Si la Grèce était une banque, ils l’auraient déjà sauvée depuis longtemps ! (par Jean-Jacques Chavigné)

mardi 9 mars 2010.
 

Heureusement que les dirigeants des 27 pays de l’Union européenne ne travaillent pas au service des urgences d’un hôpital. Avec leur acharnement à faire payer au peuple grec les falsifications commises par le gouvernement conservateur au pouvoir jusqu’en octobre 2009, ils refuseraient de soigner une famille victime d’un accident de la route, sous prétexte que le père (ou la mère) qui conduisait la voiture avait bu un coup de trop et brûlé un feu rouge.

« On ne guérit pas un alcoolique en lui donnant encore une nouvelle bouteille d’eau-de-vie » confirme, d’ailleurs, le député libéral allemand Franck Shäffer. Comme si toute la famille était alcoolique. Comme si c’était le peuple grec qui avait falsifié les comptes de la Grèce et non pas le gouvernement de Kostas Karamanlis !

Comme si, de surcroît, le gouvernement conservateur grec avait été le seul à « tricher » sur le montant de sa dette. « Le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, le Portugal ont, eux aussi, « optimisé » leurs comptes avec l’aide Goldman Sachs, JP Morgan Barclays… », soulignait le Monde du 19 février.

La finance régulée

En septembre dernier, après la réunion du G20 à Pittsburgh, Nicolas Sarkozy avait pourtant crié victoire : le capitalisme était moralisé, la finance était régulée.

La moralisation du capitalisme nous la voyons à l’œuvre. Les spéculateurs s’attaquent aux Etats qui avaient mis des centaines de milliards d’euros à leur disposition pour les sauver de la faillite. Ces spéculateurs doutent, en effet, de la capacité financière de ces mêmes Etats à réduire les dettes publiques qu’ils avaient largement contribué à gonfler. Elle consiste, aussi, pour l’Union européenne à vouloir faire rembourser par les peuples européens les centaines de milliards d’euros que les Etats ont dépensé pour colmater les brèches ouvertes par les spéculateurs.

La régulation de la finance a été tout aussi efficace. Les agences de notation avait accéléré la crise des « subprime » en notant comme des produits particulièrement sûrs, des produits infestés de créances de pacotille. Ce sont ces mêmes agences de notation qui sont à l’origine de la crise grecque.

Les produits dérivés, les fonds spéculatifs avaient, eux aussi, accélérés la crise de 2008. Ils sévissent toujours en 2010. Les fonds spéculatifs (hedge funds) ont acheté des millions d’euros de CDS, (credit default swap) censés garantir contre le défaut de paiement de la dette publique grecque. Ils se sont ensuite attaqués à la dette publique grecque. Pour s’assurer contre le défaut de paiement de la Grèce, le gros des spéculateurs s’est alors mis à acheter en masse les CDS. Les fonds spéculatifs ont largement profité de l’opération.

Au peuple grec de payer la note

En exigeant de la Grèce qu’elle réduise ses déficits publics de 4 % en une seule année et de près de 10 % en 3 ans, les 27 dirigeants de l’Union européenne ont donné satisfaction aux spéculateurs.

C’est ce qu’ils appellent « soutenir la Grèce ». Ils la soutiennent comme la corde soutient le pendu. Cette assistance consiste, en effet, à exiger de la Grèce qu’elle fasse payer les frais de la crise, entièrement de la responsabilité des spéculateurs et du précédent gouvernement conservateur, aux salariés grecs.

Sous la pression de l’Union européenne, le gouvernement grec s’est partagé la tâche. Le ministre du travail grec, a annoncé un recul de deux ans de l’âge moyen de départ en retraite (de 61 à 63 ans en 2015). Le premier ministre, Georges Papandréou , a annoncé le gel des salaires des fonctionnaires et de nouvelles taxes sur les carburants. Le ministre des finances, a annoncé d’autres mesures salariales d’austérité qui frapperont la fonction publique : baisse de 10 % des primes, diminution de 30 % des heures supplémentaires, arrêt total des embauches en 2010 …

Cela ne suffit pourtant pas aux dirigeants européens qui ont mis la Grèce sous tutelle, envoyé leurs inspecteurs et lui ont laissé un mois pour prendre de nouvelles mesures d’ « assainissement » : augmentation de la TVA, nouvelles taxes sur l’énergie…

Les néolibéraux qui n’ont pas de mots assez durs pour condamner les « tricheries » de la Grèce affirment, sans éclater de rire que, selon un sondage publié début février, six Grecs sur 10 estimaient nécessaires la politique d’austérité ! Il ne leur est jamais venu à l’idée qu’il était beaucoup plus facile de « maquiller » un sondage qu’une dette publique. Nul besoin pour y parvenir, pourtant, de faire appel aux services de Goldman Sachs.

Une telle cure d’austérité a toutes les chances de provoquer une grave récession en Grèce et d’aboutir à l’inverse de l’effet souhaité mais qu’importe : les spéculateurs exigent, il faut leur donner satisfaction.

Les « P.I.I.G.S. »

Cet aplatissement de l’Union européenne devant les spéculateurs ne peut que les encourager. Demain cela risque, en effet, d’être le tour de ceux qu’à la suite de l’analyste économique américain Nouriel Roubini, les médias anglo-saxons appellent élégamment « les P.I.I.G.S. » : Portugal, Irlande, Italie, et Espagne (Spain).

Le Royaume Uni n’est, cependant, nullement à l’abri et la City elle-même commence à s’en rendre compte. Selon les Echos du 19 février, elle s’est posée, en effet, la question de savoir si le terme « PIGS » n’était pas déjà dépassé et « s’il ne devait pas être remplacé maintenant que la Grèce avait été mise à nu, par le terme « Stupid » (Spain, Turquie, United-Kingdom, Portugal, Italie, Dubaï), plus large ». Bill Gross, le responsable des investissements de Pimco (un des plus gros investisseurs du monde dans les dettes d’Etat) dissuadait, en effet, au même moment, d’acheter les bons du Trésor britannique « reposant sur un lit de nitroglycérine ».

En attendant, ce sont l’Espagne et le Portugal qui sont dans la ligne de mire des spéculateurs. Ils peuvent se calmer un moment mais cela ne saurait durer très longtemps. Le message de l’Union européenne est, en effet, beaucoup trop contradictoire. Ce message affirme à destination du peuple grec : à la Grèce de se débrouiller toute seule. A destination des marchés : nous viendrons au secours de la Grèce. Un jour ou l’autre, les spéculateurs finiront bien par essayer de tester ce que vaut ce message et s’ils arrivent à faire sortir la Grèce de la zone euro, ils se déchaineront contre le Portugal, l’Espagne, l’Irlande, l’Italie, la Belgique…

Le prix Nobel d’économie Paul Krugman estime que « la plus grande difficulté pour la zone euro n’est pas tant la Grèce que l’Espagne ». Nouriel Roubini ajoute : « Si la Grèce est un problème, l’Espagne pourrait être un désastre parce qu’elle la quatrième économie de la zone ».

La France et l’Allemagne ne sortiraient pas indemnes d’une telle crise. La récession grecque, espagnole, portugaise se généraliserait à toute l’Europe et, de toute façon, les banques allemandes et françaises cumulent, près de 100 milliards de crédit ou de prise de participation dans le capital des banques grecques. L’effet domino recommencerait, comme en 2008.

Un révélateur pour l’Union européenne

La crise actuelle commence à jouer le rôle d’un puissant révélateur sur ce qu’est réellement la nature de l’Union européenne.

Cette Europe est uniquement une Europe de la concurrence, la solidarité n’y a aucune place.

Bin sûr, quand il s’est agi de sauver les banques, les différents Etat membres ont pu (en complètement contradiction avec le traité de Lisbonne) mettre des centaines de milliards d’euros à la disposition des banques privées, sans la moindre condition et avec la bénédiction de la Commission européenne. Mais les intégristes néolibéraux qui dirigent l’Union européenne se refusent, aujourd’hui, à apporter l’aide de l’Union européenne à la Grèce. Et, s’ils devaient en arriver là, ce serait à des conditions qui plongeraient ce pays dans une profonde récession.

Le Président de la BCE, Jean-Claude Trichet, s’accroche au dogme : « Les traités prévoient la clause de non-sauvetage, et les règles doivent être respectées ». Et le traité de Lisbonne ne s’arrête pas là. L’article 123 de ce traité interdit à la BCE et aux banques centrales européennes d’accorder des crédits aux Etats européens. La Banque européenne d’investissement et les fonds structurels gérés par la Commission européenne pourraient se substituer à la BCE. Mais le traité de Lisbonne ne leur permet pas de prêter des pays faisant l’objet d’une procédure de « déficit excessif ». Afin de fermer cette ultime porte de sortie, la Commission a engagé cette procédure contre la Grèce.

L’Europe du traité de Lisbonne apparaît de plus en plus clairement pour ce qu’elle est : une zone de libre-échange, laissée volontairement sans institutions démocratiques et sans gouvernement, entièrement soumise aux marchés financiers et enserrant les salariés européens dans un corset de fer. Le thatchérisme institutionnalisé.

La zone euro risque de voler en éclat

Pendant le débat sur le traité de Maastricht, en 1991, les opposants de gauche à se traité expliquaient qu’en cas de « choc asymétrique », la zone euro, telle qu’elle était conçue (concurrence contre solidarité) risquait d’éclater.

Un « choc asymétrique », c’est ce à quoi nous sommes très exactement confrontés avec les effets de la crise de 2008-2009 qui a eu un impact très différent sur chacun des pays de cette zone.

A l’épreuve de la crise, le fossé entre les structures des économies de la zone euro est devenu patent. C’est le fruit de la « concurrence libre et non faussée » qui structure tous les traités européens depuis l’ « Acte unique européen » de 1986 et qui devait, assuraient les dirigeants européens, permettre un rapprochement rapide des différentes économies européennes.

Des pays comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande sont loin d’avoir la même compétitivité que l’Allemagne. Comment pourraient-ils s’en sortir avec un euro fort qui les empêche d’exporter et aggrave la crise qu’ils connaissent ? La tentation, si la zone euro ne change pas très rapidement de politique (ce qui impliquerait de tirer un trait sur le traité de Lisbonne), risque d’être forte pour ces pays de quitter la zone euro. Ils pourraient ainsi dévaluer leurs monnaies et exporter plus facilement leur production. Ils pourraient aussi utiliser l’inflation pour rembourser leur dette à moindre prix.

Aujourd’hui, l’économie allemande domine l’économie européenne. Mais cette domination repose sur un très important recul de la part salariale depuis dix ans et sur les énormes excédents d’exportations réalisés aux dépens des autres pays européens qui constituent les ¾ des débouchés de sa production. Si ces pays entrent en récession, l’Allemagne se trouvera privée de débouchés et, le recul imposé aux salaires ayant fortement restreint la demande intérieurs, elle rentrera, elle aussi, en récession.

Taxer la spéculation

L’Union européenne est une zone incontournable pour la finance. Comme le souligne Frédéric Lordon dans un article « Quatre principes et 9 propositions pour en finir avec les crises financières » d’avril 2008 : « L’Europe est une zone d’activité financière autosuffisante. Elle peut parfaitement adopter unilatéralement un degré supérieur de réglementation financière sans risquer, comme on s’empresse de le dire, la désertion des capitaux, ou sans que les capitaux extra-européens partis lui manquent. Au demeurant, les impératifs de diversification sectorielle et géographique rendent impossible aux investisseurs extra-européens de « faire l’impasse » sur le marché européen »

L’Union européenne pourrait donc ramener les spéculateurs à la raison en instaurant, comme le propose Attac, une taxe sur les transactions financières à un double niveau : un niveau faible (0,1 %) en temps ordinaire, un taux élevé (de 10 à 50 %) en période de folie spéculative. Mais l’Union européenne se refuse à instaurer une telle taxe et préfère se soumettre aux exigences insensées des spéculateurs.

Dans une telle situation, Nicolas Sarkozy joue un double jeu : il a sans doute quelque crainte à l’idée que les spéculateurs puissent s’en prendre à la dette publique du pays qu’il préside. Le déficit public de la France s’élève, en effet, à 7,9 % du PIB en 2009 et s’il est assez loin des 12,7 % du déficit grec, il encore plus loin des 3 % maximum exigés par le traité de Lisbonne. Mais il compte bien, aussi, s’appuyer sur la menace de cette spéculation pour faire reculer le déficit public en taillant dans les dépenses sociales avec, en priorité, une nouvelle réforme de nos retraites.

« L’Europe c’est la paix », disaient-ils

Lors du débat sur le projet de Constitution européenne, les partisans de cette Constitution insistait sur la paix qui régnait aujourd’hui en Europe. Nous répondions alors que construire une Europe de la « concurrence libre et non faussée » s’était prendre le risque d’opposer les peuples européens entre eux.

Là encore, c’est malheureusement ce qui est en train d’arriver. Le magazine allemand Focus titrait en une « Tricheurs dans la famille de l’euro » avec une Vénus de Milo faisant un doigt d’honneur. Le vice-premier ministre grec, Theodoros Pangalos, répliquait (lors d’un entretien à la BBC) en mettant en cause l’attitude de l’Allemagne, lors de l’invasion de son pays en 1941 : « Ils ont pris les réserves d’or de la banque de Grèse, ils ont pris l’argent grec et ne l’ont jamais rendu ». Le Frankfurter Allgemeine Zeitung (AFZ) éructait : « Les Allemands doivent-ils à l’avenir partir en retraite non plus à 67 ans mais à 69 ans pour que les Grecs puissent profiter de leur préretraite ? »

Comme si les salariés grecs et allemands n’avaient pas les mêmes ennemis : les néolibéraux qui cherchent à faire reculer toujours plus leurs droits pour permettre aux profits de mettre la main sur la plus grande part possible des richesses créées par le travail.

La finance contre les peuples : les sociaux-démocrates européens devront choisir

D’un côté, la finance, les 27 dirigeants des pays de l’Union européenne, la Commission européenne, la Banque Centrale Européenne et bien sûr les différents patronats de chacun des pays européens qui se frottent les mains à l’idée de pouvoir utiliser la crise pour faire de nouvelles coupes claires dans les dépenses sociales.

De l’autre, les syndicats grecs qui ont appelé à une grève générale qui a largement paralysé le pays le 24 février. Ils refusent de payer les frais de la gabegie des banques, de la finance et des dirigeants conservateurs qui ont « maquillé » la dette.

Cette situation tend à se généraliser à tous les pays européens et les dirigeants de la social-démocratie européenne devront rapidement choisir leur camp. Ils auront autrement, la même désagréable surprise que le premier Ministre Grec, Georges Papandréou, socialiste du PASOK : des syndicats dirigés par des cadres et des militants de son propre parti appelant à combattre sa politique dans la rue.

Tous les salariés d’Europe sont concernés

Le gouvernement espagnol a annoncé un plan de rigueur de 50 milliards d’euros sur trois ans, sa volonté de porter l’âge de la retraite de 65 à 67 ans et de réformer le marché du travail en facilitant les licenciements et en baissant les allocations chômage, alors qu’avec la crise, le nombre de chômeurs explose. Il se heurte à d’importantes mobilisations.

En France, Nicolas Sarkozy veut profiter de cette crise pour allonger la durée de cotisation et donc faire encore baisser le montant de nos retraites. Il prépare lui-aussi un plan de rigueur. Les syndicats appellent dans l’unité à une mobilisation massive le 23 mars, en défense de nos retraites et contre ce plan de rigueur.

Très rapidement, ce sont l’ensemble des salariés européens qui seront touchés. La présence de John Monks, le secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats à la manifestation du 24 février à Athènes, alors que la Grèce était paralysée par la grève générale, est un signe de la progression de cette prise de conscience.

Nous sommes tous, en effet, des Grecs espagnols !

Jean-Jacques Chavigné


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