Retraites, une panique organisée (par JEAN-LUC MÉLENCHON dans Libé)

vendredi 30 avril 2010.
 

Le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) donne lieu à un intense pilonnage catastrophiste. Le lever de rideau du grand débat sur les retraites commence par un grossier conditionnement des citoyens ! Une lecture tantôt aveuglée, tantôt erronée du rapport est en cause. Le pays et l’enjeu méritent mieux.

On doit d’abord interroger la prétention du COR à prédire l’avenir économique dans quarante ans. Prévoir pour 2050, c’est affirmer qu’en 1970 on aurait pu décrire l’état de la société actuelle. En 1970, nous aurions donc été capables de prédire des événements tels que la disparition du camp socialiste, la réintégration dans l’économie de marché de 100% de la population humaine, la révolution informatique, le recours massif à l’énergie nucléaire, l’existence d’une industrie spatiale et des technologies de la communication ? Qui avait prévu ces changements majeurs ?

Pourtant, le COR se déclare capable de prévoir l’impact de l’émergence des biotechnologies, de l’épuisement des ressources énergétiques fossiles, du changement climatique, etc., dans quarante ans ! Quelle foutaise ! La prévision économique à 2050 déshonore ceux qui s’y livrent en affichant l’autorité d’un savoir « objectif » totalement infondée. Une telle vision de l’histoire ignore tout de la dynamique des systèmes complexes, qui sont tous discontinus, tandis que les déroulés linéaires tels que le COR les prévoit forment de rarissimes exceptions. Quel économiste se risquerait à dire ce qui se passera dans quatre ans ? Aucun. On pourrait vérifier !

La preuve, le débat sur la date de la reprise économique. Le rapport du COR part d’hypothèses démographiques discutables. Pourquoi avoir choisi comme taux de fécondité des Françaises un chiffre démenti, 1,9 enfant par femme ? C’était la projection faite en 2007 ! Pourtant, l’événement, ce fut précisément le constat d’un taux de fécondité effectif de 2,1 enfants par femme. Cet indicateur a une importance essentielle sur l’évaluation de la population active du futur. Elle fixe aussi la succession des générations creuses et pleines, succession elle-même décisive pour évaluer le rapport actifs-inactifs à chaque séquence de la vie du régime des retraites par répartition. Il influe enfin sur le calcul final du niveau de la richesse produite. Ainsi, le taux réel de fécondité produit presque un point de croissance supplémentaire, la moitié du surcoût du financement des retraites « en 2050 ».

Ensuite, pour quelle raison le rapport suppose-t-il une population active stable ? Pas d’immigrés à l’horizon ? Ça ne tient pas debout. La prévision suppose également, sans le dire, que la proportion des femmes salariées restera au niveau actuel, quinze points en dessous de celle des hommes ! L’énorme effort de rattrapage qu’elles ont accompli pour leur qualification universitaire et professionnelle, au point de les placer devant les garçons pour l’acquisition des diplômes, n’aura donc aucun impact sur leur entrée dans la vie active ? Et nous n’y pourrions rien ? L’action publique, l’évolution des mœurs et les luttes féministes produiront, j’en suis sûr, un tout autre résultat, avec des effets sur la population active finale et la dynamique du système de la répartition.

Je suis sidéré d’observer comment « la catastrophe annoncée » est grossièrement mise en scène ! Car c’est un trucage de présenter le chiffre d’un déficit cumulé de 2 600 milliards d’euros sur quarante ans ! Cette absurdité est confortée par le rapport du COR, qui présente des tableaux des déficits cumulés, comme si la répartition ne se faisait pas par années, et même par mois. Ou alors, en toute logique, mettons en regard les PIB cumulés : en supposant qu’il n’y ait aucune augmentation du PIB (alors que le rapport du COR le double en 2050), le déficit de 2 600 milliards serait à comparer aux 80 000 milliards de PIB cumulés sur quarante ans ! La dépense nouvelle est alors limitée à 3% du total ! En fait, il s’agit seulement de 72 ou 100 milliards de plus à trouver en 2050, selon le COR lui-même.

Cette somme est présentée sans comparaison susceptible de la place dans son environnement économique. Car c’est à la richesse produite en 2050 qu’il faut se reporter. Quelle sera-t-elle ? Le COR affirme que la somme à trouver représentera au maximum 3% de cette richesse du moment, soit pas grand-chose. Les gouvernements ont déplacé en trente ans dix points de richesse des poches du travail vers celles du capital et la manœuvre inverse, limitée à trois points et étalée sur quarante ans, serait impossible ? Aujourd’hui, si la population des plus de 60 ans représente 22,6% de la population générale, la part de leurs retraites dans les richesses produites est de 13,3 % : cela veut dire que la population concernée prélève moins que sa part dans la population générale. Trois points de plus ne modifieraient pas beaucoup ce déséquilibre !

Il est urgent de placer le débat à sa vraie place : la question du partage des richesses. Le modèle économique dans lequel, en 2050, 115 milliards d’euros seraient prélevés sur 3 800 milliards produits est parfaitement viable. Il est même plus performant que celui qui prévoit d’enfoncer dans la pauvreté une part croissante de la population qui alors ne produit ni ne consomme. A ceux qui se laissent intimider, disons que cette petite ponction laisse encore 1 785 milliards de richesses supplémentaires à partager pour les profits, les salaires, les investissements et les cotisations sociales ! Enfin disons l’absurdité d’un report de l’âge de départ effectif à la retraite : ceux qui ne seront plus retraités seront pour l’essentiel à l’assurance chômage, aux minima sociaux ou en préretraite. Qui paiera ? Retour à la case départ !

Pour finir, méditons sur le monde que nous prévoient pour dans quarante ans les bons esprits de notre temps. Il y régnera un chômage à 7%, les femmes n’auront pas amélioré leur situation, les gens de 65 ans seront dans la rue en attendant de liquider des pensions de misère ! Un autre futur devrait être possible.


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