Violence et civilité, nouvel ouvrage du philosophe Étienne Balibar

dimanche 14 février 2010.
 

L’horizon planétaire et la nouvelle actualité d’une pensée de l’antiviolence

Comment sortir de la violence, dans ses formes individuelles et collectives, qu’elles soient guerre ou racisme, agression ou répression, domination ou insécurité, déchaînement brutal ou menace latente  ? Comment s’étonner de l’échec général du politique, marqué par le sentiment massif de son impuissance  ?

Face à la dissémination de la violence, Étienne Balibar propose de repenser la notion de résistance transindividuelle (sans laquelle il n’y a pas de politique révolutionnaire « des droits de l’homme ») et de se référer à l’idée d’insurrection (qui pose la réciprocité entre égalité et liberté, ce qu’il appelle « l’égaliberté »). 
Balibar reprend chez Marx l’idée de l’antiviolence (qui n’est ni la non-violence ni la contre-violence) pour maintenir ouverte la multiplicité des formes de la politique, dans la mesure où toute politique est une combinaison infinie des stratégies de la force et du droit.

Violence et Civilité évoque les exemples de Lénine et de Gandhi, « les deux plus grandes figures de théoriciens-praticiens révolutionnaires ». Chez Gandhi, l’idée de non-violence ne se réduit pas à la morale, mais s’affirme bien comme une idée politique  : la mise en œuvre d’une stratégie en vue de créer un rapport de forces contre la violence institutionnelle. Cette perspective trouve aujourd’hui un regain d’actualité qui tient au foisonnement des mouvements sociaux et culturels dans le cadre de la mondialisation, qu’il s’agisse de la « dictature du prolétariat » (qui, selon Lénine, place ses exigences de transformation sociale « au-dessus des lois ») ou de la « désobéissance civile » systématisée par Gandhi.

L’auteur conclut sur la tension entre citoyenneté (construction collective de la réciprocité des droits) et civilité (mouvement de retrait et de distanciation par rapport à la puissance du collectif). Cette résistance à la violence, que Balibar nomme « antiviolence », rend possible une dynamique historique  : ce que le philosophe Claude Lefort appelle « invention démocratique », ce que Jacques Rancière désigne comme « part des sans-part », et que Balibar nomme « insurrection émancipatrice », par rapport à une loi ou à un ordre reconnus de façon critique.


Face au tragique de la politique et au nihilisme de la révolte décrit par Camus dans l’Homme révolté (1951), la question qui se pose à la politique aujourd’hui est de savoir comment l’équilibre de la conviction et de la responsabilité peut être démocratiquement partagé. La réponse de Balibar est une politique de la civilité, dans un rapport inédit des forces sociales, loin de toute normalité.

Aliocha Wald Lasowski, philosophe

* Violence et civilité,d’Étienne Balibar. Éditions Galilée, 432 pages, 40 euros.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message