"Vingt thèses pour repartir du pied gauche" Jacques Julliard amorce-t-il un petit tournant à gauche ? (article du 18 janvier 2010)

jeudi 9 août 2018.
 

Jacques Julliard est un intellectuel de la deuxième gauche (catholicisme de gauche, PSU, CFDT, rocardisme ...), connu comme historien et comme journaliste. Ce 18 janvier, il publie dans Libération un article titré "Vingt thèses pour repartir du pied gauche" qui me paraît différent et plus juste que bien des paragraphes moutonniers lus sous son nom dans le Nouvel Observateur ces dernières années.

La société n’étant pas seulement constituée de militants sortis convaincus de la cuisse du socialisme, je crois utile de noter ce type d’évolution. Pourquoi utile ? parce que si la "deuxième gauche" connaissait effectivement une poussée un peu anticapitaliste comme dans les années 1960, cela pèserait favorablement sur le rapport de forces.

Ses parties 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 ci-dessous analysent bien le capitalisme financier transnational d’aujourdhui.

Le point 9 tire un bilan sans concession de la deuxième gauche. Elle " s’était donné pour mission la modernisation économique et culturelle de la France, grâce à la participation de la société civile à la décision politique. Elle "représente une voie désormais dépassée. Elle reposait sur la notion de compromis social, c’est-à-dire la négociation entre les principaux partenaires économiques. Cette voie contractuelle a été délibérément bafouée par le néocapitalisme qui, assuré de la victoire, a préféré l’affrontement. C’est la fin de l’idéal d’une société policée, soucieuse d’affermir le lien social. Quelques-uns des membres les plus éminents de la deuxième gauche se sont fait les auxiliaires du pouvoir sarkozien : c’est dire l’étendue de leur renoncement et de leur faillite."

Les points 10 à 20 portent sur les perspectives politiques ; il est évident que Jacques Julliard ne peut être compté parmi les intellectuels de la gauche antilibérale et anticapitaliste susceptible de nous donner un jour un coup de main pour construire un front unitaire. Ceci dit, son appel par exemple à un front syndical commun pour une politique d’urgence comme son argumentation pour la nationalisation des banques correspondent effectivement à l’intérêt des salariés comme à l’intérêt général.

J’ajoute ci-dessous trois réactions à ces thèses (Luc Ferry, Alain Caillé, Jean-Louis Bianco), la plus intéressante étant la dernière.

Jacques Serieys

B) "Vingt thèses pour repartir du pied gauche"

1. Nous vivons un nouvel âge du capitalisme. Après l’ère des managers, voici venue celle des actionnaires. Les détenteurs du capital, longtemps silencieux, ont mis au pas les gestionnaires, qui s’appuyaient sur leur expertise technique. Les seconds pouvaient avoir le sens de l’intérêt général ; ils s’accommodaient de certaines formes de régulation et négociaient avec les syndicats la répartition de la plus-value. Les actionnaires, au contraire, se désintéressent de l’objet même de leur investissement ; ils réclament des profits immédiats et énormes, jusqu’à 15% du capital investi. C’est pourquoi ce nouveau capitalisme consacre le triomphe de l’hyperlibéralisme. Il est de nature essentiellement financière et bancaire, le plus souvent déconnecté de l’économie réelle. Il est donc avant tout spéculatif. Il est à l’origine de la crise mondiale que nous traversons.

2. Ainsi le nouveau capitalisme a choisi de ressusciter son pouvoir de classe dans sa nudité. Il s’est installé à la faveur de l’effondrement des régimes communistes. Sans concurrence ni contestation, il a pu imposer ses exigences sans en craindre des conséquences politiques et sociales. Il a multiplié les licenciements spéculatifs, les délocalisations, sans redouter les réactions exclusivement défensives de la classe ouvrière. Il a éliminé toute concertation globale, tant avec l’Etat qu’avec les syndicats. Dans le domaine bancaire, il s’est lancé dans une fuite en avant sans précédent, multipliant les spéculations risquées et inventant des produits financiers dérivés sans contrepartie économique réelle. Sans égard pour les situations sociales souvent dramatiques qu’il suscitait, il a fait sauter le vernis de civilisation qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, recouvrait le capitalisme évolué.

3. C’est à la faveur de la mondialisation de l’économie qu’un grand coup de force intellectuel et social a pu être exécuté sans coup férir. Le capitalisme financier a su tirer parti de l’ouverture des marchés émergents, mettre en concurrence les travailleurs à l’échelle internationale pour faire pression sur les salaires. Il s’est imposé comme la seule hyperpuissance à l’échelle planétaire, au détriment des Etats.

4. La déréglementation de la production, des marchés et des services, dont Ronald Reagan, Margaret Thatcher et George W. Bush ont été les agents les plus actifs, n’a pas tardé à produire ses effets néfastes, rendus visibles par la crise financière commencée en 2008. En dépit des vœux de l’opinion publique, des experts et d’une partie de la classe politique, le néocapitalisme continue de s’opposer victorieusement à tout retour de la réglementation. Les G7, G8, G20 en ont été pour leur frais. Jamais la domination du secteur financier sur le secteur industriel, et du secteur économique sur le secteur politique et diplomatique, ne s’était affirmée avec une telle arrogance, malgré le discrédit des acteurs.

5. Dans les grands pays industriels, la financiarisation de l’économie s’est accompagnée d’une désindustrialisation délibérée et de la destruction d’emplois par millions. Désormais, le plein-emploi n’est plus recherché comme un objet de l’activité économique ; le chômage est devenu structurel ; le néocapitalisme s’est reconstitué une armée industrielle de réserve.

6. Le néocapitalisme a retrouvé ses instincts prédateurs longtemps endormis dans la recherche de la paix sociale. Les dirigeants des grandes entreprises partagent désormais la mentalité des actionnaires. Il s’agit pour eux de se vendre le plus cher possible et d’accumuler en quelques années, parfois en quelques mois, des fortunes colossales. La rémunération des dirigeants, longtemps marginale dans le chiffre d’affaire des entreprises, est devenue un poste considérable. L’explosion des bonus, parachutes, primes, indemnités de toutes sortes a décuplé en une vingtaine d’années. Le continuum des rémunérations a fait place à une société de corps séparés et de privilèges, telle qu’elle existait en France à la fin de l’Ancien Régime.

7. Privés de toute perspective d’avenir, de tout projet positif, les syndicats se sont repliés sur une posture purement défensive de préservation de l’emploi et des rémunérations. Les grandes entreprises ont éliminé toute concertation globale et, dans le meilleur des cas, regardent les syndicats comme des auxiliaires utiles dans le maintien de l’ordre social. En perte de vitesse auprès de leurs adhérents, ceux-ci se trouvent marginalisés dans le nouvel ordre économique. Nous vivons un véritable réensauvagement des rapports sociaux.

8. L’Europe, qui, à cause des positions de ses deux nations de tête, l’Allemagne et la France, aurait dû jouer un rôle de contrepoids aux tendances hyperlibérales du capitalisme anglo-saxon, a failli complètement, au chapitre économique comme au chapitre politique. Conduite par des politiciens médiocres et sans vision, elle s’est faite l’instrument docile des tendances les plus dérégulatrices du capitalisme international. Cette véritable forfaiture explique le discrédit qui la frappe dans les classes populaires de tous les pays membres.

9. A l’échelon politique national, la deuxième gauche, qui s’était donné pour mission la modernisation économique et culturelle de la France, grâce à la participation de la société civile à la décision politique, représente une voie désormais dépassée. Elle reposait sur la notion de compromis social, c’est-à-dire la négociation entre les principaux partenaires économiques. Cette voie contractuelle a été délibérément bafouée par le néocapitalisme qui, assuré de la victoire, a préféré l’affrontement. C’est la fin de l’idéal d’une société policée, soucieuse d’affermir le lien social. Quelques-uns des membres les plus éminents de la deuxième gauche se sont fait les auxiliaires du pouvoir sarkozien : c’est dire l’étendue de leur renoncement et de leur faillite.

10. Le risque actuel, c’est un nouveau populisme. Le prolongement de la crise, désormais probable, notamment sous la forme du chômage, crée un trouble politique profond. A la différence de celle de 1929, où la faillite du libéralisme conduisait la droite à envisager des solutions fascistes et la gauche des solutions communistes, le monde politique est aujourd’hui muet. Il en va de même des intellectuels chez qui les droits de l’homme et l’écologie constituent des religions substitutives de salut. L’absence de solution politique favorise le développement de dérives psychologiques : l’envie, la haine de l’autre, le culte du chef, la recherche du bouc émissaire, le culte de l’opinion publique à l’état brut représentent autant de succédanés au vide politique béant de la période.

11. Les droits de l’homme ne sont pas une politique. Ils sont un problème ; non une solution. Ils sont une exigence nouvelle de la conscience internationale ; mais ils tardent à se concrétiser dans un mouvement politique cohérent. D’autant plus que l’alliance traditionnelle entre le libéralisme économique et le libéralisme politique est en train de se déliter. La Chine donne l’exemple inédit d’un grand marché libéral gouverné par une dictature politique intransigeante. La bataille pour les droits de l’homme est de tous les instants ; mais elle a besoin de s’inventer dans une politique internationale nouvelle.

12. L’écologie n’est pas une politique. Pour le système industriel, la défense de l’environnement n’est pas à l’échelle macroéconomique une solution à la crise et au chômage, mais une contrainte supplémentaire. Pas plus que l’informatique hier, elle ne saurait répondre aux problèmes posés par la financiarisation de l’économie et l’absence de régulation à l’échelle internationale. Elle tend à rendre plus coûteuse et plus difficile la relance économique nécessaire pour donner du pain et du travail aux habitants de la planète. L’écologie demeure bien entendu une préoccupation nécessaire ; une ardente obligation économique et sociale, non le prétexte à des opérations politiciennes.

13. La révolution n’est pas une politique. Aussi longtemps que le socialisme centralisé n’aura pas apporté la preuve qu’il pouvait changer le modèle de développement sans attenter aux libertés civiques, il restera inacceptable, et du reste inaccepté par les citoyens. Le piétinement des partis révolutionnaires, incapables de trouver une base de masse dans les milieux populaires, en fait l’expression de la mauvaise conscience, voire de la conscience mystifiée des nouvelles classes moyennes. Ils sont l’une des formes principales, insuffisamment soulignées, de la démobilisation de l’électorat de gauche. Face au néocapitalisme, le gauchisme ancien n’a strictement rien à dire.

14. Pour autant, l’antisarkozysme ne saurait être une solution. Le sarkozysme est un étrange corps mou et caoutchouteux. Elu sur une campagne hyperlibérale, Nicolas Sarkozy s’est retrouvé sur des positions dirigistes deux ans plus tard. Favorable à un rapprochement avec l’Angleterre, il a fini comme ses prédécesseurs par privilégier l’alliance avec l’Allemagne. « Américain » au temps de George W. Bush, il a fini par incarner les velléités de résistance européenne à l’hégémonie américaine. Son évolution actuelle, qui n’est pas sans rappeler le bonapartisme de Napoléon III, en fait une silhouette mouvante et une cible illusoire.

15. L’alliance exclusive avec le centre ne saurait être une solution. Le programme d’un regroupement centriste ne serait guère différent des pratiques politiques de Nicolas Sarkozy depuis le déclenchement de la crise économique : ce serait celui de l’aile éclairée du néocapitalisme, sans influence sur le cours des événements. Sa base sociale se révélerait vite des plus étroites. Sa cohérence ne résisterait pas à l’exercice du pouvoir. Pour autant, l’évolution d’une grande partie de l’électorat centriste doit être prise en compte. Pour des raisons politiques, sociales, mais aussi culturelles, il est en train de se détacher du principe jusqu’ici immuable de l’alliance à droite.

16. Pour les mêmes raisons, la gauche ne saurait être représentée, lors de l’élection présidentielle, par un représentant de l’establishment financier. L’élection d’un tel candidat, incapable d’établir un rapport de forces avec les représentants du milieu dont il serait issu, conduirait aux mêmes impasses et aux mêmes désillusions que l’alliance centriste. Le candidat de la gauche doit être porteur d’une solution alternative.

17. L’avenir est à un grand rassemblement populaire, ouvert à toutes les forces hostiles au néocapitalisme, du centrisme à l’extrême gauche, décidé à installer un nouveau rapport de forces au sein de la société. Au fur et à mesure que la crise développera ses effets, la nécessité d’un tel rassemblement s’imposera davantage. Elle ne pourra se réaliser uniquement à partir de combinaisons d’appareils ; c’est la société qui doit l’imposer à ceux-ci. La nature de ce rassemblement sera évidemment d’essence réformiste et se pensera au sein de l’économie de marché. L’avenir est à une social-démocratie de combat.

18. Le facteur déclenchant pourrait être la constitution d’un bloc syndical, doté d’un programme d’urgence, dont la CGT et la CFDT doivent prendre l’initiative. Les clivages syndicaux actuels sont des héritages de la guerre froide, que seule la tendance des appareils à se reproduire à l’identique continue d’imposer. A défaut d’une unité organique qui est l’objectif à moyen terme, un pacte d’unité d’action s’impose. Il ne devrait pas se limiter à des objectifs purement défensifs, mais ambitionner, comme à la Libération, une réforme en profondeur des structures financières et économiques du pays. Ce nouveau bloc devra envisager la coordination de son action à l’échelle internationale, et d’abord européenne.

19. Le premier objectif du rassemblement populaire doit être la maîtrise du crédit, au moyen de la nationalisation, au moins partielle, du système bancaire, qui est à la source de la crise actuelle. Telles qu’elles fonctionnent actuellement, la plupart des banques ont déserté leur mission essentielle, à savoir la collecte des capitaux au service de l’expansion économique, au profit d’activités purement spéculatives et nuisibles. Le but de la nationalisation est de ramener le système bancaire à sa fonction productive.

20. La destruction de toute forme de planification indicative et de toute politique industrielle, en un mot de toute espèce de régulation, est l’une des causes principales des dérives que nous connaissons aujourd’hui. La nécessité de rétablir une régulation économique respectueuse du marché est aujourd’hui comprise de tous. Seuls manquent pour le moment la volonté politique et les moyens de l’exercer. Il appartient à un rassemblement démocratique de les faire apparaître.

C) Réactions à ces thèses : Luc Ferry, Alain Caillé, Jean-Louis Bianco

Je me permet d’ajouter quelques extraits de textes parus dans Libération après la parution de ces "thèses pour repartir du pied gauche.

C1) Luc Ferry, philosophe, ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche dans gouvernement Raffarin de 2002 à 2004

" Mon ami Jacques Julliard analyse fort bien les effets de la compétition mondiale sur le durcissement du capitalisme. Comme remède, il écarte l’idée révolutionnaire, mais il recommande un rassemblement des forces populaires ainsi qu’une nationalisation du crédit. Je suis tout prêt à le suivre sur les deux points. Après tout, la démocratie exige de tels rassemblements et la monnaie est un bien commun, davantage encore que l’électricité ou le chemin de fer. Il n’y a donc rien d’absurde à souhaiter que les banques deviennent un service public, à ce qu’elles cessent d’entretenir en leur sein un casino qui joue avec ce qui, au final, ne lui appartient pas...

" Nous touchons la seule question qui vaille, celle de la régulation mondiale, à laquelle le socialisme n’apporte plus aucune réponse spécifique, je veux dire : aucune réponse différente de celle qu’apporterait la droite gaulliste, républicaine et, par conséquent, régulatrice, dans laquelle je me reconnais depuis toujours. Le problème, avec le socialisme, c’est que depuis sa conversion au marché, il ne propose plus rien d’original sur les deux seules grandes questions politiques d’aujourd’hui : la maîtrise de la mondialisation d’un côté, celle de la « croissance tenable » de l’autre. J’aimerais ici me faire comprendre clairement.

" Pendant près de deux siècles, disons depuis la Révolution jusqu’aux années De Gaulle, l’Europe a vécu globalement sur l’idée, partagée entre la droite républicaine et la gauche démocratique, que le progrès des Lumières allait nous conduire vers plus de liberté et de bien-être. De Hugo à Pompidou, de Michelet à Jaurès ou Mitterrand, c’est ainsi qu’on pensait. Nous disposions donc encore de ce que notre Président nommerait volontiers une « politique de civilisation ». Avec la mondialisation de la compétition et la naissance de marchés financiers rendus instantanés par l’Internet, l’histoire change radicalement de sens : au lieu de s’inspirer, au moins en principe, d’idéaux transcendants, le progrès ou, pour mieux dire, le mouvement des sociétés, se réduit à n’être plus que le résultat mécanique de la libre concurrence entre leurs différentes composantes. Au sein des entreprises, mais aussi des laboratoires scientifiques et des centres recherches, la nécessité de se comparer sans cesse aux autres - le benchmarking - afin d’augmenter la productivité est devenue un impératif tout simplement vital. L’économie moderne fonctionne comme la sélection naturelle chez Darwin : dans une logique de compétition mondialisée, une entreprise qui ne progresse pas chaque jour est une entreprise vouée à la mort. De là le fait que l’augmentation de la puissance des hommes sur le monde est devenue un processus totalement automatique, aveugle et définalisé qui dépasse de toute part les volontés individuelles conscientes...

" D’où la conclusion qui s’impose à mes yeux : seule la droite peut encore, par ses errements et ses aveuglements, sauver le socialisme. Tous les espoirs lui sont donc permis…

C2) Les remèdes sont trop faibles pour remobiliser la gauche par Alain Caillé, sociologue, directeur de Mauss

Comment ne pas être d’accord avec le diagnostic de Jacques Julliard ? La montée en puissance, dans les années 1980, d’un capitalisme actionnarial a enrayé la dynamique démocratique et l’espoir d’un approfondissement et d’une universalisation progressive du modèle incarné par le capitalisme rhénan, la social-démocratie scandinave ou la planification à la française. La mondialisation a enrichi les classes dominantes, ou leurs dépendants, des pays les moins développés mais, loin de permettre à ces pays d’accéder à la protection sociale et aux services publics dont pouvait s’enorgueillir l’Europe, elle a remis en question tout un ensemble de « conquêtes sociales ».

La construction européenne, qui visait à les généraliser en Europe, s’est retournée en dumping fiscal et social. L’augmentation du nombre des pays membres, au lieu de démultiplier leur puissance, n’a abouti qu’à la fragmenter jusqu’à la rendre politiquement inaudible, invisible et impuissante. Et, avec elle, tous ceux qui croient encore au programme de progrès démocratique traditionnellement porté par la gauche - laquelle s’est discréditée pour ne pas avoir su, pu ou voulu s’opposer à la mainmise du capitalisme financier, quand elle ne s’est pas compromise avec lui.

Quant aux remèdes, la direction générale indiquée par Jacques Julliard semble juste, mais fait preuve de trop de timidité pour espérer remobiliser le peuple de gauche en France ou ailleurs :

- Il ne suffira pas de nationaliser certaines banques si on ne réintroduit pas une distinction ferme entre banques de dépôts et banques d’affaires, si on n’interdit pas les transactions sur les prix virtuels et si on ne lutte pas réellement contre les paradis fiscaux. - En amont, c’est la légitimité des inégalités extrêmes qu’il faut contester. Pourquoi ne pas poser, par exemple, que les revenus des grands patrons ne doivent pas être plus de quarante fois supérieurs à ceux de leurs salariés, comme aux Etats-Unis en 1970 (au lieu de mille fois aujourd’hui) ? Un projet de gauche ne doit-il pas affirmer qu’aucun être humain ne doit tomber en dessous d’un certain niveau de ressources vitales ?

- Sans doute la deuxième gauche a-t-elle failli, mais pas plus que la première ou que l’extrême. On ne saurait compter uniquement sur les syndicats et abandonner son projet de dynamiser et mobiliser la société civile associationniste, laquelle n’étant pas spontanément vertueuse ou efficace. Un Etat fort - celui qui a les faveurs de la « première gauche » - est nécessaire pour l’instituer et l’autonomiser. Première et deuxième gauche doivent s’épauler, se dialectiser et se transcender.

- Le jeu politique ne peut plus se circonscrire aux seules frontières de l’Etat-nation. Rien ne pourra redémarrer à gauche sans redémarrage simultané du projet d’une Europe politique, qui passe au premier chef par une entente franco-allemande.

- Parce que les nations ne peuvent plus se fonder désormais sur un socle culturel, et a fortiori ethnique homogène, et parce que seuls peuvent faire écho les projets susceptibles d’avoir une résonance mondiale, c’est une social-démocratie universalisée et radicalisée qu’il nous faut inventer. Universalisée par un dialogue interculturel, et radicalisée dans sa lutte contre l’illimitation du désir de puissance ou de richesse dont découle la destruction de la nature.

C3) Il faut une vraie démocratie sociale Par JEAN-LOUIS BIANCO secrétaire général de l’Élysée pendant 9 ans, sous la présidence de François Mitterrand, deux fois ministre, actuel président du Conseil général des Alpes-de-Haute-Provence, porte-parole de Ségolène Royal lors des présidentielles 2007

" L’article de Jacques Julliard intitulé « Vingt Thèses pour repartir du pied gauche » est remarquable à plus d’un titre. Il est clair et précis dans l’analyse comme dans les propositions. Je souhaite prolonger ici le débat qu’il a ouvert.

1. Acccord total sur le constat des dix premières thèses.

11. Sur les droits de l’homme. La seule politique efficace serait une politique concertée, au moins au niveau de l’Europe. Nous en sommes loin, comme l’a encore montré l’exemple de la Chine et du Tibet.

12. L’écologie n’est pas une politique. Certes. Mais un nouveau modèle de développement est à la fois une ardente obligation et une opportunité de création d’emplois non délocalisables.

17. L’avenir est à un grand rassemblement populaire, ouvert à toutes les forces hostiles au néocapitalisme, du centrisme à l’extrême gauche. C’est évident et c’est essentiel. Il ne doit pas y avoir de tabou sur les composantes de ce rassemblement. Ségolène Royal l’a compris avant beaucoup d’autres.

Et j’ajouterai trois thèses :

21. La clé de nouveau modèle de développement que nous devons construire n’est pas économique ou sociale. La question centrale est celle de la démoncratie. Le changement commence par chaque comportement individuel, se poursuit par une vraie démocratie sociale - y compris un changement des rapports de pouvoir dans l’entreprise au profit des salariés. Il nous faut aussi plus de démocratie parlementaire et plus de décentralisation. Enfin si on veut réenchanter la politique, il nous faut plus de démocratie participative : débat en amont des décisions, contribution à la décision, évaluation des politiques publiques. C’est « l’empowerment ».

22. Dans ce monde concurrentiel, celui de la compétition de tous les travailleurs avec tous les travailleurs, de tous les territoires avec tous les territoires, il faut inventer et négocier une nouvelle stratégie d’amélioration du pouvoir d’achat, mettre en place une vraie politique industrielle européenne, combattre les délocalisations purement financières et favoriser les relocalisations. Tout ceci est à la fois extrêmement difficile et extrêmement nécessaire.

23. L’Europe est à la fois désespérante et absente. Malgré toutes les difficultés, nous avons besoin de redonner un sens à l’Europe, avec son modèle de société aujourd’hui mis à mal. Nous avons besoin d’une Europe puissance, ni impérialiste ni impériale, capable de nouer de nouvelles alliances pour peser sur l’avenir de la planète.


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