Les plus riches prospèrent grâce à la droite et au bouclier fiscal

lundi 26 avril 2010.
 

1) Le riche 
« s’éclate » avec la droite

« Une explosion du nombre de personnes riches » et de leurs revenus entre 2004 et 2007… L’Insee révèle l’aggravation des inégalités en France sous l’effet des politiques salariales et fiscales du Medef et du pouvoir. L’Institut rappelle que le taux d’imposition des très hauts revenus est seulement 
de 20 %.

« Alors qu’elles ne représentent que 1 % de la population, les personnes à très hauts revenus perçoivent 5,5 % des revenus d’activité, 32 % des revenus du patrimoine et 48 % des revenus exceptionnels déclarés (plus-values, levées d’options). » Tel est le tableau dressé par l’Insee dans une étude sur « les revenus et les patrimoines des ménages » publiée hier. Mais l’Institut ne se contente pas de montrer la concentration des revenus, il constate « une explosion du nombre de personnes riches entre 2004 et 2007 accompagnée d’une explosion des revenus touchés par les personnes à très hauts revenus ». « Entre 2004 et 2007, relève-t-il encore, le nombre de personnes dépassant les 100 000 euros constants de revenus par unité de consommation (1) a crû de 28 % et de 70 % pour les personnes au-dessus du seuil de 500 000 euros. »

Pour la première fois, l’Insee cible les plus riches que riches. Ils ne représentent que 0,01 % des ménages et regroupent un peu plus de 5 800 personnes. Leurs revenus par unité de consommation vont de 688 000 euros par an à plus de 13 millions (un peu plus d’un million d’euros par mois). Ils sont donc peu nombreux, et pourtant ce sont eux qui tirent le mieux leur épingle du jeu. Il y a à cela essentiellement deux raisons. En premier lieu, la priorité donnée par les gouvernements successifs depuis le milieu des années 1980 au développement de la finance, au détriment de l’emploi et des salaires. Ainsi, selon l’Insee, si les revenus d’activité ont augmenté de 11 % entre 2004 et 2007, les revenus du patrimoine ont progressé de 46 % et les revenus exceptionnels de 55 %. En second lieu, la politique salariale des directions d’entreprise. Une autre étude de l’Insee consacrée aux très hauts salaires du secteur privé (équivalents ou supérieurs à 215 600 euros par an), ceux des managers, montre que ces rémunérations ont bénéficié d’un coup de pouce annuel de 5,8 % entre 2002 et 2007, contre une augmentation de 2,3 % en moyenne pour l’ensemble des salariés.

Cette caste de privilégiés de haut niveau est celle qui siège dans des conseils d’administration, ce sont les compères du CAC 40. C’est elle qui truste les lieux de pouvoir, définit la politique salariale au sein des grands groupes, s’attribue des jetons de présence, des actions d’entreprise, des retraites chapeau en plus des rémunérations fixes et variables. C’est ce gotha de la finance qui par ailleurs se donne pour priorité de baisser le coût du travail des autres et réclame un recul de l’âge de la retraite. L’Insee indique ainsi que ces 0,01 %, soit les plus aisés des riches, disposaient en moyenne en 2007 de 1,5 million d’euros par an de revenus d’activité auxquels s’ajoutent 1 million de revenus du patrimoine (valeurs mobilières) et un peu moins de 600 000 euros de revenus exceptionnels (essentiellement des levées d’options). Cette politique a été aggravée par la droite à partir de 2001 notamment par le vote en 2005 d’une refonte du barème de l’impôt sur le revenu, réduisant sa progressivité. On touche là au mensonge fiscal de la droite. L’Insee note en effet qu’en 2007, le taux d’imposition des hauts revenus n’était que de 10 % (2). Celui des plus aisés d’entre eux (les 0,01 % évoqués), de seulement 25 % en moyenne. La politique fiscale engagée après 2007 a accentué cette évolution.

(1) Échelle de mesure de l’Insee qui permet de comparer des ménages de taille et de composition différentes. Un adulte est identifié à une unité 
de consommation, un enfant de moins de quatorze ans à 0,3 unité.

Pierre Ivorra

(2) Hors prélèvements sociaux 
sur les revenus du patrimoine, 
impôts locaux et ISF.

2) Le bouclier fiscal profite à 99% aux plus fortunés. Les dix bénéficiaires les plus riches ont reçu chacun, en moyenne, six millions d’euros

1 À qui profi te vraiment le bouclier fiscal ?

Les données publiques disponibles sur ses bénéficiaires confirment ce qu’on savait déjà : une infime minorité de foyers très fortunés captent la très grosse partie du magot en restitutions d’impôt, principalement d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) dont s’acquittent les ménages déclarant un patrimoine supérieur à 760 000 euros, après les divers abattements. « Un petit nombre de personnes concentre une part très importante du coût de la mesure », écrit ainsi le député Gilles Carrez (UMP) dans un rapport de juillet dernier. En 2008, le bouclier fiscal aurait ainsi bénéficié à 15 500 foyers fiscaux, dont 5 660 sont redevables de l’ISF, lesquels concentrent à eux seuls « 99 % du coût du dispositif », qui était de 563 millions d’euros cette année-là. Et encore, parmi eux, ce sont les imposables de tout en haut de l’échelle, ceux qui déclarent un patrimoine de plus de 15,8 millions d’euros, qui profitent de l’essentiel de la manne. En 2009, un peu moins de 1 000 ménages se sont ainsi partagés 368 millions d’euros en restitutions du Trésor public, soit près de 400 000 euros par ménage… Et en 2008, les 100 restitutions les plus importantes ont atteint près de 1,2 million d’euros par foyer, en hausse de 89 % par rapport à 2007. Pour les 10 plus grosses, le chèque rendu atteint en moyenne 6 millions d’euros par foyer, soit… + 270 % en un an. Pas de crise pour les nantis.

2 Les ménages modestes en bénéficient ils ?

C’est la mystification avancée par la droite pour justifier sa mesure. Un peu plus de la moitié des bénéficiaires du bouclier fiscal (8 124 contribuables en 2008) sont effectivement des foyers à très bas revenus (moins de 3 263 euros annuels) et disposant d’un petit patrimoine. Mais les sommes redistribuées sont très faibles : seulement 535 euros par ménage en 2008. Cela ne fait que souligner l’énorme écart avec les restitutions accordées à une poignée de privilégiés. À eux tous, les plus modestes ont donc touché 4,35 millions d’euros, soit moins de 0,8 % du coût total du bouclier. Même pas l’équivalent de ce qu’ont perçu ensemble deux des dix plus gros bénéficiaires.

3 Quel est le taux d’imposition des hauts revenus ?

Avant de faire jouer le bouclier fiscal, les plus fortunés ont la possibilité de déduire de leur patrimoine imposable tout un tas de biens exonérés d’ISF et de faire jouer nombre d’abattements qui en minorent la valeur. Par exemple, les biens « professionnels » ou les oeuvres d’art ne sont pas taxables. Ensuite, l’assujetti à l’ISF peut faire valoir son droit à bénéficier du bouclier si la somme de ses impôts directs (impôt sur le revenu + impôts locaux + ISF) dépasse 50 % de son revenu de l’année précédente (60 % quand Dominique de Villepin l’a instauré en 2006). Mais ce plafond est en réalité de 39 %, déduction faite de la CSG et de la CRDS prises en compte dans les 50 %. Plus on est riche, plus cette méthode de calcul est favorable. En effet, plus l’accumulation de patrimoine taxable est énorme et creuse l’écart avec la base de calcul de l’impôt total, qui ne prend en compte que les revenus annuels (les « salaires » des riches), plus la restitution par le Trésor public est importante.

4 L’ISF est-il un impôt « confiscatoire » ?

C’est l’autre argument de la droite pour défendre le maintien du bouclier fiscal : sans lui, ses assujettis pourraient payer des impôts excédant le montant total de Un bouclier fi scal qui profi te à 99 % aux plus fortunés leur revenu annuel… Une véritable intox. Entre 1988 et 1991, les gouvernements socialistes ont plafonné cet impôt à 70 % des revenus annuels, puis à 85 % des revenus annuels. Alain Juppé a ensuite limité l’avantage procuré aux gros patrimoines en instaurant, en 1996, un « plafonnement du plafonnement » de l’ISF, c’està- dire en limitant la réduction d’impôt à une somme maximale correspondant à une fraction de l’impôt normalement dû. La droite n’a eu de cesse, ensuite, de vouloir revenir sur cette « limitation de la limitation », avant que soit instauré le bouclier fiscal qui a clos le débat sur ce point.

5 Supprimer le bouclier fiscal, oui… mais pour quoi faire ?

Nombre d’élus de droite se targuent aujourd’hui de vouloir la peau du bouclier fiscal. Mais la plupart se contentent soit de proposer sa « suspension » temporaire, soit de coupler sa suppression avec celle de l’ISF, rendant de fait le bouclier fiscal sans objet ! À gauche, d’autres idées émergent. Le PCF se prononce ainsi pour le doublement de l’ISF pour les patrimoines compris entre 760 000 et 1 200 000 euros et son triplement au-delà. Une mesure qu’il articule à une réforme fiscale globale, à base d’augmentation du nombre des tranches de l’impôt sur le revenu dans le sens d’une plus grande progressivité et de baisse de la TVA, impôt injuste par excellence, qui frappe au même taux tous les ménages.

SÉBASTIEN CRÉPEL

3) Olivier Ferrand « Les Français modestes paient en proportion plus d’impôts que les riches »

En septembre 2009, la fondation Terra Nova a publié une étude sur la politique fiscale conduite par la droite depuis 2002. Entretien avec l’économiste Olivier Ferrand.

Longtemps décrié par la gauche, le bouclier fiscal soulève une très vive polémique, en ce moment, dans les rangs de la droite. Cet instrument est-il à l’image de la politique fiscale conduite 
par la droite depuis 2002  ?

Olivier Ferrand. La totalité des réformes consiste à redistribuer du pouvoir d’achat aux Français les plus aisés. Trente millions d’euros par an sont ainsi redistribués aux 5 % les plus riches. Le bouclier fiscal est l’emblème de cette politique fiscale. Alors que l’ensemble des pays occidentaux se lancent dans une politique inverse de réaugmentation des impôts des citoyens les plus aisés pour lutter contre les inégalités et redonner du pouvoir d’achat aux victimes de la crise. Aux États-Unis par exemple, le taux marginal de l’impôt sur le revenu est passé de 40 à 50 % pour les plus riches.

Vous parlez, dans votre étude sur la politique fiscale menée par la droite depuis 2002, de « redistribution à l’envers », Qu’entendez-vous par là  ?

Olivier Ferrand. La politique fiscale depuis 2002 est marquée par des prélèvements obligatoires stables. Ce qui veut donc dire que les cadeaux fiscaux faits aux ménages les plus aisés ont été financés par une hausse des impôts sur le reste des Français, c’est-à-dire les classes moyennes et populaires, au nom d’une vision de la société propre au président de la République. Une société méritocratique, où le mérite est confondu avec la réussite financière personnelle.

Quels impôts ont le plus diminué  ?

Olivier Ferrand. En volume, c’est l’impôt sur le revenu. Ensuite, toute la palette a été utilisée pour alléger la fiscalité sur les rentes. Il y a eu bien sûr celle sur l’ISF avec le bouclier fiscal ; les droits de succession qui sont tombés à 5 milliards d’euros, soit quasiment plus rien.

Quels ont été les effets 
sur la croissance et l’emploi  ?

Olivier Ferrand. Un des arguments était de dire que la réforme permettrait de faire revenir les plus hauts revenus et donc des décideurs économiques qui participent à la croissance française. Rien ne permet d’affirmer aujourd’hui qu’il y a des succès économiques sur ce plan-là. Par ailleurs, une politique fiscale permet de soutenir la consommation et l’emploi quand celle-ci cible ceux qui consomment, c’est-à-dire les classes moyennes et populaires. Faire de la redistribution fiscale en faveur des ménages les plus aisés ne relance pas la consommation mais accroît l’épargne.

Faut-il un débat national 
sur la fiscalité en France  ?

Olivier Ferrand. Le dernier grand rapport qui a été fait sur l’architecture du système fiscal français, en 1994, montre que contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce dernier n’est pas redistributif. La pression fiscale et sociale qui pèse sur les ménages en France n’est absolument pas progressive mais proportionnelle. Ainsi, le taux de TVA est le même pour tous, ce sont les ménages modestes qui déboursent le plus. En réalité, le seul impôt progressif est celui sur le revenu, mais il a tellement été raboté depuis 2002 qu’il a perdu une grande partie de son efficacité redistributive. Il y a donc fort à parier que le système est désormais régressif, c’est-à-dire que les Français modestes paient proportionnellement plus d’impôts que les plus aisés. Il est donc urgent de réfléchir et de proposer une grande réforme fiscale afin de restaurer une justice sociale et sa redistribution.

Vous dénoncez une fiscalité 
qui accroît les inégalités, 
mais celles-ci ne sont-elles pas d’abord le reflet d’une économie tournée vers la finance  ?

Olivier Ferrand. Nous sommes rentrés dans un nouveau capitalisme plus financier, plus individualisé, créateur de plus d’inégalités. Il y a une captation de la richesse par les très hauts revenus. Aux États-Unis, les 10 % les plus riches gagnaient 8 fois plus que les 10 % les plus pauvres en 1980, aujourd’hui, ce rapport est de 1 à 20. Les inégalités salariales sont revenues au même niveau qu’en 1900. En France, le chiffre était de 1 à 7 en 1980, il est aujourd’hui de 1 à 10.

Entretien réalisé par Clotilde Mathieu


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