin de recoller les morceaux avec la France des préfectures et des idées modérées. Au sein des parlementaires UMP, ce hara-kiri idéologique était plus tabou que les supposés marivaudages du couple élyséen ; il est devenu si populaire que Jean-François Copé a dû s’y rallier.

" Les Français ne consentiront pas à un nouvel effort s’il n’est pas plus justement partagé qu’aujourd’hui ", résume son ami député UMP Michel Piron. Dans la majorité, en effet, la réduction de la dette publique est en passe de devenir l’ultime boussole économique et fiscale. La crise grecque fait figure d’épouvantail. " Elle montre que la solvabilité des Etats ne va pas de soi ", avertit ainsi Jacques Bichot, économiste libéral et contributeur de l’Institut Montaigne.

L’impôt ne fait plus peur

Depuis 1983, les cerveaux de la gauche étaient également formatés par l’orthodoxie budgétaire et les règles de Maastricht. Mais d’autres considérations sont désormais avancées. A minima, comme le formule François Hollande, il s’agit de faire payer à Sarkozy son " pari de l’iniquité fiscale ". Au-delà, observe l’économiste Jacques Généreux, membre du Parti de gauche, " les socialistes dessoûlés par la crise revendiquent à nouveau la "redistribution", un mot et une pratique abandonnés aux archaïques dans mon genre ". De fait, un garçon aussi convenable qu’Olivier Ferrand, disciple de Strauss-Kahn, part en guerre, au nom de la fondation Terra Nova, contre " l’obscénité d’un système fiscal devenu régressif ". Entre 2000 et 2010, précise-t-il, 20 milliards d’euros chipés aux classes moyennes ont été offerts aux plus aisés (1).

Le député PS Pierre-Alain Muet, auteur d’une note (2) publiée cette semaine par la fondation Jean-Jaurès, surenchérit : " l’actuel système fiscal est facteur de crise car il favorise l’endettement à la base et la spéculation au sommet ". " Le tabou de la hausse des impôts a sauté ", affirme François Lamy, conseiller de Martine Aubry. La cheftaine socialiste, il est vrai, ne s’est pas démontée quand le secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, à la fin de la campagne des régionales, a cru malin d’agiter l’épouvantail fiscal. Divine surprise, l’impôt ne fait plus peur ! " La gauche ne peut être battue par la droite, mais elle peut l’être si elle renonce à augmenter les impôts ", ose même provoquer un haut fonctionnaire proche de Jean-Pierre Chevènement, retournant l’axiome formulé en 1999 par Laurent Fabius.

Les ingrédients d’un débat fracassant sont désormais (presque) clairs. Trois points de clivage devront être tranchés d’ici à 2012, au sein même de la gauche comme de la droite. Primo, faudra-t-il augmenter les recettes fiscales ?

Rares sont les politiques qui assument publiquement cette ponction, mais tout le monde y pense, certains pour équilibrer les comptes publics, d’autres pour libérer les marges de manoeuvre nécessaires à une politique de relance. Plus personne, en tout cas, n’ose présenter le retour de la croissance comme la solution miracle. Idem pour la mythique " réduction du train de vie de l’Etat "...

Secundo, derrière la question symbolique de l’ISF, se profile un choix de société : est-il juste d’imposer le patrimoine et, si oui, comment ? En prônant sans précautions le remplacement de cet impôt " peu rentable " par une tranche supérieure d’impôt sur le revenu à 70 %, le franc-tireur socialiste Manuel Valls est tombé, malgré lui, dans le piège de la droite Copé-Arthuis, qui préfère taxer le travail plutôt que le capital !

A l’inverse, Vincent Drezet, membre du collège d’Attac (3), propose une taxation élargie du patrimoine détenu (y compris les oeuvres d’art, par exemple) et le rétablissement d’un impôt sur les successions aujourd’hui vidé de sa substance, quitte à épargner les résidences principales.

Rupture avec la rupture

Tertio, il s’agira d’affronter la question électorale qui fâche et de déterminer qui doit payer. En effet, si le député européen Liem Hoang Ngoc (4), proche de Benoît Hamon, et le villepiniste libéral Hervé Mariton préconisent tous deux une fusion de l’impôt sur le revenu (IR) et de la CSG, c’est avec des visées diamétralement opposées ! Pour le premier, il s’agit très franchement de " faire payer les riches ", car " l’impôt est un instrument de correction des inégalités quand le rapport de force dans les entreprises n’est pas favorable aux salariés ". Pour le second, au contraire, cette réforme doit concerner " tous les Français ", y compris les plus pauvres actuellement exonérés, sans " aggraver la progressivité de l’impôt ". Beau duel en perspective, si les candidats assument aussi crûment leurs divergences !

" La révolution fiscale est sur toutes les lèvres, je m’en réjouis, mais il faudra être encore plus précis ! ", avertit, mifigue, mi-raisin, l’économiste Thomas Piketty (5), qui a étudié tous les programmes politiques depuis 1900. " Dans chaque réforme fiscale ambitieuse, poursuit-il, se cachent de multiples difficultés techniques qui sont en fait de véritables points de conflit politique et devant lesquels on recule facilement si on ne les a pas assumés clairement avant les élections. " De droite ou de gauche, la rupture avec la rupture se prépare aujourd’hui.

Daniel Bernard


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