Jurys populaires tirés au sort : La démocratie casino

mercredi 1er novembre 2006.
 

Ségolène Royal propose de créer des « jurys populaires » dont les membres seraient tirés au sort, pour instaurer « une surveillance sur la façon dont les élus remplissent leur mandat ». C¹est une proposition démagogique. Elle s¹appuie, en effet, sur une réelle aspiration populaire mais en dévoie le sens et la conduit droit dans l¹impasse.

C¹est une proposition qui s¹appuie sur une réelle aspiration populaire

Cette aspiration est tout simplement l¹aspiration à la démocratie. A chaque élection depuis 1995, notre peuple a systématiquement désavoué le libéralisme, de droite comme de gauche : législatives de 1997, présidentielle de 2001 (en raison du caractère mitigé du bilan de Lionel Jospin et de son programme qui n¹était « pas socialiste »), défaite écrasante de la droite aux régionales et aux européennes de 2004, victoire du « non » au référendum sur la Constitution européenne en 2005. Mais, malgré ces désaveux constants, malgré les énormes mobilisations sociales de 1995, 2003 et 2006, le libéralisme a continué à multiplier les dégâts sociaux et les profits des grands groupes.

Que dans ces conditions, bon nombre de citoyens puissent éprouver l¹envie de faire passer devant « un jury populaire » les élus et « le mensonge de la parole publique » n¹a rien de vraiment étonnant. Ce qui est étonnant, par contre, c¹est qu¹une responsable socialiste flatte une telle envie plutôt que de mettre en évidence les véritables racines de la crise très profonde qui frappe la démocratie représentative. La Constitution de la Vème République, tout d¹abord, qui dote de pouvoirs considérables un Président dont l¹irresponsabilité politique est totale. Les institutions de l¹Union européenne, ensuite.

Aujourd¹hui, en effet, plus de 60 % des actes législatifs et réglementaires adoptés en France sont directement issus de l¹Union européenne. Mais l¹Europe est une démocratie en trompe-l¹¦il : la seule institution élue au suffrage universel, le Parlement européen, est aussi celle qui a le moins de pouvoirs. La concentration, enfin, des médias aux mains de puissances d¹argent (Bouygues, Rothschild, LagardèreŠ). Des médias qui personnalisent la vie politique pour mieux la dépolitiser. Des médias dont les programmes politiques sont toujours soit absents, soit caricaturés.

C¹est une proposition qui dévoie l¹aspiration à la démocratie

Ségolène Royal ne propose aucune réforme des trois principaux instruments qui permettent de bafouer, avec une telle constance, la démocratie représentative. Le lendemain de la nomination d¹Arnaud Montebourg comme son porte-parole, elle affirmait, haut et fort, sur France-inter son soutien aux institutions de la Vème République.

Lors de sa conférence de presse sur l¹Europe (le 11 octobre) elle n¹a apporté strictement aucune précision sur le contenu d¹une réforme des institutions européennes dont elle n¹a, à aucun moment, indiqué le caractère profondément anti-démocratique. Elle ne remet pas en question la concentration qui confère un pouvoir aussi disproportionné aux médias. Il est facile de comprendre pourquoi : ce sont quatre hebdomadaires (Paris-Match, l¹Express, VSD et le Nouvel Observateur » qui ont simultanément lancé la promotion de son image. Ce sont, aujourd¹hui encore, les grands médias qui la désignent systématiquement comme l¹adversaire de Sarkozy en 2007 et qui font d¹elle la « victime » de DSK et de Laurent Fabius.

C¹est une proposition qui conduit dans l¹impasse

La proposition de « jurys populaires » est complètement illusoire : en quoi ces jurys pourraient-ils s¹opposer à la nouvelle version de la « directive Bolkestein » que nous prépare l¹Union européenne ? En quoi des « jury populaires » auraient-ils pu empêcher le démantèlement programmé de nos régimes de retraites par répartition, de l¹assurance-maladie ou du code du travail ?

Cette proposition permet de faire écran à un réel débat de fond sur la crise de la démocratie représentative. Elle n¹a pas, pour autant, grand-chose à voir avec la « démocratie participative » dont Ségolène Royal ne cesse de se réclamer. La démocratie participative telle qu¹elle s¹exerçait au Brésil, dans la municipalité de Porto Alegre qui a « inventé » le terme, donnait un réel pouvoir de décision aux collectifs de citoyens. Il ne s¹agissait pas simplement comme le propose Ségolène Royal d¹organiser une nouvelle forme de sondage d¹opinion mais de permettre à tous les citoyens concernés de décider de l¹affectation de budgets municipaux. Ces citoyens prenaient une décision collective après des délibérations où chacun pouvait s¹exprimer citoyens, élus, « experts ») et où se construisaient des solidarités concrètes.

C¹est exactement l¹inverse que propose Ségolène Royal : le tirage au sort est la négation de la délibération de tous, la négation de toute solidarité concrète, la négation de tout avis réellement collectif. Le tirage au sort renvoie chaque citoyen à son isolement et à la guerre de tous contre tous où le plonge l¹économie néo-libérale.

C¹est la démocratie casino et, au casino, c¹est toujours la banque qui finit par gagner.

Jean-Jacques Chavigné Gérard Filoche


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