Les transports, un facteur aggravant de stress au travail

mardi 29 août 2017.
 

La dégradation des conditions de transport en Île-de-France pèse fortement sur le quotidien des salariés générant des difficultés pleinement liées au travail. Une étude du cabinet d’expertise Technologia met en relief ses conséquences sur la santé.

C’est un matin comme les autres. Gare du RER C de Vitry-sur-Seine, au sud de Paris, 7 h 50, le bruit de train ne se fait pas entendre. Mais telle une sirène, le haut-parleur répète  : « En raison d’une coupure électrique, la circulation des trains est interrompue. » « C’est encore en panne  ! » s’énerve une femme, tandis qu’un homme peste  : « Marre de payer pour un service qu’on ne nous rend pas  ! » Tout le monde se rue sur le bus. Le chauffeur subit la situation et perd du temps à chaque fermeture des portes car « le matériel est vieux, cela ne marche plus », s’excuse-t-il. Depuis Mairie-d’Ivry, ligne 7 du métro, il faut parvenir à gagner la ligne 13 pour se rendre à Saint-Denis, au nord de Paris. Mais, à Saint-Lazare, tout est aussi à l’arrêt. Le haut-parleur crachote  : « Suite à un acte de malveillance, tous les trains sont détournés sur Gennevilliers. » La foule tangue dangereusement, téléphone collé à l’oreille  : « Allô, il y a encore des problèmes de métro, je vais être en retard  ! » Départ de Vitry à 7 h 50. Arrivée à Saint-
Denis à 10 h 30. Près de trois heures sont passées, pour un trajet qui prend, en temps normal, cinquante minutes.

« L’éloignement domicile-travail s’aggrave et les salariés subissent la double peine. Les plus modestes s’éloignent pour se loger, passent de plus en plus de temps dans les transports, et les payent plus cher. Il y a comme une anomalie », constate Pascal Joly, secrétaire général de l’Urif CGT. Yazid est dans ce cas. Pour un loyer moins cher, il réside à Mantes-La-Jolie, dans les Yvelines, mais il vient travailler tous les jours à Saint-Denis (93). Trois heures de transport, 110 euros par mois, et la journée passée ensuite à « porter des cartons ». Plus le temps de vivre, sentiment d’usure. Mais, souffle-t-il, « c’est ça ou rien ».

Dans une étude Stress et Transport, rendue publique début février, le cabinet d’expertise Technologia analyse l’impact des transports sur la santé des salariés. Les facteurs anxiogènes sont multiples  : peur d’arriver en retard au travail le matin, crainte d’arriver trop tard le soir pour la sortie des classes. Obligés de s’adapter, les salariés mettent en place des « stratégies compensatoires », comme de raccourcir le temps du repas ou de supprimer les pauses… Outre l’exposition aux reproches des collègues ou à des sanctions de l’employeur, les retards répétés sont aussi des freins au déroulement de carrière car « celui qui est souvent en retard n’est pas jugé fiable », explique Jean-Claude Delgenes, directeur général de Technologia. Même si le salarié n’est aucunement responsable des dysfonctionnements qui affectent quotidiennement la circulation des trains, il en supporte seul le risque. Technologia s’inquiète de cet « allongement du temps mobilisé pour le travail qui reste à la porte de l’entreprise ». Boubekeur Lahouari, en charge de « l’approche syndicale de la ville » au sein de la CFDT Île-de-France, pense qu’il « faut intégrer l’idée que le temps de transport est partie intégrante du temps de travail car beaucoup de salariés commencent leur journée deux heures plus tôt pour s’y rendre ». Mais, regrette-t-il, « les employeurs intègrent rarement l’impact des conditions de transport et de logement sur le travail ». Jérôme Dubus, délégué général du Medef IDF, manifeste que « tous les chefs d’entreprise se plaignent des transports », mais renvoient le problème sur les pouvoirs publics. Et les grèves.

Même si les entreprises ne sont pas responsables du retard pris dans les infrastructures de transport, elles sont directement impliquées dans les flux de mobilité. Le prix élevé des loyers à Paris amène nombre d’entre elles à quitter la capitale pour s’installer en banlieue. C’est le cas de France Télécom qui s’apprête à déménager ses locaux du 13e arrondissement de Paris, au sud de la capitale, vers la Plaine-Saint-Denis, en banlieue nord. Le projet déplace 1 800 salariés et « 80 % d’entre eux vont voir leur trajet augmenté », déplore Pierre Gojat, secrétaire du comité d’hygiène et de sécurité (CHSCT) et membre de la CFE-CGC-Unsa. « La direction nous fait croire que seulement 47 personnes seront impactées par des temps de transport de plus de vingt minutes. Ses calculs sont une loufoquerie qui ne prend pas en compte les aléas. Je ne connais pas un seul collègue qui se réjouisse de la situation », témoigne un cadre de l’entreprise. « Cela va ajouter du stress au stress, c’est une certitude », s’inquiète Pierre Gojat. Dans un « avis motivé », le CHSCT a émis un avis négatif sur ce déménagement, qui va, en plus, contribuer à saturer un peu plus le RER B, déjà réputé pour ses nombreux retards.

Située non loin, la ligne 13 du métro est aussi assaillie par le développement économique du territoire qu’elle dessert. « 15 % des bureaux de Carrefour-Pleyel sont encore inoccupés. Et la Cité du cinéma de Luc Besson va s’implanter », égrène Hervé Ossant, responsable de l’union départementale CGT de Seine-Saint-Denis. La 13 est déjà utilisée à 116 % de ses capacités, le taux de charge supplémentaire est prévu à 3 % par an. Pour désengorger, la décision est maintenant prise de prolonger la ligne 14 (parallèle) mais l’échéance est prévue à 2017. En attendant, la RATP tente de gérer la situation car « elle craint l’accident », assure Sonia Gomar, présidente du comité des usagers. Des agents de quai sont embauchés aux heures de pointe pour « pousser » les passagers dans les voitures, pendant qu’un haut-parleur crachote  : « Veuillez laisser descendre avant de monter. » Des panneaux lumineux lancent un compte à rebours dès l’arrêt d’une rame  : il faut repartir moins de trente-huit secondes après. « Cette ligne est déjà très anxiogène pour les usagers et le personnel mais, en plus, les voyageurs sont placés en situation d’infantilisation », s’insurge Sonia Gomar, qui, comme Hervé Ossant, milite depuis le début pour le dédoublement de la ligne, option moins chère et plus rapide à construire que la prolongation de la 14.

Paule Masson


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