Profits Produire autrement pour partager mieux

mardi 23 mars 2010.
 

Une répartition plus équilibrée des richesses appelle la promotion à la fois des salaires et de l’emploi et un changement du type de productivité des entreprises.

Comment parvenir à une répartition plus juste de la richesse nouvelle créée, de ce que les économistes appellent la valeur ajoutée (1)  ? Cette question taraude la société française et elle n’a jusqu’à présent pas reçu de réponse pérenne et satisfaisante même si les luttes populaires ont permis de donner des répliques importantes mais partielles.

Les dividendes

La question du partage des richesses ne peut être abordée par le petit bout de la lorgnette comme le fait Nicolas Sarkozy, lui qui la réduit au seul problème de la répartition des bénéfices par le biais de l’intéressement et de la participation. Il est vrai que le président de la République essaie ainsi de faire pièce à l’indignation populaire suscitée par la montée des rémunérations des actionnaires. Les dividendes distribués par les entreprises, notamment par le gotha du CAC 40, ont explosé. En 1993, les dividendes nets versés par l’ensemble des entreprises non financières représentaient 2,2 % de la valeur ajoutée. Quatorze ans plus tard, en 2007, cette part montait à 5,1 %. Cette évolution est la conséquence de la financiarisation du capitalisme, de l’influence accrue des marchés financiers sur les gestions d’entreprise (2).

On comprendra que cette problématique du partage des seuls bénéfices est un piège. Dans sa logique, pour augmenter la rémunération des salariés, il faudrait que ces derniers mettent tout en œuvre pour augmenter le bénéfice de leur entreprise. À quel prix  ? Au détriment de leur salaire de base, de leurs conditions de travail, de leurs emplois  ? On invite ainsi les salariés à lâcher la proie pour l’ombre. Cela pour au moins trois raisons. D’abord parce que, comme le souligne un organisme officiel (3), cette politique qui indexe une partie des rémunérations sur les bénéfices favorisent ainsi « l a modération salariale ». Ensuite parce qu’il s’agit d’un système très inégalitaire. Une étude du ministère de l’Emploi (4) montre que si 54 % des cadres bénéficient des dispositifs de participation, ce n’est le cas que de 38 % des employés et de 43 % des ouvriers.

La masse salariale varie avec l’emploi

En dernier lieu, parce que la promotion de la qualification des salariés et de l’emploi suppose une ambition bien plus grande que la diminution des bénéfices des actionnaires même si celle-ci ne peut être négligée. Le bénéfice n’est qu’un résultat final, il fluctue en fonction de la conjoncture et des stratégies directoriales. Un management d’entreprise qui souhaite afficher un bénéfice à la hausse ou à la baisse, voire une perte, pourra faire varier les provisions, alourdir ou alléger la barque de certaines charges. Comment placer la politique salariale d’une entreprise à la remorque de ces choix  ? D’autant plus que limiter ainsi la réflexion sur la place des salaires dans une entreprise et un pays, c’est accepter que la politique de l’emploi échappe à l’intervention des salariés. La masse salariale évolue à la fois au gré de la politique des salaires du patronat et du gouvernement et aussi de leur politique de l’emploi. Ainsi, si dans le groupe Renault les dépenses de personnel sont passées de 133,9 à 124 milliards d’euros entre 2007 et 2009, c’est d’abord parce que les effectifs ont baissé de 133 854 à 124 307 salariés. La masse salariale évolue également au rythme de la transformation des qualifications, la place des cadres et des techniciens augmentant, celle des employés et des ouvriers diminuant. Ou au rythme du développement des emplois précaires.

Ne pas oublier la productivité

La justice en matière de répartition des richesses suppose aussi que le type de productivité soit interrogé. Ainsi, avec la crise, nombre de directions tentent de redresser leurs marges en augmentant la productivité apparente du travail, en intensifiant les cadences ou en remplaçant les hommes par des machines. Le conflit sur les salaires qui a éclaté chez Danone est contemporain du plan de relèvement de la productivité. Pour rééquilibrer le partage des richesses il faut agir aussi sur la façon dont elles sont produites, en privilégiant le développement des capacités humaines.
Cela suppose à l’heure de la révolution informationnelle de transformer ce type de productivité en privilégiant la formation, les conditions de travail des salariés afin de permettre l’utilisation la plus efficace des progrès technologiques, cela suppose aussi de réduire les prélèvements financiers (intérêts et dividendes) sur l’activité, notamment en agissant sur les conditions de financement des entreprises. Toutes mesures qui supposent de lutter et de gagner des positions nouvelles, des droits et pouvoirs permettant de rééquilibrer le partage de la richesse et de changer les conditions de sa réalisation. Produire autrement et plus pour partager mieux.

Pierre Ivorra

(1) La valeur ajoutée est constituée des ressources dégagées par le travail déduction faite des biens et des services consommés. (2) Cf. Économie et politique, numéros de juillet et septembre 2009. (3) Centre d’analyse stratégique, note de veille n° 124, février 2009. (4) Dares, juin 2008.


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