Sarko et Carla : Qui sème le vent récolte la tempête

mercredi 21 avril 2010.
 

Pas un sondage pour rattraper l’autre, pas un geste pour corriger le précédent, pas un mot qui redonne du sens, pas un commentaire qui ne brocarde sans pitié, pas un conseil qui ne laisse percer la critique : le président de la République en est là, dans un de ces moments où tout se détraque, où les dépressions s’enchaînent sans répit, où le naufrage menace.

Malheureusement pour lui, il ne peut le plus souvent s’en prendre qu’à lui-même. Car c’est aussi vieux que la Bible : qui sème le vent récolte la tempête. Pour avoir beaucoup semé, Nicolas Sarkozy récolte abondamment. Ainsi cette affaire de rumeurs sur la vie privée du couple présidentiel, que l’on qualifierait volontiers d’abracadabrantesque si elle n’était affligeante pour les intéressés et ridicule pour le pays. Il faut bien en dire un mot, puisqu’elle est devenue une affaire d’Etat, mobilisant les plus gradés des policiers, les plus proches des conseillers et jusqu’à l’épouse du président.

Or il est un peu tard pour crier au scandale quand on a, si délibérément, aboli la frontière entre sphère publique et vie privée, mélangé les genres sans craindre la trivialité, jeté en pâture au bon peuple joies et peines présidentielles comme autant d’épisodes d’une saga télévisée soigneusement mise en scène, quand on a enfin publiquement revendiqué cette liberté.

C’était le 8 janvier 2008, lors de la première – et dernière à ce jour – grande conférence de presse de Nicolas Sarkozy. Devant ses ministres, ses conseillers et quelque six cents journalistes du monde entier, durant de longues minutes, le président s’était fait le chantre de la modernité, étalant son idylle au nom de la transparence, justifiant les photos autorisées plutôt que volées, dénonçant la « tradition déplorable de notre vie publique, celle de l’hypocrisie et du mensonge », avant de conclure, comme un adolescent bravache : « Vous l’avez compris, avec Carla, c’est du sérieux. »

Passionnante à revisiter, d’ailleurs, cette conférence de presse. Impérieux, conquérant, caustique ou cinglant, le président pouvait encore tout se permettre, du moins le croyait-il. Comme cet aveu provocateur : « Que voulez-vous que je fasse, que je vide des caisses qui sont déjà vides ? » Ou comme ce long discours liminaire inspiré, qui inscrivait l’ensemble de son action dans le cadre flamboyant d’une « politique de civilisation ». Révision des institutions, bonheur national brut, Grand Paris, école, banlieues, intégration par les quotas, suppression de la publicité sur les chaînes de l’audiovisuel public : autant de facettes de cette politique de civilisation qui fera de la France « l’âme d’une nouvelle Renaissance dont le monde a besoin ». Bravo l’artiste !

Deux ans ont passé. Autant dire une éternité. Tant ce morceau de bravoure dessine, a contrario, les renoncements, les improvisations et les impuissances dont les Français ont pris la mesure. La croissance ? N’en parlons pas : elle a été foudroyée par la crise. Mais le reste ? La politique de civilisation ? Oubliée aussi vite qu’elle avait été annoncée. Le Grand Paris ? Réduit à un projet technocratique inabouti et récusé par la plupart des élus intéressés. Le partage plus équitable des profits entre salariés et actionnaires qu’« aucun lobby » ne pourrait empêcher ? Plus personne ne l’attend. Quant à la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, si elle a bien été réalisée après 20 heures, sa généralisation à l’ensemble de la journée est désormais remise en cause de tous côtés, au grand dam des amis du président, qui entendaient bien en tirer profit.

Beaucoup de bruit, donc, beaucoup de vent, et une déception dont un sondage réalisé par TNS-Sofres depuis quatre décennies donne la mesure impressionnante. Trois ans après l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, auquel on compare volontiers l’actuel président, son bilan était encore jugé plutôt positif par 41 % des Français. Pour François Mitterrand, après trois ans de mandat (la calamiteuse année 1984), le chiffre tombe à 30 %. Jacques Chirac a pour sa part touché le fond (27 %) dès sa deuxième année de mandat, en 1997, avant que la cohabitation ne lui permette de remonter la pente. Aujourd’hui, trois ans après son entrée à l’Elysée et selon une enquête similaire réalisée les 7 et 8 avril, 21 % seulement des Français jugent plutôt positif le bilan de Nicolas Sarkozy (contre 69 % qui le jugent plutôt négatif et 10 % qui sont sans opinion). Un record de désillusion, donc.

Encore l’opinion est-elle lointaine, anonyme, peut-être versatile. Les rivaux, eux, c’est une autre affaire, plus immédiatement dangereuse. Les uns après les autres, ils sortent de leur tanière, viennent rôder autour du chef de meute affaibli, et chacun y va de son coup de griffe.

« Pourquoi avons-nous tant de réformes et si peu de résultats ? », questionne Dominique de Villepin, avant de conclure : « La religion des Français est faite. » « On ne peut pas tout faire en même temps, en bousculant trop d’habitudes à la fois et en coalisant trop de mécontentements », ajoute comme en écho Alain Juppé, avant de sauter le pas à son tour : au cas où Nicolas Sarkozy ne se représenterait pas en 2012, il se prépare à offrir ses services. Quant à Jean-François Copé, en dépit de ses dénégations, il poursuit méthodiquement son harcèlement : hier sur le bouclier fiscal et l’interdiction de la burqa, désormais sur l’interdiction totale de la publicité sur les chaînes publiques.

Qu’aurait fait Jacques Pilhan dans pareille situation ? Quelle savante et imparable martingale aurait imaginée Le Sorcier de l’Elysée (Plon), l’homme qui conseilla François Mitterrand, puis Jacques Chirac, et leur fit gagner trois élections présidentielles ? Dans la passionnante et talentueuse enquête qu’il lui a consacrée – et qui vient de lui valoir le Prix du livre politique 2010 –, François Bazin rappelle en tout cas une loi absolue édictée par cet alchimiste de la communication politique : « Parler quand on est impopulaire, c’est comme marcher dans les sables mouvants. Plus on s’agite, plus on s’enfonce. »

Nicolas Sarkozy est-il capable d’arrêter de s’agiter ? Rien n’est moins sûr, à supposer en outre qu’il admette à l’Elysée d’autre sorcier que lui-même.

Gérard Courtois


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message