Laurent Fabius dans Le Parisien : "La France a besoin d’un vrai changement à gauche, pas d’une nouvelle purge libérale ni d’une rustine sociale-démocrate à l’ancienne"

jeudi 2 novembre 2006.
 

Considérez-vous que le PS est aujourd’hui en danger ?

Non. Ce qui m’inquiéterait c’est que la candidate ou le candidat PS ne défende pas le projet socialiste et s’éloigne de nos fondamentaux. Force est de constater qu’aujourd’hui je suis le seul des trois candidats à défendre vraiment notre projet. En tout cas, je souhaite, puisque ce sont les militants qui vont se prononcer, qu’ils le fassent en toute liberté, sans se laisser impressionner par la mousse médiatique ou le bruit des sondages. Je leur dis donc : « Soyez libres. »

Diriez-vous qu’en un an il y a eu tout de même des choses de faites en faveur de la banlieue ?

On a eu droit à beaucoup de déclarations, mais, sur le terrain, rien ou presque rien n’a changé. Un exemple : les habitants de Clichy-sous-Bois attendent toujours le commissariat promis par M. Sarkozy. La tension devient aujourd’hui extrêmement préoccupante. Les jeunes ont le sentiment d’être agressés, les policiers aussi. Et les provocations se multiplient La réalité, c’est qu’envers les jeunes et les policiers le gouvernement a beaucoup promis et peu agi.

Quelle est votre vision du rôle du chef de l’Etat ?

Je suis pour une République parlementaire nouvelle. C’est le choix du PS et c’est le mien. Cela veut dire qu’il est temps d’en finir avec la pratique d’une sorte de monarque irresponsable à l’Elysée. Mais je suis frappé que tout se passe, quand j’entends mes concurrents à l’investiture socialiste, comme si on nous proposait au contraire un régime présidentiel renforcé. Je ne suis pas d’accord. Le président de la République a un rôle particulier d’impulsion et d’arbitrage. Et des prérogatives en politique étrangère et de défense. Mais j’insiste sur le rôle central du Parlement qui doit devenir le cœur battant de la démocratie. Et sur la responsabilité du Premier ministre. Un exemple : la grande conférence salariale que nous réunirons, ce ne peut pas être le « pacte de l’Elysée ». Le président ne mènera pas la discussion pendant des semaines avec le Medef et les responsables syndicaux. Ce sera au Premier ministre de le faire. Ce sera lui le capitaine, responsable politiquement devant l’Assemblée.

Pour mieux assurer la représentation de la diversité française à l’Assemblée, ne faudrait-il pas réintroduire une dose de proportionnelle ?

Si vous voulez parier de la diversité politique, ma réponse est oui. Le scrutin majoritaire permettra... une majorité, mais il faudra, grâce à une dose de proportionnelle, permettre que toutes les sensibilités politiques soient représentées à l’Assemblée. Pour le reste, c’est aux partis de prendre leurs responsabilités pour assurer une vraie diversité, mais je dis non à la politique des quotas. Je refuse toutes les discriminations.

Pourquoi, mardi soir à la télévision, avez-vous parlé avec tant de passion de la laïcité ?

Parce que la valeur laïcité est fondamentale et qu’elle est à l’origine de mon engagement politique. Parce que c’est un des grands atouts modernes de notre pays et une force pour notre République. Aussi, parce que M. Sarkozy, bien qu’il s’en défende, cultive, lui, une approche dangereusement communautariste. En France, nous avons une valeur de paix et de tolérance pour vivre tous ensemble : la laïcité. Soyons en fiers et défendons-la ! Et encore plus quand, dans tel hôpital, des médecins sont empêchés d’intervenir en fonction de l’appartenance religieuse d’un malade ou quand, dans telle école, un professeur d’histoire est empêché, pour le même motif, de parler de la Shoah. Je suis favorable à une charte de la laïcité adossée à la Constitution : elle définira les droits et les devoirs de chacun. Elle sera remise à tout Français au moment de sa naturalisation ou quand il reçoit sa carte d’électeur. A l’école, il serait utile que chaque année les professeurs puissent expliquer ce qu’est la laïcité. Je suis heureux de voir que mes camarades candidats disent aujourd’hui se ranger à cette analyse. Mais je me souviens qu’au moment du congrès de Dijon, il y a quelques années, j’étais bien seul à me prononcer pour une loi contre le port de signes religieux à l’école. Mon discours portait sur la République et s’appelait : « Marianne ne peut pas être voilée ». Cela dit il serait dangereux et faux que le combat pour la laïcité soit vécu par certains comme une attitude de défiance envers l’islam. Il faut au contraire que, parallèlement, des décisions soient prises pour que les musulmans puissent pratiquer leur religion de façon décente et en pleine égalité avec les autres cultes. Et cela, on peut parfaitement le faire sans mettre en cause la loi de 1905. J’entends bien être un président laïc.

Quand on vous classe « à gauche toute », avez-vous le sentiment d’être compris ou caricaturé ?

Je suis tout simplement à gauche. J’ai tiré les leçons du 21 avril 2002. J’ai tiré les leçons de la mondialisation financière, de la gravissime menace écologique et de la précarisation tous azimuts. Nos concitoyens veulent un président qui réponde, contre la dérive libérale, à l’urgence sociale et construise le futur. J’espère bien que ce message simple, celui du projet socialiste que je défends, sera de mieux en mieux compris. On ne réussira pas l’alternance en reprenant les recettes de la droite ou en copiant exactement celles que la gauche a mises en œuvre hier. La France a besoin d’un vrai changement à gauche, pas d’une nouvelle purge libérale ni d’une rustine sociale-démocrate à l’ancienne.

Propos recueillis par Dominique de Montvalon


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