« Le bidonville, expression du rejet »

samedi 9 janvier 2010.
 

Christophe Robert, de la Fondation Abbé-Pierre, dénonce l’hypocrisie des pouvoirs publics.

- Quelle est l’ampleur des bidonvilles en France aujourd’hui ?

CHRISTOPHE ROBERT. Il est difficile d’avoir des chiffres précis. Plusieurs milliers de personnes vivent aujourd’hui dans des bidonvilles, dans des conditions de vie insupportables et inimaginables qui rappellent les siècles passés. Plus précisément, nous savons que, ces deux derniers mois, en Île-de-France, 2 200 habitants des bidonvilles ont été jetés à la rue, en plein hiver, sans aucune proposition de relogement. Des bidonvilles se développent aussi en province, comme à Lyon et Marseille.

- N’y a-t-il que des Roms qui vivent dans ces bidonvilles ?

CHRISTOPHE ROBERT. Ce sont principalement des Roms, mais pas seulement. Il ne faut pas en faire un problème ethnique. Des Roumains et des Bulgares se greffent aussi à ces bidonvilles. Avant tout, ce sont des migrants fortement rejetés des pays d’où ils viennent qui subissent le même rejet ici en France. Le bidonville n’est que l’expression de ce rejet. Il leur est impossible de trouver des solutions dignes pour se loger, même temporairement. On a affaire à des populations complètement démunies à qui aucune solution n’est proposée.

- Comment en arrive-t-on à ces constructions sommaires ?

CHRISTOPHE ROBERT. Ces personnes arrivent de pays où ils sont dans une grande misère économique. Ils se rendent compte qu’ici, en faisant la manche, ici ou là, ou en trouvant des petits boulots, leur situation est déjà meilleure. Ensuite, ils cherchent un abri. Mais la situation du logement est extrêmement tendue en France, l’hébergement est saturé. Ces grandes familles ont encore plus de difficultés à trouver des formules d’hébergement. Donc, ils construisent eux-mêmes, dès qu’ils trouvent une petite zone de tolérance.

- Une fois installés, ils sont expulsés très régulièrement de leur terrain…

CHRISTOPHE ROBERT. Sans arrêt ! Ça empêche les associations de travailler avec ces familles. Par exemple sur l’insertion, qui est très difficile à cause du statut dérogatoire. Venus de Roumanie ou de Bulgarie, ils sont citoyens européens mais avec statut dérogatoire : ils ne peuvent exercer un emploi qu’à condition d’avoir l’autorisation et dans certains métiers listés. Les expulsions locatives empêchent aussi les associations d’exercer un suivi sur la santé. Les maladies se répandent sur les terrains, avec la promiscuité, l’absence de points d’eau, les mauvaises conditions d’hygiène, etc. Tout ce travail fait avec les associations en termes d’insertion et de santé, mais aussi la scolarisation des enfants, est mis à mal dès qu’il y a une expulsion. Ces personnes vivent dans des conditions complètement indignes d’un pays comme le nôtre et ce phénomène d’expulsion rend extrêmement difficile la continuité du travail des associations. Nous venons de terminer une étude sur la scolarisation des enfants roms. La première cause de non-scolarisation, c’est l’absence de régularité dans l’occupation des sols, le fait qu’ils soient renvoyés de terrains en terrains… Ça nous inquiète beaucoup, à terme, sur le parcours de ces enfants.

- Pourquoi un tel acharnement des pouvoirs publics ?

CHRISTOPHE ROBERT. D’un département à l’autre, on se renvoie la patate chaude. Certaines communes, et on peut le comprendre, disent qu’elles ne peuvent pas, à elles seules, régler le problème posé par un bidonville de 300 personnes. Elles renvoient vers la responsabilité de l’État d’accueillir les migrants. Le préfet renvoie vers une autre commune ou un autre préfet… C’est pour cela que nous demandons au préfet de région une coordination régionale pour réfléchir, entre l’État, les collectivités locales, départementales et régionales, à une solution globale à l’échelle de la région. De façon à ce que ça ne soit pas toujours les mêmes communes qui soient en responsabilité face à l’arrivée de personnes en grande précarité. Il y a une forme d’hypocrisie à ne pas se coller au problème. À cela s’ajoute la dimension « rom », avec une forme de rejet.

Entretien réalisé par Marie BARBIER


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