Engagement communiste en URSS : Quand le théâtre questionne l’histoire de plein fouet

mardi 2 mars 2010.
 

Trois anciens communistes du temps de l’Homo sovieticus. Trois témoignages bouleversants de ceux qui ont survécu à Staline.

Svetlana Alexievitch, biélorusse, longtemps journaliste, a attrapé le virus du collectage, et voilà quelques années qu’elle nous livre régulièrement des récits bouleversants, captivants, élaborés à partir de témoignages entrelacés et construits par son écoute et sa plume sensibles. Elle n’invente rien, avoue-t-elle humblement, mais l’art de transcrire une parole ne contient-il pas en lui les germes de la création  ? À partir de ce matériau brut, de cette parole recueillie patiemment, elle donne à lire et à entendre, à penser et à questionner notre présent en questionnant l’histoire contemporaine. Celle de ses compatriotes. Longtemps soviétiques. Aujourd’hui russes, biélorusses, géorgiens, kazakhs, estoniens… Elle a écrit sur la guerre en Afghanistan  : les Cercueils de zinc lui vaudront un procès en 1992 pour atteinte portée à la mémoire des soldats soviétiques là où elle témoigne de l’horreur de cette guerre, de la douleur des mères devant les cercueils plombés de leurs enfants. Plus tard, en 1998, elle publie la Supplication, témoignage sur le monde d’après Tchernobyl.

Grandi et vécu sous Staline

C’est en 1995 qu’elle écrit Ensorcelés par la mort (publié aux éditions Plon). Une quinzaine de témoignages dont Nicolas Struve, le metteur en scène, en a gardé trois pour son spectacle du même nom. Margarita Pogrebitskaïa (Christine Nissim), médecin  ; Anna M. (Stéphanie Scwartzbrod), architecte  ; Vassili Pétrovich N.(Bernard Waver), autrefois ingénieur. Ils ont grandi et vécu sous Staline, avec cette foi chevillée au cœur et au corps qu’ils étaient dans le vrai, dans le juste. La révolution offrirait des robes en soie et des chaussures. La patrie est notre mère à tous, l’unique. Et puis il y avait des poètes, des peintres, des intellectuels… Et puis tout s’effondre lorsque s’écroule le système soviétique. Chacun tentera de mettre fin à ses jours. Ils sont des rescapés de la mort mais c’est comme s’ils sortaient d’un long, très long coma. Ils adressent, dans une prière secrète, une supplique désespérée à Svetlana Alexievitch. Ils l’attendaient. Ils attendaient ce moment où ils pourraient dire leurs vies sans être jugés, mal compris, incompris. Déroulant ainsi l’écheveau de leurs vies, on est bouleversé devant ces êtres pris dans les rouages d’un système implacable qui disait vouloir faire le bonheur des hommes sans tenir compte des hommes, justement. Leur témoignage s’entend comme un implacable réquisitoire contre un détournement d’idéal, une vaste fumisterie, un trompe-l’œil criminel. On a arrêté, torturé, déporté, tué au nom de la révolution. C’est d’autant plus terrible que ces trois hommes et femmes, pris dans cette tourmente, culpabilisent, éprouvent des remords mais ne condamnent pas, piégés, par leur propre abnégation, par cet idéal révolutionnaire auquel ils ont cru, dur comme fer.

Une tentative de théâtre documentaire assumée

La mise en scène de Nicolas Struve joue l’épure, se préserve de toute ostentation. Il y a là une tentative de théâtre documentaire assumée et aboutie où les mises en situation ne se télescopent pas mais s’enchaînent comme une évidence. Décors épurés, presque dessinés à même le sol, délimités par des murs invisibles dont on devine les contours. Chacun des personnages est prisonnier de sa vie, de ses souvenirs, tourne comme un animal en cage dont la porte serait ouverte mais qu’il n’ose franchir. On est dans la confession (mais il est question de foi, non  ?) et nous sommes ces confesseurs silencieux, invisibles auxquels ils s’adressent dans un ultime sursaut de vie et de dignité. Un tel spectacle questionne le sens de l’engagement communiste, et ces paroles murmurées obligent à repenser cet idéal à l’aune de ces expériences que seul un aveuglement entêté à laisser partir à la dérive. 
« Ne pas perdre ce qui nous reste d’espérance et d’humanité », dit Nicolas Struve. Peut-être qu’il est temps d’apprendre à conjuguer liberté et révolution…

Marie-José Sirach, L’Humanité


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