Tadjikistan : les violences domestiques ne doivent plus être considérées comme des affaires de famille

mercredi 14 avril 2010.
 

Les autorités du Tadjikistan doivent faire le nécessaire pour que les violences à l’égard des femmes donnent lieu à des poursuites pénales en bonne et due forme, a déclaré Amnesty International dans un rapport publié ce mardi 24 novembre.

Dans ce document, intitulé Violence is not just a family affair : Women face abuse in Tajikistan, l’organisation évoque les violences physiques, psychologiques et sexuelles auxquelles des femmes sont confrontées au sein du cercle familial et exhorte les autorités tadjikes à les traiter pour ce qu’elles sont : des infractions pénales, au lieu de leur dénier toute importance en les ramenant à des « affaires de famille d’ordre privé ».

« Au Tadjikistan, des femmes sont frappées, maltraitées et violées au sein du cercle familial, mais les autorités, comme la société en général, tendent à renvoyer aux femmes la responsabilité des violences domestiques qu’elle subissent. Estimant que leur rôle est avant tout celui d’un médiateur, elles cherchent à préserver la famille au lieu de protéger les femmes et leurs droits, a déclaré Andrea Strasser-Camagni, chercheuse d’Amnesty International chargée du Tadjikistan.

« Les valeurs familiales traditionnelles tadjikes, renforcées après l’effondrement de l’Union soviétique, imposent des discriminations supplémentaires aux femmes en réduisant leur identité à celle d’épouse ou de mère, ou en les cantonnant aux emplois les moins rémunérés du marché du travail.

« Passant les violences à l’égard des femmes par profits et pertes en les ramenant à de simples affaires de famille, les autorités du Tadjikistan fuient les responsabilités qui leur incombent envers une grande partie de la population. Elles permettent aux auteurs de telles infractions d’agir en toute impunité et privent les femmes de leurs droits fondamentaux. »

La violence à l’égard des femmes, notamment au sein de la famille, est très répandue au Tadjikistan. On estime que 30 à 50 % des femmes sont régulièrement soumises à des violences physiques, psychologiques ou sexuelles par leur mari ou leurs beaux-parents.

Les femmes tadjikes sont souvent dépendantes de la famille de leur époux sur le plan économique. Certaines d’entre elles ont indiqué à Amnesty International qu’à leur arrivée au domicile de leurs beaux-parents après le mariage, il arrive qu’elles soient brutalisées non seulement par leur mari, mais aussi par leurs beaux-parents, notamment par les belles-mères, qui ont parfois subi le même sort.

« Les femmes sont traitées comme des domestiques ou comme la propriété de la famille des beaux-parents. Elles n’ont personne vers qui se tourner, les autorités ayant pour habitude de préconiser la réconciliation, renforçant ainsi leur position d’infériorité. Les violences et humiliations subies au sein de la famille conduisent de nombreuses femmes au suicide », a déclaré Andrea Strasser-Camagni.

Les services de protection des victimes de violence domestique sont insuffisants, et la plupart d’entre eux dépendent d’organisations non gouvernementales locales financées par des fonds internationaux. Les membres de la police, de l’appareil judiciaire et du corps médical ne sont pas assez formés pour prendre en charge les cas de violence domestique.

L’éducation est un élément primordial pour permettre aux filles d’accéder à l’autonomie et leur donner ainsi une chance d’échapper à la violence et à la pauvreté. Cependant, les filles quittent tôt le système scolaire, pour contracter des mariages précoces et souvent non officiels ou polygames, autant de facteurs qui accroissent leur dépendance envers leur mari.

Les premières mesures prises par les autorités tadjikes pour lutter contre la violence domestique se sont révélées très insuffisantes.

Bien qu’elles aient ratifié des traités internationaux relatifs aux droits humains protégeant les droits des femmes, elles ne respectent pas l’obligation qui leur incombe de protéger ces droits et de les concrétiser.

Amnesty International appelle les autorités tadjikes à :

* prévenir et rendre passible de poursuites la violence perpétrée contre les femmes au sein de leur famille, par l’adoption de dispositions législatives nationales les sanctionnant efficacement et par la mise en place d’une assistance sur l’ensemble du territoire ;

* mener une campagne de sensibilisation nationale afin de lutter contre les pratiques illégales que sont les mariages non officiels, polygames et précoces ;

* lever toutes les entraves à la scolarisation des filles et s’attaquer aux causes profondes qui incitent les filles à abandonner l’école.

Études de cas :

Zamira s’est mariée à dix-huit ans dans le cadre d’une union musulmane traditionnelle. Ce mariage a duré cinq années, durant lesquelles Zamira n’a jamais pu quitter la maison de son époux. « C’était comme une prison », a-t-elle déclaré. D’après son témoignage, lorsqu’elle demandait à son mari la permission de sortir ou lorsqu’ils se disputaient, il la battait. Un jour, il a obtenu le divorce selon la tradition islamique et les parents de son époux l’ont mise à la porte. Aujourd’hui, Zamira habite avec ses parents et son fils de neuf ans dans une maison surpeuplée. Elle rêve d’un logement où elle pourrait vivre seule avec son enfant.

Tahmina, mère de trois enfants, est mariée depuis treize ans. Selon son témoignage, elle a fait trois fausses couches, après lesquelles son mari s’est mis à la battre. Elle a à nouveau perdu un enfant des suites des mauvais traitements subis, puis fait une autre fausse couche alors qu’elle était enceinte de cinq mois, et son premier bébé est né malformé. Un jour, elle est allée voir la police pour lui montrer qu’elle était couverte de bleus et qu’elle avait eu le bras entaillé d’un coup de couteau. Les policiers se sont bornés à lui dire qu’elle avait la possibilité de déposer une plainte. Elle a eu le sentiment qu’ils lui reprochaient d’avoir provoqué les violences dont elle se plaignait.

Risolat, une adolescente de dix-sept ans résidant dans une petite ville, a été violée par son « petit ami », qui a menacé de la tuer si elle parlait. Il l’a régulièrement contrainte à des rapports sexuels pendant une période de quatre mois. Il lui infligeait aussi des mauvais traitements. Un an plus tard, elle est allée voir la police pour porter plainte, mais les policiers se sont moqués d’elle et l’ont renvoyée chez elle.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message