Dossier paradis fiscaux 3 Comprendre leur fonctionnement

samedi 16 septembre 2017.
 

La menace que représentent les paradis fiscaux n’est "fantôme" que dans la mesure où l’information à leur sujet reste très floue et ténue. On les présente souvent de manière trompeuse, comme des territoires folkloriques, des îlots paradisiaques qui permettent aux sociétés et aux particuliers d’exploiter avec "adresse" les failles juridiques nationales et internationales.

Le danger des paradis fiscaux et leur intégration complète au système économique mondial est en réalité très sous-estimé.

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Qu’est-ce qu’un paradis fiscal ?

Les documents et rapports officiels en fournissent une définition assez floue : "pays à régime fiscal privilégié" ou "lieu pouvant être utilisé comme abri ou comme refuge contre des impôts, plus particulièrement contre les impôts sur les revenus et sur les successions."

Il existe en fait de nombreux types de paradis fiscaux, la variété des activités financières possibles les incitant souvent à se spécialiser.

On peut toutefois discerner des traits communs :

· Un taux d’imposition réduit, voire nul, notamment sur les revenus de source étrangère ;

· Le secret commercial et bancaire, dont les banques suisses sont encore les plus sûres garantes ;

· Un minimum de stabilité politique et économique ;

· Un double système de contrôle des changes qui distingue les devises étrangères de la monnaie nationale ;

· Une infrastructure développée, des moyens de communication modernes, etc.

Les paradis fiscaux attirent d’abord tous ceux qui refusent la solidarité par l’impôt ; les grandes fortunes et les multinationales en font ainsi un usage massif. Ils existent depuis l’Antiquité (ports détaxés dans la Grèce antique), mais leur essor et leur multiplication dans la deuxième moitié du XXème siècle fut sans pareil. De plus, ils se sont développés en relation étroite avec la mondialisation financière et économique, elle-même née de la libéralisation et de la déréglementation des activités financières, accélérées depuis une trentaine d’années. La responsabilité des Etats dans cette expansion est loin d’être négligeable : conservation du secret, apathie coupable, abdication des pouvoirs de régulation face aux dogmes de l’ultralibéralisme.

A quoi sert un paradis fiscal ?

Les paradis fiscaux tendent à fédérer toutes les grandes criminalités. En fait, Etats, mafias et transnationales s’associent et s’intègrent de plus en plus dans un système cohérent, "intimement lié à l’expansion du capitalisme mondial" (voir à ce sujet l’article de Christian DE BRIE dans Le Monde Diplomatique, avril 2000 ).

Il permettent et favorisent notamment :

· Les fraudes fiscales : les paradis fiscaux offrent aux capitaux spéculatifs, notamment, des relais discrets et accueillants ;

· La corruption ;

· La privatisation des conflits : les paradis fiscaux sont autant de lieux privilégiés d’accueil des basses œuvres (bases de services secrets, officines sécuritaires...) pour les Etats et les multinationales ; ils permettent aussi de brouiller les pistes pour les exportations illégales d’armement ;

· La pratique de la complaisance maritime (les célèbres pavillons de complaisance, cf le naufrage de L’Erika) qui permet d’immatriculer des navires marchands en échappant aux obligations sociales et fiscales, dans des paradis fiscaux spécialisés, concerne aujourd’hui les deux tiers de la flotte mondiale !

· Le blanchiment des capitaux : les flux de la criminalité internationale organisée, englobant le trafic de drogue, la prostitution de femmes et d’enfants, les vols, le racket...transitent par les paradis fiscaux afin d’être réinvestis en toute légalité. Organisations terroristes et sectes en sont aussi de grandes utilisatrices, comme l’ont démontré les attentats du 11 septembre.

Que faire ?

A ce jour les services répressifs sont largement désarmés face à une criminalité mondiale et très mouvante. De timides tentatives ont été entreprises, notamment depuis le 11 septembre (ainsi le décret publié par la France le 7 février contre la république de Nauru), mais elles restent beaucoup trop limitées et soumises à la complaisance des gouvernements du monde entier.

Des organismes existent, tels le GAFI (Groupe d’Action Financière Internationale) qui tente de lutter contre le blanchiment d’argent, mais leur champ d’action est trop limité. Il est avant tout nécessaire d’informer les citoyens, seule voie possible pour que le crime économique et financier relève enfin du droit pénal international.

Quelques mesures d’urgence sont envisageables, mais rien n’est possible sans une prise de conscience préalable de la portée des paradis fiscaux et des véritables enjeux qu’ils constituent.

La grande délinquance financière a ses sanctuaires : « l’archipel planétaire des paradis fiscaux »

Ceux-ci tiennent un rôle central dans l’univers de la finance noire puisqu’ils en représentent les usines de retraitement.

D’après le Fonds Monétaire International (F.M.I) :

· le phénomène du blanchiment représente entre 2 et 5 % du produit intérieur brut (P.I.B) mondial ;

· la moitié des flux de capitaux internationaux transitent ou résident dans ces territoires ;

· entre 600 et 1500 milliards de dollars d’argent sale y circulent chaque année ;

· leur activité est une industrie qui gère autour de 20% de la richesse privée mondiale.

A titre de comparaison, les dettes publiques cumulées sur l’ensemble des marchés internationaux s’élèvent à 5000 milliards de dollars alors que parvenir à la satisfaction universelle des besoins sanitaires et nutritionnels essentiels (nourriture, eau potable, santé) ne coûterait que 13 milliards de dollars par an (soit 0.01% des sommes qui circulent dans les paradis fiscaux...)

Plus que tout, banques et grandes entreprises sont avides de capter, après les avoir blanchis, les profits des affaires du crime organisé (trafics de drogues, d’armes, de déchets toxiques, de produits nucléaires d’organes humains, de femmes, d’enfants, de main d’œuvres, d’objets d’art, de voitures, contrebandes d’alcool, de tabac, de médicaments, vols, fraudes fiscales, fausse monnaie, fausses factures, piratage informatique, etc).

Ainsi par exemple, les profits tirés annuellement du trafic de drogues (cocaïne, héroïne, cannabis) représenteraient de 300 à 500 milliards de dollars, soit 8% à 10% du commerce mondial (5250 milliards de dollars en 1998). Le chiffre d’affaire du piratage informatique dépasse les 200 milliards de dollars, celui de la contrefaçon les 100 milliards de dollars, 10 à 15 milliards de dollars pour la fraude au budget communautaire européen, etc.

Au total, en ne tenant compte que des activités ayant une dimension transnationale, dont la « traite des blanches », le produit criminel mondial brut dépasse selon certaines estimations les 1000 milliards de dollars par an, soit près de 20% du commerce mondial.

En admettant que les charges (production, gestion, pertes sur saisie, corruption, etc...) représentent environ 50% du chiffre d’affaire, il reste 500 milliards de profits annuels, une somme 40 fois plus importante que celle nécessaire à l’éradication des problèmes de santé et de malnutrition qui affectent environ 1 milliard d’individus dans le monde. Ainsi, sur dix ans, les profits cumulés atteignent 5000 milliards de dollars, autant que l’ensemble mondial des dettes publiques cumulées, et, 3 fois plus que le montant des réserves en devises de toutes les banques centrales (1638 milliards de dollars selon la B.R.I en 1998).

Une question fondamentale se pose alors : comment écouler ce gigantesque pactole qui empilé en billet de 100 dollars s’élèverait à 500 kilomètres de hauteur ! ?

Blanchir cet argent et le réintroduire dans l’économie licite en toute discrétion nécessite l’utilisation des paradis fiscaux et autres places offshore, via les sociétés commerciales ou financières qu’ils abritent.

C’est à ce stade que les criminels en col blanc interviennent. Le coût de l’opération de recyclage ; environ un tiers, soit 150 milliards de dollars partagés entre réseaux bancaires et intermédiaires ; avocats, courtiers, gérants de trusts et fiducies...

Au bout du compte sont blanchis et réinvestis annuellement plus de 350 milliards de dollars, soit un peu moins d’un milliard de dollars par jours...

Les organisations criminelles multinationales n’encombrent pas les caisses d’épargnes avec leurs bénéfices (qu’aucun autre secteur d’activité légale n’atteint), et chassent au contraire les taux de profits les plus élevés ; placements à risques, spéculation financière (ce qui participe à la formation de bulles financières), marchés émergents, immobiliers, nouvelles technologies. Lubrifiant de la prodigieuse expansion du capitalisme moderne, il leur reste suffisamment d’argent pour soutenir leur train de vie et participer au financement de la corruption des partis et dirigeants politiques contre de solides promesses de maintenir un système qui leur est si favorable en l’état.

Atlas des paradis fiscaux

On recense entre 60 et 90 de ces micro-territoires ou Etats aux législations fiscales laxistes ou inexistantes, mais leur décompte reste difficile (ils sont sûrement plus d’une centaine). Ce ne sont majoritairement pas des « îles perdues au milieu du Pacifique », ils suivent au contraire une répartition géographique déterminée de façon évidente par celle des grands pôles économiques mondiaux : Etats-Unis, Europe, Asie. La carte en annexe 3 fait apparaître la prépondérance de ces trois zones.

On comprend pourquoi en rappelant brièvement leur origine. Les premiers paradis fiscaux sont des ports d’accueil pour les navires des grands empires européens, aux Caraïbes et autour de l’Amérique latine. Cependant, le développement contemporains des paradis fiscaux date de la fin XIXème-début XXème siècle, ainsi, dans les années 1920-1930 une nouvelle génération de territoires commence à se spécialiser dans l’attraction des fortunes étrangères (Bahamas, Suisse, Luxembourg).

Après 1945, ces territoires, oubliés du plan Marshall, se transforment en zone à faible régulation et adoptent le secret bancaire pour attirer les capitaux internationaux (Liechtenstein). Dans les années 1960-1970 les eurodollars puis les pétrodollars relancent leur activité. Et depuis une trentaine d’années la libéralisation financière qui encourage l’absence de contrôle sur les mouvements de capitaux a fait exploser le nombre de paradis fiscaux.

« Une rivière de diamants volés ceinture la planète : le chapelet des paradis fiscaux, receleurs hors la loi de l’argent du crime. » ( Christian de Brie, Observatoire de la mondialisation )

Les pays les plus riches abritent ou ont la mainmise économique et politique sur ces « pays à régime fiscal privilégié » ; en France : Monaco et Andorre entre autres ; en Grande-Bretagne : Irlande, Ile de Man, Gibraltar, etc ; aux Etats-Unis : Bahamas, Bermudes, etc ; en Asie et au Moyen-Orient : Liban, Macao, Singapour, Hongkong, îles Marshall, etc. 95% des paradis fiscaux sont d’anciens comptoirs ou colonies restés dépendant des puissances tutélaires, et dont la souveraineté fictive sert de cache-sexe à une criminalité financière tolérée et même encouragée parce qu’utile au fonctionnement des marchés.

Le problème de l’existence et de la tolérance des paradis fiscaux est donc évidemment politique, le monde de la finance étant souvent intimement lié à celui de la politique.


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