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Avec la nouvelle année s’amoncellent les bonnes résolutions et les espoirs existentiels : avoir la santé et la richesse, mieux la fortuna – comme dit Machiavel –, et bien sûr l’amour. Tomber amoureux ou le rester, rencontrer l’être aimé ou garder assez d’inspiration et de courage pour continuer de l’aimer. L’amour qui vient et l’amour qui dure. La durée de l’amour, tel est un des objets du dernier entretien d’Alain Badiou avec Nicolas Truong (1). « Dans l’amour, la fidélité désigne cette longue victoire : le hasard de la rencontre vaincu jour après jour dans l’invention d’une durée, dans la naissance d’un monde. » L’amour ou la fixation du hasard, la découverte de l’éternité. « Oui, le bonheur amoureux est la preuve que le temps peut accueillir l’éternité. » L’énigme de la pensée de l’amour, « c’est la question de cette durée qui l’accomplit ».
Il faudrait alors simplement se souhaiter, à la nouvelle année, un peu de « deux ». Non pas des choses pour soi mais le « deux » qui vient. La « scène du deux » comme accès au réel et à la grâce. La scène du deux, comme le lieu où se construit une certaine expérience de la vérité. « Une procédure de vérité », toute amoureuse en somme. Car l’amour est cette alchimie qui transforme le hasard en vérité et point d’appui fondamental. Et voilà que le « je t’aime » est le véritable fiat lux.
Véritable commencement des choses si l’amour n’est pas réduit à la vision sécuritaire que l’on peut en avoir. Or la modernité aime à être tranquillisée. L’amour oui, mais au prix du non-risque. L’amour sans la souffrance et ses péripéties. L’amour sans l’autre en somme. L’amour comme le nom plus acceptable de la jouissance du moi.
Certains penseront cet échange bien loin des considérations politiques de Badiou. Et pourtant il existe un lien subtil entre la politique, procédure de vérité portant sur le collectif, et l’amour, procédure de vérité issue du deux. De quoi le collectif est-il capable ? De même que la reproduction de l’espèce n’est pas le but de l’amour, de même le pouvoir n’est pas le but du collectif. La création de l’égalité est ainsi le geste amoureux du collectif. Il y a dans la politique ou dans l’amour un surcroît. À la recherche de ce surcroît, la nouvelle année peut être dédiée.
L’amour serait en ce sens communiste. Mais l’amour crée-t-il plus du singulier, de l’exceptionnel, de l’unique que de l’égal ? Dans l’amour, s’agit-il de don ou de réciprocité ? Par ailleurs, de nouveau Badiou confirme la nécessité de « l’hypothèse communiste », comme ce qui détient « les formes à venir de la politique d’émancipation ». On perçoit tous ce à quoi il aspire. Seulement comment appeler hypothèse ce qui a été si dramatiquement contre validé par l’histoire ?
L’intérêt de l’éthique de Badiou, c’est de donner tort aux moralistes sceptiques. Le pessimisme est finalement un geste théorique court. L’amour n’est pas une ruse, la politique, pas une duperie. Non pas qu’il n’y ait pas d’épreuves ou d’ennemis. Sans cesse, il faudra vaincre à l’intérieur de moi-même, ou à l’extérieur, ce qui préfère l’identité à la différence. Car l’amour et le politique sont cette confiance faite à la différence et au hasard. Pas de place ni pour le soupçon ni pour la nostalgie. De même qu’il faudra sans cesse re-déclarer l’amour, il faudra sans cesse refaire le pacte. Allez, « dis-moi encore que tu m’aimes », comme un serment du Jeu de paume.
(1) Éloge de l’amour, Flammarion, 2009.
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