A Bordeaux. Arguments au sujet des retraites

vendredi 26 février 2010.
 

Jeudi 18, j’étais à Bordeaux, le soir, pour le meeting de lancement de la campagne du Front de Gauche et de ses alliés en Aquitaine. Sur place j’apprends que le feu vert définitif pour cette réunion a été donné lundi dernier seulement ! Hum ! Il est vrai que la mise au point de la liste a été laborieuse. Mais la personnalité du tête de file, Gérard Boulanger, et son art de la médiation ont tout arrondi. La salle, qui contient 1200 personnes, s’est presque remplie. Tout le monde était ébahi ! Et nous les premiers à cette tribune, assis sur nos cubes lumineux !

LA MEILLEURE NOUVELLE

Il s’est dit tant de choses ! Je pense que le temps fort de la soirée ce n’était pas mon discours. Et peut-être pas même celui de Gérard Boulanger notre tête de liste. Pourtant c’est quelque chose d’entendre cet homme, brillant orateur, avocat des « recalculés » et de tant de causes ouvrières autant que des parties civiles du procès Papon ! C’était le temps des filles. Celle qui a évoqué le combat de RESF à partir de l’exemple de ces deux jeunes filles comoriennes, étudiantes à Pau, bestialement pourchassées par les apprentis Papon du moment. La cheminote qui a fait le dessin du désastre écologique que produit le démantèlement ferroviaire. La juge, ancienne présidente du syndicat de la magistrature, qui a fait le bilan des chiffres qui parlent à propos de la « justice d’abattage » comme elle dit, et du glissement progressif et spectaculaire de notre pays vers cette zone grise du tout répressif.

D’un coup la vie elle-même était dans la salle. Et je m’émerveillais de nous voir. Si différents, parlant de tant de balcons différents, mais faisant vivre de mêmes capacités d’indignation et de rébellion. Je me disais que c’était bien là la gauche que j’ai connue avant la glaciation social libérale du Parti Socialiste. Quand on croise quelqu’un dans nos couloirs, pas la peine de se demander à quoi cette personne est candidate. Ou pour qui elle travaille et dans quelle collectivité !

Gérard Boulanger nous a dit dans son discours que le Front de Gauche était la meilleure nouvelle depuis longtemps. Ce n’est pas qu’une affaire électorale. C’est d’abord ça. Le retour des gens non professionnels de l’action publique, qui « font ça » seulement parce que « c’est juste de le faire ». Et quand je m’impatiente de nous voir partir de si loin dans le niveau des votes je me dis en nous voyant que cette fois ci le chemin est bien ouvert et ira s’élargissant.

GRIOTS ET BAUDRUCHES

A la tribune de notre meeting, il a beaucoup été question des libertés. Comme j’en ai dit un peu sur le sujet il y a peu, je m’abstiens d’y revenir. J’ai juste noté un chiffre au fil des interventions. Il s’est condamné, nous a-t-on dit, ces derniers temps, à un total de cent mille années de prison dans ce pays !

Pendant la soirée à Bordeaux mon thème essentiel pour ce qui concerne la partie nationale de mon propos c’était celui des retraites. Mon objectif, ici comme chaque fois, est de montrer que nous savons faire autrement que ce que propose le discours dominant. Donc j’ai parlé du financement du « trou » des retraites. En réalité le travail consiste à démonter point par point ce que l’argumentaire des dominants reproduit chaque jour et que personne ne discute chez les griots médiatiques. Les pseudos évidences qui nous sont martelées doivent être dégonflées comme les baudruches qu’elles sont ! Par exemple sur le rapport entre actifs et inactifs, l’allongement de la durée de vie qui rendrait inéluctable l’allongement de la période de travail dans la vie, l’explosion démographique des retraités en 2050 et ainsi de suite. De tout cela j’ai déjà donné dans ce blog de quoi argumenter. On m’a d’ailleurs dit que c’était utile et que ça circulait bien de tous côtés. Evidemment on m’a quand même questionné avant même la réunion, en particulier. Je pense que cette personne voulait que je lui donne un argument pour répondre à quelqu’un d’autre. Du coup j’ai commencé par ça à la tribune. Vous savez c’est ce truc culpabilisant sur le mode « les ainés ne doivent pas être à la charge des générations montantes ». Drôle d’idée ! On finirait par oublier qu’on parle de nos parents et grands parents ! Faudra-t-il un jour, en bonne logique libérale, contracter un prêt pour l’élevage de nos enfants dont ils paieront eux même ensuite le remboursement toute leur vie ? Je me tais tout de suite ! Ca pourrait donner des idées ! En tous cas pour ce qui est du coût des anciens, pas de panique. C’est pas cher payé ! Les dépenses pour les retraites représentaient 13,3 % de la richesse produite par le pays en 2007. C’est-à-dire 211 milliards, répartis entre les 146 milliards retraites de base et les 50 milliards de retraites complémentaires (AGIRC, ARRCO et AGFF). Ca fait pas beaucoup tout de même pour rémunérer vingt millions de personnes de plus de soixante ans qui remettent tout ça aussitôt dans le commerce compte tenu de la faiblesse de ce revenu. S’il fallait un argument comptable de plus notons celui-ci. Les plus de 60 ans qui consomment donc à peine plus de dix pour cent de la richesse du pays constituent cependant presque le quart de la population totale du pays (22,6%) en 2009. Ca fait fermer quelques bouches qui font du bruit, non ? Et nous, ça nous rassure au passage parce que ça nous permet de nous rappeler que les moins de 20 ans restent les plus nombreux. Car ils sont 24,7 % de la population.

DES FAITS PLUTÔT QUE DES PREJUGES

Je vais commencer par donner quelque chose qui percute de plein fouet le discours dominant. Ce quelque chose, c’est l’idée de ce qu’est ce déficit ! Il a été mille fois étalé sous nos yeux pour nous adjurer de « sauver les retraites » en les détruisant. C’est combien ce déficit ? En 2008 : 5 milliards. En 2010 : autour de 10 milliards. Mais toujours seulement 5 milliards hors effet crise selon le Conseil d’Orientation des Retraites. En effet il faut sans cesse se souvenir que l’équilibre de ce genre de comptes dépend du montant des cotisations reçues. Donc aussi de leur nombre. Le nombre de gens qui y cotisent. C’est a dire ceux qui travaillent. Et la crise réduit le nombre de cotisants quand on compte 500 000 emplois détruits tout en augmentant les défauts de paiement des employeurs dont la boite coule ou va couler et laissent les cotisations qui sont dues impayées. Mais vaille que vaille, ce qui importe c’est la proportion du découvert, du passif, par rapport à l’actif. C’est important de regarder les choses sous cet angle. Car alors la catastrophe se relativise. Cinq milliards de déficits cela fait 2,5% du budget retraites du pays. C’est tout. Qui, gagnant 1000 euros, ne serait pas enchanté en fin de mois de n’être à découvert que de 25 euros ! Pour mesure l’ampleur du déficit souvenons nous que l’Etat de son côté est à découvert de 20 % de son budget ! Et même de 40 % en 2009-2010. 200 ou 400 euros de découvert pour mille reçus si je reprends ma comparaison, hum c’est déjà autre chose que les 25 de tout à l’heure ! Contre la panique, contre les faiseurs de panique, il faut raison et proportion garder ! Dire que c’est le volume des cotisations qui fait la différence entre déficit et excédent, c’est dire d’une autre façon que c’est d’abord une affaire de niveau de l’emploi que tout ce dossier. Le Conseil d’orientation des retraites indique que le retour à l’équilibre dans les prestations actuelles exige deux choses. D’abord le retour à 4,5 % de chômage. Ensuite le prélèvement supplémentaire de 1 point de PIB d’ici 2020. Il faut avant tout créer des emplois. Et ca marcherait ? Pour mémoire en 2000 et 2001, on avait créé 2 millions d’emplois. Le chômage était descendu à 7,8 % en 2001 ! Et alors les caisses étaient excédentaires. La politique de création d’emplois n’est pas mon sujet ici. Je vais à la plus grande difficulté, parait-il. Trouver un point de PIB supplémentaire à prélever. Cela représente aujourd’hui 20 milliards à trouver.

Il y a huit points perdus

Je vais multiplier les pistes. Je commence par le plus simple. C’est la contraction de la masse salariale dans le PIB qui compromet le financement des retraites. Moins de salaires moins de cotisations. Mais nous savons tous que depuis 1982, les salaires ont perdu 8 points dans le partage de la richesse créée ! Ces 8 points de richesses perdues par les salariés représentent 160 milliards par an. Au lieu d’être des dividendes, des stocks options des retraites chapeau et golden parachute ces sommes auraient pu être des salaires soumis à cotisations, et de plus, des salaires en dessous du plafond du régime de base (2800 euros) ! Comme les cotisations retraites représentent environ 6 % de la masse salariale totale, cela dégagerait mécaniquement 10 milliards d’euros de plus de cotisations retraites par an.

LES MANQUE A GAGNER

On sait qu’il y a trente milliards d’exonérations de cotisations sociales. Leur efficacité économique est égale à zéro selon la cour des comptes. Mais l’Etat est tenu de les compenser aux caisses de Sécu. Il le fait. Mais pas complètement. D’emblée et sans rien changer aux exonérations, si l’Etat compensait intégralement les exonérations il devrait donner 3 milliards de plus aux comptes sociaux. Mais c’est loin DSC00508d’être le manque à gagner le plus cruel. Le vrai scandale c’est que des revenus soient soustraits à cotisations sociales ! Cela pose la question de changer l’assiette des cotisations sociales et de taxer tous les revenus ! Comme le proposent la CGT et FO. En faisant contribuer non seulement les revenus du travail mais aussi les revenus financiers, comme on l’a fait pour l’assurance maladie avec la CSG, on dégagerait aussi des moyens considérables. Si l’on projette le rendement actuel de la CSG, le basculement de toutes les cotisations salariales vieillesse (6,75 %) sur une assiette large type CSG, cela représenterait environ 3,5 points de CSG. Et cela rapporterait 10 milliards de recettes supplémentaires. Notez par parenthèse que cela réduirait de 2,8 milliards les cotisations salariales, ce qui serait autant de pouvoir d’achat gagné. En toute hypothèse, le seul fait de taxer comme des salaires tous les revenus d’intéressement rapporterait 5 milliards d’euros. Voyons comment et qui le dit. La Cour des comptes l’a montré (rapport 2007) : la seule exonération de cotisations sociales sur les stocks options représente 3 milliards d’euros de perdus pour la sécurité sociale. Si l’on ajoute les autres mécanismes d’intéressement et d’épargne salariale (intéressement, participation, indemnités de départ, plans d’épargne salariale etc.), selon ce rapport, on arrive aux 5 milliards de ressources qui manquent.

LE PLAFOND EST TROP BAS ?

Encore une piste. Les cotisations sociales ne portent que sur un salaire dont on limite le montant à 2 885 euros par mois. Si vous avez plus la sécu ne veut pas le savoir. De toute façon elle ne vous versera jamais davantage que 50 % de ça. Donc jamais plus que 1442 euros. DSC_0196C’est ce mécanisme le « plafond de la sécurité sociale ». Cela signifie par exemple qu’avec ses 133 000 euros par mois à la tête d’EDF, M. Proglio ne cotise au régime de base que sur 2 885 euros, c’est-à-dire à peine 2,1 % de son salaire. Alors que le Smicard (1000 euros), lui, cotise sur 100 % de son salaire. Je reviens donc à la précédente piste que j’ai mentionnée, si vous avez suivi. Puisque les cotisations salariales seraient déjà de fait déplafonnées en étant transformées via la nouvelle assiette type CSG, on pourrait aussi déplafonner les cotisations patronales. Cela dégagerait 6,6 milliards de ressources supplémentaires par an pour les retraites ! C’est sûr que le déplafonnement des cotisations conduirait de fait à fusionner à terme en un régime unique de retraites le régime général et les régimes complémentaires. Ce n’est pas forcément bien vu. Mais c’était l’objectif à la création de la sécurité sociale en 1945, dans la Charte du Conseil National de La Resistance.

FAISONS DES TOTAUX

Le total des marges de manœuvres que je viens d’évoquer est donc de 24 milliards par an, là ou le COR en réclamait 20 ! Je récapitule. 10 milliards en étendant l’assiette des cotisations retraites salariées à tous les revenus. 5 milliards en mettant à contributions les revenus non salariaux. 3 milliards en recouvrant exactement les exonérations de cotisations. 6,6 milliards en déplafonnant les cotisations patronales. Et dans ce calcul, on n’oublie pas qu’il y a comme poire pour la soif de la grande récupération les 10 milliards que procureraient le retour en salaires des huit points de PIB partis dans les poches du capital ! On est donc fondés à dire raisonnablement que les marges de manœuvre existent qui permettent non seulement de faire face aux besoins à l’échéance de 2020 mais aussi d’envisager des améliorations des retraites. Lesquelles ? Garantir le droit au départ à 60 ans. Pouvoir partir après 40 annuités validées, même avant 60 ans ! Assurer un taux de remplacement d’au moins 75 % du dernier salaire ! Revenir au calcul des retraites sur les 10 meilleures années et non les 25 comme c’est le cas depuis que la droite est passée par là. Enfin il ne faut plus une seule retraite en dessous du SMIC. Notez que la loi de 2003 fixait l’objectif à 85 % du SMIC. Evidemment il n’en a rien été. Prendre en compte les années d’étude car aujourd’hui le dispositif de rachat est prohibitif et de fait réservé aux plus riches !

On peut. c’est une affaire de volonté. Car c’est une affaire de rapport de force ! Le problème n’est ni technique ni comptable, il est politique. Ce n’est pas la réforme ou ne rien faire. C’est faire une réforme du financement mais sur le capital et non sur le travail. C’est tout pour aujourd’hui !


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