Le bétonnage de Madère mis en cause dans le bilan des inondations

mercredi 3 mars 2010.
 

Trois jours après les pluies torrentielles, les inondations et les coulées de boue qui l’ont dévastée, faisant 42 morts et 32 disparus selon un bilan encore provisoire, l’île de Madère se demande si elle n’a pas payé, en l’espace de quelques heures, le prix fort de son miracle économique.

La violence avec laquelle des torrents d’eau et de boue ont dévalé les pentes de cette île volcanique, samedi 20 février, détruisant des maisons, coupant des routes et déferlant jusque dans le centre de Funchal, la capitale, serait la conséquence de son urbanisation anarchique. "Ce qui est arrivé est l’exemple même de ce qu’une mauvaise planification urbaine peut entraîner", a estimé Ricardo Ribeiro, président de l’Association portugaise des techniciens de l’assurance et de la protection civile (AsproCivil).

Au cours des trois dernières décennies, cet archipel portugais situé dans l’Atlantique, à 500 kilomètres au large des côtes du Maroc, est passé de l’extrême pauvreté à la prospérité. Grâce aux 800 000 touristes qui y séjournent chaque année, la "perle de l’Atlantique" a vu son revenu par habitant dépasser de 25 % la moyenne nationale. "Quand je suis arrivé, en 1978, il y avait des Madériens qui vivaient encore dans des grottes", aime à rappeler l’artisan de ce développement à marches forcées, Alberto Joao Jardim, le président du gouvernement régional autonome.

Constamment réélu, ce dirigeant du Parti socialiste démocrate (PSD, droite) a utilisé, depuis l’entrée du Portugal dans l’Union européenne (UE) en 1986, les fonds communautaires destinés aux régions ultrapériphériques les plus pauvres pour mener une "politique du béton", dénoncée depuis longtemps par les écologistes et l’opposition locale.

L’île a déjà connu des inondations catastrophiques en 1993, mais, cette fois, explique Helder Spinola, de l’association écologiste locale Quercus Madeira, "la situation a été aggravée par les erreurs commises en matière d’aménagement du territoire, en particulier dans le sud de l’île". C’est là que résident la majorité des 250 000 habitants de Madère et qu’a été bâti, le long de la côte, l’essentiel des hôtels de luxe et des équipements de loisirs. "L’imperméabilisation des sols par l’asphalte et le béton, a ajouté M. Spinola, ont empêché l’écoulement normal des trois rivières" qui convergent vers Funchal et sa région.

Outre le développement urbanistique, une étude de l’université d’Aveiro (Portugal) soulignait récemment les risques liés à la déforestation. Baptisée "l’île boisée" lors de sa découverte en 1419, Madère a perdu dès le siècle suivant l’essentiel de sa forêt au profit de cultures. Les chercheurs d’Aveiro réclamaient un plan de reforestation : "Il serait opportun de repenser la lutte contre la désertification des montagnes, afin de diminuer les conséquences des inondations et d’augmenter les réserves hydriques", écrivaient-ils.

La polémique sur les causes, sinon de la catastrophe du moins de son ampleur, a été jugée "ridicule" par le maire de Funchal, Miguel Albuquerque, pour qui le responsable est "un phénomène météorologique exceptionnel" qui a déversé jusqu’à 60 litres de pluie par heure. Mais elle rebondira sans doute au moment de la reconstruction. Pour plusieurs urbanistes, ce sera l’occasion de "repenser la ville". Dans l’esprit du "plan Oudinot", ont-ils confié au quotidien Publico. Reinaldo Oudinot, un officier du génie de l’armée portugaise envoyé à Funchal après des inondations qui avaient fait des centaines de morts en 1803, avait érigé des murailles pour protéger la ville.

Dans l’immédiat, Madère commence à soigner ses plaies, dans la crainte de voir le bilan humain s’alourdir encore. Mardi matin, les sauveteurs concentraient leurs efforts sur le parking souterrain encore inondé d’un centre commercial de Funchal à la recherche de personnes disparues. Hors de la capitale, ce sont les localités de la côte ouest qui suscitaient le plus de préoccupations. Des centaines de riverains ont été évacués par crainte de nouveaux éboulements dans une zone où des tronçons entiers de l’autoroute qui fait le tour de l’île se sont effondrés.

Le gouvernement portugais a décrété trois jours de deuil national, et le président de la République, Anibal Cavaco Silva, devait se rendre sur l’île, mercredi 24 février, pour témoigner sa solidarité à la population. Lisbonne a aussi annoncé qu’elle solliciterait le Fonds de solidarité de l’UE pour la reconstruction. "Nous devrions pouvoir apporter un soutien significatif", a répondu le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Le Portugal avait bénéficié de ce Fonds après les incendies de forêt catastrophiques de l’été 2003, alors que M. Barroso était premier ministre.

Les subsides européens aideront le très controversé président de Madère à réparer les dégâts causés par la nature, et, sans doute, à reprendre le fil de sa politique de grands travaux. Fin décembre 2009, Alberto Joao Jardim avait exigé du gouvernement socialiste qu’on l’autorise à dépasser les limites fixées par la loi sur l’endettement des régions afin de poursuivre des travaux d’infrastructures. Il avait carrément menacé Lisbonne de faire sécession, avant d’y renoncer, car, "pour le moment, les conditions ne sont pas réunies". Depuis la tragédie qui a frappé son île, elles le sont encore moins.

Jean-Jacques Bozonnet


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