RETRAITES : Grand recul

jeudi 25 février 2010.
 

LE GRAND RECUL

Je reviens à mon cimetière du Jura où je participais à l’enterrement d’un très proche que j’aimais beaucoup et ma parentèle davantage encore. C’est ici le village de Rouget de Lisle. Et du capitaine Lacuzon, « le médecin des pauvres », héros de la résistance à l’annexion française. Les troupes royales, composées pour l’essentiel de suédois massacrèrent la moitié de la population pour en venir à bout. Trois siècles plus tard, la fureur est éteinte, heureusement. Ne reste de ce temps et de la suite que ce que l’on s’est donné la peine de créer pour les autres. Et ainsi des êtres comme des périodes. Comme de tout un chacun, il reste de celui-ci que j’accompagnais en terre ce qu’il a donné aux autres. Et dans son cas c’était vraiment beaucoup. La méditation que son trépas m’a imposée m’a envahi si fort ! J’en ai perdu jusqu’au sens de l’à propos ! Et me voila, le matin avant le départ, disant comme une évidence au détour d’une question sur ITV à propos de l’horizon 2050 où parait-il nos retraites seront impayées : « en 2050, nous serons tous morts » à Laurent Bazin !

Le journaliste avec qui je parlais dans cette émission a eu l’amabilité de sourire plutôt que de me brocarder. En effet, dans quarante ans la chance qu’il soit là est bien grande – je le lui souhaite- tandis que la mienne l’est moins. Je voulais seulement dire qu’une prévision économique à quarante ans n’a aucune valeur rationnelle. Comment imaginons-nous le futur et la société, en 1970, dans le monde de Yalta que dirigeaient Nixon, Mao et Brejnev ? Quel rapport avec celui que nous vivons ? J’ai d’ailleurs dit que je ne voyais pas pourquoi j’aurais confiance dans les prévisions de gens qui n’ont pas été capables de prévoir il y a un an une crise dont ils ont tous dit six mois après qu’elle était évidente ! Comment croire de tels charlatans ! Je m’arrête cependant un instant sur ma bévue. Stupéfiante illustration de notre tendance à croire que le monde est notre contemporain alors qu’il est seulement notre viatique. La simultanéité du vivant est une illusion quand il faudrait voir une conjonction accidentelle des temps particuliers. Hum ! Où suis-je envolé ? Je reviens où je me promettais d’aller en commençant. L’absent qui repose désormais avait été un syndicaliste ardent. J’ai connu pour les avoir vues ou entendues raconter ses luttes. Je me disais juste : comme il est terrible de constater que nous en sommes rendus à détricoter les conquêtes sociales que sa génération a eu tant de mal à mettre en place. La retraite à soixante ans !

CENT ANS APRES !

Combien de raisonnements je lui ai entendu tenir avant 1981 pour expliquer la nécessité de cette disposition. Il pensait surtout comme beaucoup à l’époque non seulement à la santé des gens mais aussi à l’emploi qui était occupé « à la place d’un jeune ». Les raisonnements restent valides. Il reste juste de dire que ce qui serait peut-être économisé en maintenant les gens au travail sera perdu sûrement du côté de la maladie. Je dis cela pour ceux qui aiment se limiter aux raisonnements purement comptables. Pour ma part je crois qu’on a le droit de s’arrêter de travailler, un point c’est tout. Et de ne rien faire, aussi. Pour l’immédiat on n’en est pas là. Nos anciens se font voler leurs luttes. Mais j’étends le constat à d’autres générations de lutte. Les retraites ont cent ans. La première loi sur les retraites ouvrière et paysanne date de 1910. Jaurès les adopte dans leur imperfection de l’époque en annonçant ce qu’elles seraient dans l’avenir pour le socialisme. Et maintenant, nous voici témoins d’une tentative de les ramener au point où elles étaient il y a un siècle. Le grand recul ! Et les socialistes, genre Hollande, en sont d’accord ! Baarh ! La honte !

BILLARD CONTRE DARCOS

Je publie ici pour le cas (à peu près certain) où vous auriez manqué à la télé, sur France 3, la séance publique des questions posées au gouvernement ! Martine Billard interpellait Xavier Darcos à propos des retraites. Sa réponse donne une idée assez précise des limites de l’argumentaire de la droite sur le sujet. Evidemment vous allez voir que si beaucoup de mes contradicteurs se moquent bien de ce que je leur dis à propos de la débandade de la social démocratie européenne la droite elle ne perd pas l’affaire de vue.

L’occasion de cet échange est bonne pour rappeler un fait très souvent méconnu et largement utilisé comme argument massue par nos adversaires. N’oubliez pas que dorénavant, un patron ne peut plus mettre d’office à la retraite avant 70 ans. Donc un salarié qui le souhaite peut continuer de travailler après 65 ans sans que le patron puisse s’y opposer. S’il veut se débarrasser du salarié, il est obligé de le licencier. Ce n’est pas tout ! De plus, une fois à la retraite, un salarié peut continuer à travailler, y compris dans la même entreprise. Donc face à tous ceux qui dans le débat brandissent la liberté de prendre sa retraite plus tard, la loi le permet maintenant. Précisons que ce n’est pas une bonne nouvelle car cela entraine une pression à la baisse du niveau de ces retraites car chacun se voit objecter qu’il peut améliorer son revenu en restant au travail plus longtemps.

POURQUOI N’ETES PAS GRECS ?

"Mme Martine Billard.

Près de six Français sur dix se prononcent contre le recul de l’âge de départ à la retraite au-delà de soixante ans, et plus d’un sur deux est opposé à l’allongement de la durée de cotisation. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) La réforme des retraites de 2003 a provoqué une baisse des pensions avec le calcul sur les vingt-cinq meilleures années et l’indexation sur les prix et non plus sur les salaires.

Vous voulez repousser l’âge de départ en retraite et allonger la durée de cotisation. Toutes ces mesures provoqueront inexorablement une nouvelle baisse des retraites malgré vos dénégations. Or celles et ceux qui, aujourd’hui, peuvent partir à soixante ans sont justement celles et ceux qui ont commencé à travailler très jeunes. Les obliger à travailler plus longtemps serait donc injuste, d’autant plus que, comme le MEDEF, vous refusez de reconnaître l’existence de métiers pénibles, renvoyant chaque salarié à son état de santé individuel.

Cette proposition relève de plus d’une grande hypocrisie : six salariés sur dix sont hors emploi au moment où ils liquident leur retraite et les mesures homéopathiques pour l’emploi des seniors prises par les gouvernements depuis 2002 n’y ont rien changé. Le patronat continue à se débarrasser avant l’âge de la retraite des salariés âgés qu’il ne considère plus assez rentables.

Vous justifiez ce report par comparaison avec l’âge de départ en retraite dans les autres pays de l’Union européenne. Vous oubliez simplement de préciser que la France n’a pas les mêmes problèmes démographiques. La question se pose donc dans des termes différents. La solution au financement des retraites existe. Il est normal que, dans une société où il y a plus de retraités, la part de la richesse nationale qui leur est consacrée augmente. Le tabou qui doit sauter est celui contre l’augmentation des cotisations patronales ainsi que la taxation des revenus du capital. Il est temps de rééquilibrer la part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée. Monsieur Wauquiez l’a indiqué ce matin comme piste possible.

Monsieur le Premier ministre, allez-vous procéder à ce rééquilibrage ? (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.

M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.

Pourquoi n’y a-t-il qu’en France que la gauche n’accepte pas l’idée que le vieillissement de la population entraîne forcément une relecture de notre système de pensions et de retraites ? (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Pourquoi, même dans des pays dirigés par des socialistes tels que l’Espagne, la Grande-Bretagne ou la Grèce – M. Papandréou est président de l’internationale socialiste – on accepte d’ouvrir ce débat sereinement, alors que, en France, vous ne proposez rien d’autre que d’augmenter les cotisations et de ne pas toucher à l’âge du départ légal à la retraite ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Cette vision n’est pas raisonnable, et elle est irresponsable à l’égard des générations futures. (« Très bien ! » sur les bancs des groupes UMP et NC. – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) C’est une vision qui parle des acquis sociaux sans prendre en compte le premier d’entre eux : le devoir de ne pas faire porter à nos enfants et à nos petits-enfants le fardeau de notre irresponsabilité. (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Par ailleurs, à propos de la question des seniors, permettez-moi de vous dire qu’elle a déjà été longuement abordée, y compris par les partenaires sociaux.

Comme vous le savez, les entreprises qui n’ont pas négocié un accord sur l’emploi des seniors au 31 décembre, sont frappées par une pénalité de 1 % de la masse salariale. Cela étant il ne faut pas que le travail des seniors soit un moyen de se détourner de ses obligations. Il n’est pas acceptable que des entreprises en bonne santé financière utilisent les facilités sociales et fiscales des plans de sauvegarde pour l’emploi normalement destinés aux entreprises en difficulté pour faire financer par le contribuable ou le cotisant social une partie des annuités de départ à la retraite de ces seniors.

Vous le voyez, nous sommes vigilants, mais nous devons une réforme aux générations futures. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)


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