Sarkozy : Un genou à terre (par Denis Sieffert, Politis)

dimanche 21 mars 2010.
 

Pas besoin d’être politologue pour tirer la leçon essentielle du premier tour : les Français – ceux qui ont voté, et beaucoup parmi ceux qui n’ont pas voté – ont infligé une terrible défaite à Sarkozy. De l’échec des listes UMP, devancées nationalement par le PS, découle presque mécaniquement tout le reste : l’abstention massive qui est d’abord le fait de l’électorat de droite ; et le retour du Front national un temps dissous dans le « sarkozysme bessonnien » ; et même le très bon score d’Europe Écologie, et le résultat honorable du Front de gauche. Car, contrairement à ce qui avait pu se passer aux européennes, il n’y a pas eu de phénomène de « vases communicants » au sein de la gauche. Tout s’est fait aux dépens de ce qu’on appelle la droite parlementaire. Laquelle, par les temps qui courent, s’identifie à un seul homme : Nicolas Sarkozy qui, comme un boxeur sonné, a aujourd’hui un genou à terre. Le piège de la formation unique, fourre-tout idéologique, et dévoué à un chef redouté, s’est refermé sur sa figure de proue. Fondé en 2002 pour rassembler toutes les tendances de la droite, des gaullistes aux néolibéraux, en passant par les démocrates-chrétiens, l’UMP avait vocation à gagner haut la main les premiers tours, pour vivre ensuite sur son avance et spéculer sur les divisions de l’adversaire. Or voilà, le parti présidentiel, devancé en ce premier tour par le PS, qui, lui, ne représente qu’un courant de la gauche.

Quelles sont les raisons de cet échec historique ? Elles tiennent en un mot : le mensonge. En un temps record, Nicolas Sarkozy a décrédibilisé sa parole politique à force de promesses non tenues, de déclarations bravaches et de double langage. La plasticité de son discours au gré des circonstances et des publics (du Grenelle de l’environnement au Salon de l’agriculture, par exemple) a dépassé les limites de la démagogie ordinaire. Il y faut ajouter les manifestations d’un rapport puéril à l’argent et aux attributs clinquants du pouvoir, qui ne plaît guère à une partie de son électorat. Car le « sarkozysme » vise deux clientèles : les riches, ceux de la rente et de la finance, et une base populaire sur laquelle le discours moralisateur de la « revalorisation » du travail, le « travailler plus pour gagner plus », et l’idéologie sécuritaire avaient produit, en 2007, le meilleur effet. Au fil du temps, Sarkozy s’est révélé le fondé de pouvoir exclusif des premiers. Il a rompu l’équilibre entre ses deux bases sociales.

Jusque dans la symbolique de ses frasques, de la première soirée au Fouquet’s au yacht de Bolloré, en passant par les dispendieuses vacances américaines, et l’épisode de son rejeton propulsé à la tête de l’établissement public de La Défense, c’est aux riches, aux très riches, qu’il s’est adressé, et à eux seuls. La part populiste du discours a été démentie, autant par le comportement personnel du chef de l’État que par sa politique. C’est cette seconde catégorie d’électeurs de 2007 qui ne s’est pas déplacée dimanche, ou qui est revenue au Front national.

Et la gauche dans tout ça ? La recomposition en son sein n’est pas inintéressante. Europe Écologie et le Front de gauche, chacun à leur niveau, confirment leur enracinement dans le nouveau paysage, pendant que le NPA paie le prix de sa stratégie d’origine. Les électeurs de ce côté-ci de l’échiquier veulent l’unité de la gauche antilibérale, et une unité pour gouverner. Ce qui correspond évidemment davantage à la position du Front de gauche. Quant au Parti socialiste, il est en quelque sorte le témoin passif de sa propre victoire. Le vote de dimanche n’est en rien un vote d’adhésion à un projet que, d’ailleurs, nul ne connaît. Ce n’est qu’un vote de rejet de la droite, sec et brutal. L’abstention massive ne laisse guère de place à une autre analyse. Posons-nous maintenant la dernière question qui vaille. La plus importante sans doute : qu’est-ce que le scrutin de dimanche, à supposer qu’il soit confirmé au second tour, va changer dans la vie de nos concitoyens ? De façon un peu provocante, on serait presque tenté de répondre : rien ! Dans notre démocratie infirme, on peut parfaitement ne tenir aucun compte d’un désastre à des élections intermédiaires. Puisque, dans ce système, seule importe la présidentielle, rien n’empêche Nicolas Sarkozy de poursuivre son travail de saccage de notre système social (prochaine étape annoncée : les retraites). Comme rien n’interdit à ceux qui ont potentiellement un bon candidat à la présidentielle d’espérer se refaire, et masquer leur misère collective dans un scrutin plus favorable. Même François Bayrou peut en rêver. Cela, ce sont nos institutions. Mais il y a aussi la psychologie collective. Dans un parti comme l’UMP, fondé sur la confiance en un seul chef – celui dont on accepte les excès d’autorité parce qu’au bout du chemin il conduit à la victoire –, la défaite humiliante dudit chef risque d’avoir des effets désastreux. Le sarkozysme ne tolère pas les crises de confiance. D’où l’extraordinaire et intenable déni auquel se livrent les petits marquis depuis dimanche. À l’inverse, à gauche, le sentiment que le mouvement de balancier est réengagé dans le bon sens peut créer une dynamique nouvelle. Y compris dans la rue. Le problème, c’est précisément le « mouvement de balancier ». Ce n’est sûrement pas cela qu’il faut. La défaite de Sarkozy est bonne pour le moral. Mais, à gauche, il faut du neuf. Quelque chose qui, par exemple, prendrait le meilleur du Front de gauche et le meilleur des Verts…


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