5 juin Journée mondiale de l’environnement Six pistes contre le déclin de la biodiversité

dimanche 6 juin 2010.
 

Le rendez-vous raté de la lutte contre le déclin de la biodiversité

Depuis 2002, les chefs d’Etat ou de gouvernement ont adopté, au moins à quinze reprises, l’objectif de « réduire fortement le rythme actuel de perte de la biodiversité d’ici à 2010″. Ils ont aussi réaffirmé une cinquantaine de fois – dont lors de trois G8 – leur soutien à cet objectif et la nécessité de prendre des mesures pour l’atteindre, selon le décompte établi par Jean-Patrick Le Duc, du Muséum national d’histoire naturelle.

Pour inaugurer l’Année internationale de la biodiversité, les responsables de la Convention sur la biodiversité biologique (CBD) des Nations unies, chargés aujourd’hui de faire le bilan, n’ont pas sorti les flonflons. Il n’y a, en effet, pas de quoi pavoiser. Aucun pays n’est au rendez-vous.

Le bulletin de santé de la biodiversité mondiale, qui sera officiellement dévoilé au mois de mai, à l’occasion de la publication des « Perspectives mondiales de la biodiversité », montre que les cinq pressions majeures exercées sur la diversité biologique « sont restées constantes, voire ont augmenté » par rapport au diagnostic établi en 2006.

Ces pressions sont le changement d’affectation des sols qui transforme les espaces naturels en surfaces agricoles ou en villes, la surexploitation des ressources, les pollutions, la progression des espèces invasives et le changement climatique.

PRUDENCE ET DOUTE

Irréaliste ! Huit ans après avoir décrété cette urgence mondiale, les gouvernements ont beau jeu de dénoncer un objectif perdu d’avance, faute d’avoir été défini avec précision et de disposer des bons outils pour faire un véritable état des lieux et mesurer le chemin parcouru. Du côté des scientifiques, le discours est très semblable.

En 2010, il est néanmoins question de se fixer un nouveau rendez-vous pour freiner le rythme d’extinction des espèces et la destruction des écosystèmes que les scientifiques jugent aussi menaçants pour l’avenir de l’humanité que le changement climatique. Les deux sont au demeurant étroitement liés.

2020 est l’année souvent évoquée. Il en sera débattu lors de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, en septembre, puis à la conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique, en octobre, à Nagoya, au Japon.

Mais, au lendemain de l’échec de la conférence mondiale sur le climat à Copenhague (7-18 décembre), la prudence et le doute se sont immiscés dans les esprits. La directrice des biens publics mondiaux au ministère des affaires étrangères, Laurence Tubiana, s’interroge sur la stratégie : « Est-ce vraiment la bonne chose à faire ? Cela ne risque-t-il pas de décrédibiliser un peu plus le processus de gouvernance mondiale ? », demande-t-elle.

Les scientifiques continuent, eux, de se lamenter sur « cette maison qui brûle », pour reprendre la formule lancée par le président de la République, Jacques Chirac, à la tribune du Sommet de la Terre de Johannesburg, en 2002, tout en reconnaissant qu’ils n’ont pas réussi à convaincre de l’urgence d’agir.

« Par rapport au climat, nous avons vingt ans de retard dans la prise de conscience », constate Lucien Chabasson, de l’Institut du développement durable et des relations internationales. Pourtant, les experts de la biodiversité ont aussi commencé à tirer la sonnette d’alarme au début des années 1980. Mais, à la différence du climat, il n’existe pas un indicateur synthétique – la concentration de CO2 dans l’atmosphère – pour traduire l’aggravation de la situation.

« La biodiversité est un ensemble multiple, complexe, qui reste très inégalement connu et compris », reconnaît l’écologue Robert Barbault. « Notre connaissance est très fragmentaire, tant sur la distribution que sur l’évolution de la biodiversité », confirme Jon Hutton, directeur de la base de données sur la conservation des espèces du Programme des Nations unies pour l’environnement.

Question de vocabulaire aussi : ce mot, né en 1986 aux Etats-Unis dans un forum organisé par l’Académie nationale des sciences, reste, par exemple, incompris de deux tiers des Européens, selon une enquête récente de l’Agence européenne de l’environnement. Cela n’aide pas.

A ce jour, environ 1,7 million d’espèces ont été décrites, sur un total généralement évalué à 10 millions. Mais les estimations varient dans une fourchette de 2 à 100 millions. Si la recherche s’est concentrée sur les espèces auxquelles les hommes sont les plus sensibles – les oiseaux, les mammifères –, les invertébrés ont été très peu étudiés. Ils constituent pourtant l’essentiel des espèces restant à documenter.

Le baromètre mondial de la biodiversité que constitue la liste rouge des espèces menacées, établie chaque année par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), reflète ce tropisme. Sur les 47 677 répertoriés, 20 % sont des mammifères, 0,06 % des insectes.

DERRIÈRE LES ESPÈCES, IL Y A DES ÉCOSYSTÈMES, DONT LES HOMMES DÉPENDENT

Face à cette montagne d’incertitudes, « pourquoi devons-nous être inquiets face à l’érosion de la biodiversité ? », s’interrogeait, en forme de provocation, Robert May, de l’université d’Oxford, dans une récente conférence à l’Académie des sciences. Pour lui, la réponse ne fait aucun doute : « Si les mammifères et les oiseaux sont représentatifs de l’ensemble de la diversité biologique, nous savons alors qu’au cours des cent dernières années les rythmes d’extinction sont 100 à 1000 fois supérieurs à ce que nous avons pu reconstituer sur l’évolution des 500 derniers millions d’années. Et c’est le genre de situation qui caractérise les cinq grandes crises d’extinction du passé. »

Et, derrière les espèces, il y a des écosystèmes, dont les hommes dépendent bien plus qu’ils ne l’imaginent pour assurer leur quotidien. En 2005, le rapport sur « L’évaluation des écosystèmes pour le Millénaire », réalisé par plus de 1 400 scientifiques, avait conclu que 60 % des services rendus par la nature étaient dégradés.

L’économiste indien Pavan Sukhdev a été chargé par le PNUE de prolonger ce travail, en évaluant le coût économique que représente la perte de la biodiversité, mais aussi la richesse qu’elle assure. Le rapport final qu’il présentera à Nagoya est déjà considéré comme le pendant du rapport Stern sur l’économie du changement climatique.

Cette valorisation de la biodiversité permettra-t-elle aux gouvernements de passer de l’incantation à l’action ? C’est l’espoir que mettent les scientifiques dans ce gigantesque travail. Si l’objectif 2010 n’a pas été atteint, ce n’est pas faute de savoir ce qu’il aurait fallu faire. Beaucoup d’expériences et de connaissances ont été accumulées sur le terrain. Les solutions existent. Mais, pour être mises en œuvre, elles supposent une forte volonté politique, qui jusqu’alors a fait défaut.

Les mots-clés de la diversité biologique

Biodiversité Désigne la diversité naturelle des organismes vivants. L’article 2 de la Convention sur la diversité biologique (1992) la définit comme « la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes ».

Espèce menacée Selon la classification établie par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une espèce est déclarée menacée d’extinction si elle répond à des critères précis (disparition de l’habitat, déclin important de sa population, érosion génétique, chasse ou pêche trop intensive, etc.). L’UICN dresse chaque année une liste rouge de ces espèces. Fin 2009, elle en comportait 17 291, soit 36 % des 47 677 répertoriées (12 % des oiseaux, 21 % des mammifères. 28 % des reptiles, 30 % des amphibiens, 32 % des poissons, 70 % des plantes)

Empreinte écologique Pour l’Organisation de coopération et de développement économiques, il s’agit de la « mesure en hectares de la superficie biologiquement productive nécessaire pour pourvoir aux besoins d’une population humaine de taille donnée ». Pour répondre au mode de vie de l’humanité, il faudrait près d’une planète Terre et demie, selon le Global Footprint Network, qui a créé cet indicateur. Cette empreinte aurait augmenté de 22 % en dix ans.

1) Protéger

La création d’aires protégées demeure le principal outil de la conservation. En 2002, la communauté internationale s’était fixé pour objectif de placer 10 % de la superficie terrestre sous protection. Avec un chiffre de 12 %, il est aujourd’hui dépassé. Dans l’Union européenne, le réseau Natura 2000 couvre 17 % du territoire.

Les océans, avec moins de 1 % d’aires marines protégées, restent cependant les grands laissés-pour-compte. Faute de moyens humains et financiers pour les gérer, ces parcs naturels sont néanmoins trop souvent de simples créations administratives dans certains pays en développement.

Les grandes ONG anglo-saxonnes jouent un rôle majeur dans le financement de ces projets. Ce qui n’est pas d’ailleurs sans poser des problèmes de souveraineté. Le temps de la "réserve-enclave" semble cependant révolu. Il est devenu rare que la création d’un parc entraîne l’expulsion des populations qui y vivent. Et – au moins sur le papier – la consultation des peuples autochtones est devenue une règle.

Certains pays comme la Namibie ont innové en transférant aux communautés villageoises qui le souhaitent la protection de la faune sauvage. Ces projets de conservation communautaires couvrent aujourd’hui 10 % du territoire.

Laurence Caramel

2) Restaurer

Réenclencher le processus de fabrication des coraux, dépolluer un cours d’eau, reconstituer une tourbière, une prairie surexploitée… La restauration écologique est une des voies prometteuses pour réparer les dégâts provoqués par les activités humaines. Tout n’est pas réparable, et l’ambition n’est pas de récréer en quelques années ce que la nature a mis des siècles, des millénaires… à fabriquer.

Mais une récente étude de l’université américaine Yale a montré, après avoir passé au peigne fin 240 expériences de restauration menées depuis 1910, que dans la plupart des cas les écosystèmes peuvent "récupérer" au bout d’une vingtaine d’années.

Cette science de la restauration, qui vise à comprendre le fonctionnement des écosystèmes pour les reconstruire, est récente. Elle fédère aujourd’hui à travers le monde des milliers d’experts. Des centaines d’exemples montrent qu’il est possible d’inverser la dégradation de la biodiversité.

Créée en 1988, la Société pour la restauration écologique (Society for Ecological Restoration, SER), installée à Tucson, dans l’Arizona (Etats-Unis), est une de ses vitrines les plus solides. Elle dispose de relais sur tous les continents. Ce mouvement ne se limite pas en effet aux pays industrialisés.

Certains pays en développement constatent qu’ils sont déjà allés trop loin dans l’exploitation des milieux naturels, et qu’il y a des seuils à ne pas dépasser pour préserver le "capital naturel" dont les populations les plus pauvres sont particulièrement dépendantes pour leur survie.

Laurence Caramel

3) Relier

La nature ne peut survivre en vase clos, dans quelques îlots sanctuarisés entourés de villes, d’infrastructures ou d’agriculture intensive. La mise en réserve seule ne fonctionne pas. Isolées, les espèces sont plus vulnérables aux maladies ou à la consanguinité. Pour prospérer, elles doivent pouvoir circuler. Le changement climatique, qui va modifier les aires de répartition, renforce cet impératif. Il faut permettre aux espèces de bouger. C’est ce qui guide la création, en France, de la "trame verte et bleue" destinée à relier les espaces naturels.

Pays précurseur en Europe : la Suisse et son "réseau écologique national" au milieu des années 1990. "Nous l’avons créé à partir de fragments existants", explique Guy Berthoud, directeur du bureau d’études Econat, qui a conçu le réseau. Tout le travail a consisté à identifier les milieux qui fonctionnaient encore et à restaurer des continuités entre eux.

Concrètement, les "corridors", qui peuvent être longs de quelques mètres ou de plusieurs kilomètres, prennent la forme classique de passages à faune sous les autoroutes, mais aussi de haies, de bords de cours d’eau ou de lisières de forêts replantées ou réaménagées. "Certains de ces milieux existaient, mais n’étaient pas entretenus ou aboutissaient à des culs-de-sac, ce que nous avons corrigé", explique M. Berthoud.

Le réseau n’est pas terminé, mais des résultats positifs se font sentir. Les migrations liées au réchauffement climatique, vers le nord et en altitude, s’effectuent correctement. Et certaines espèces colonisent de nouveaux habitats, affirme M. Berthoud.

Gaëlle Dupont

4) Produire autrement

L’agriculture intensive, fondée sur l’utilisation massive de la chimie, la spécialisation des cultures, et la destruction des obstacles au passage des machines agricoles, est l’une des principales causes de l’érosion de la biodiversité. Mais l’agriculture n’est pas forcément l’ennemie des espèces sauvages. Elle a toujours besoin des organismes présents dans le sol, qui garantissent sa fertilité, et des insectes auxiliaires qui assurent la pollinisation des cultures. Certaines pratiques agricoles, qui peu à peu gagnent du terrain, permettent à la nature de prospérer.

L’agriculture biologique, qui se passe de produits chimiques de synthèse, en est un exemple. Mais d’autres techniques sont favorables à la faune sauvage, comme l’implantation ou la préservation de haies, d’arbres isolés, de mares, de bandes enherbées près des cours d’eau. Les prairies permanentes, les cultures sans labour et la couverture des sols en hiver préservent la faune du sol. Certaines de ces pratiques sont subventionnées par les pouvoirs publics.

Des agriculteurs les mettent également en œuvre dans le cadre de leur groupement professionnel. La branche française de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a recensé en France, une cinquantaine de signes de qualité (AOC, labels, marques collectives) qui intègrent la protection de la biodiversité dans leur cahier des charges.

Gaëlle Dupond

5) Economiser l’espace

Construire compact pour limiter l’étalement urbain : élus et urbanistes conviennent qu’il est urgent de stopper le grignotage des zones naturelles, après des décennies de mitage du territoire par la maison individuelle. Densifier les quartiers existants, privilégier le logement collectif, ne s’étendre qu’en lisière des zones bâties… Telles sont les nouvelles règles de l’urbanisme durable.

Parallèlement, s’est imposé le souci de développer la nature à l’intérieur même des villes, où peut s’épanouir une biodiversité inattendue. On trouve à Paris 23 espèces d’escargots, 174 d’oiseaux, une dizaine d’amphibiens. Protéger cet écosystème a un double intérêt. Educatif, d’abord : dans un monde de citadins, c’est la meilleure entrée pour sensibiliser les enfants comme les décideurs. Physique, ensuite. Les espaces verts aident à lutter contre les îlots de chaleur urbains, or un véritable écosystème peut aider à l’autorégulation de ces espaces naturels à l’entretien coûteux.

La recette : développer les parcs et laisser proliférer une biodiversité informelle en évitant partout les pesticides et les coupes au cordeau, en végétalisant les toitures. Mais aussi permettre aux espèces de circuler et de traverser la barrière de la ville en reliant ces espaces verts par des corridors naturels. Une politique menée de façon exemplaire par Curitiba, au Brésil. En Europe, Nantes, Genève, Berlin ou Bruxelles font figure de modèles.

Grégoire Allix

6) Sensibiliser

En 2007, le Centre pour la conservation biologique de Tayna, en République démocratique du Congo, a livré sa première promotion de diplômés. Cinquante étudiants formés aux enjeux de la préservation de la forêt tropicale et de la faune sauvage. Ailleurs en Afrique, la campagne "Planter 1 milliard d’arbres" a suscité des actions de sensibilisation à l’environnement dans les écoles primaires.

L’éducation est une des principales armes pour convaincre de l’importance de préserver la biodiversité. Jusqu’à présent, les écoles du monde entier n’ont pas été au rendez-vous. Bien souvent, l’implication se limite à dispenser quelques heures d’enseignement sur la protection de la nature dans les classes du primaire.

Consciente de l’enjeu, l’Unesco prépare un manueluniversel qui donnerait les bases en des termes simples des enjeux que représente la biodiversité pour l’avenir de la planète. L’ambition est aussi de montrer à travers des exemples concrets puisés dans toutes les régions du monde, que le recul de la nature est un phénomène universel. Ce manuel, destiné à être traduit dans différentes langues pour s’insérer dans les politiques d’éducation du primaire, devrait être présenté en octobre prochain lors de la conférence de la Convention sur la diversité biologique à Nagoya (Japon).

Laurence Caramel


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