Chili : petits commentaires d’entre deux tours...

jeudi 31 décembre 2009.
 

J’espère que les fêtes ont été agréables pour tous ceux qui me lisent. Me revoilà. Pour ceux à qui ma prose a manqué cette dernière semaine, ils pouvaient lire (ou re-lire) mes analyses sur l’avant présidentielle chilienne sur le site du journal Bakchich (un hebdo qui existe aussi en kiosque). J’y ai publié un article (cliquer ici). Sinon, pendant quelques jours, sans internet, j’ai visité, loin de la capitale, un peu plus le Chili, cet étonnant pays coincé « entre mer et cordillière ». Je le découvre dans sa complexité, années après années voyage après voyage, par petites touches.

Là, c’est vers le sud que je suis allé, à plus de 1000 km de Santiago, dans la région des lacs et sur l’île Chiloé. Pour moi, le nom cette dernière a longtemps fait écho au nom de Francisco Coloane, le grand écrivain chilote (disparu en 2002 à près de 100 ans !) qui, par ces romans dans lequel de rudes marins perdaient aussi rapidement la vie que la raison (je recommande Cap Horn et Le passant du bout du monde), m’a fait connaître le Chili et l’île chiloé bien avant que je m’y rende. Ceux qui visiteront cette île pourront y découvrir des Eglises totalement en bois, datant du 17e siècle, signe de la présence jésuite, et dont maintenant 16 d’entre elles ont été classées patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco.

C’est donc logiquement à Quemchi, ville natale de Coloane (enfin pas tout à fait, en vérité les gens de Quemchi nous on dit qu’il était né à Huite à quelques kilomètres), que je me suis rendu pour découvrir finalement un petit village de planches où l’ennui semble faire miroir à la beauté des lieux. Une place, avec un buste du grand écrivain, une rue et un collège à son nom, témoignent de l’ombre planante du grand homme sur les maisons alignées au bord de l’océan. Et puis, rien de plus. A quoi m’attendais-je en réalité ? Je ne sais. Au grand Coloane, silhouette longiligne et courbée par le temps, se promenant avec un pull à col roulé le long de la côte ? Avec le recul, c’est vrai que je suis un peu grotesque. Peut-être, concernant la littérature, faut-il parfois en rester aux mystères du premier plaisir, mêmes s’ils reposent sur de l’ignorance. Mieux vaut aussi de temps en temps ne pas trop chercher à remonter aux origines de certaines émotions. On risque la déception.

Classique. La découverte de la banalité du quotidien de grands artistes (et de tout « grand homme » d’ailleurs) peut surprendre. Mais, en même temps, elle nous les reproche, car en les banalisant, on les humanise. Comprendre cela, c’est peut être tout simplement ce qui s’appelle prendre de l’âge, grandir comme je disais enfant, ou me concernant vieillir devrais je dire à présent.

Mais j’ai tort de laisser paraître ce voyage de quelques jours comme une déception. Loin s’en faut. C’est même tout l’inverse. Pudehue, Peulla, Puerto Montt, Ancud, Castro… ma connaissance du pays s’est donc élargie ces derniers jours.

Cette découverte du « Chili profond » m’a fait une fois de plus mesurer la différence des moyens financiers investis dans cette élection présidentielle. Partout, les affiches de Sébastian Pinera, le candidat milliardaire de la droite, couvrent le moindre village avec une arrogance insupportable, s’accroche au moindre arbre fut-il perdu au fond d’une vallée. Combien de millions de pesos a-t-il investi dans cette campagne ? Pour l’heure, impossible de le savoir. Mais, cela a eu une influence sur les résultats, c’est évident.

Par exemple, pour faire passer un court message radiophonique, le média le plus écouté par les travailleurs chiliens dans la journée, il faut payer, mais Jorge Arrate n’avait pas assez d’argent pour cela, donc pas de radio pour lui ! A l’inverse, régulièrement, Pinera et Frei s’y faisaient entendre. Arrate a même été boycotté sur la couverture de la célèbre et populaire BD racontant les aventures du petit condor Condorito… ! Quel malheur. A moins que Condorito soit Arrate lui-même comme l’ont proposé mes filles. Qui sait ?

Plus serieusement, je serai attentif, après cette campagne, pour trouver un bilan sur les budgets des différents candidats. Ils seront éloquents, j’en suis convaincu. On y verra là, de manière crue, ce que signifie « l’égalité d’expression » et le « débat démocratique » pour les capitalistes quand ils font de la politique (comme dans les affaires d’ailleurs). Pour défendre leurs idées, et étouffer celles des autres, l’argent est le moyen le plus civilisé et le plus efficace aujourd’hui. Mais, s’il le faut, ils savent aussi utiliser d’autres moyens. On se souvient qu’en 1973, pour sauver leurs intérêts, les mêmes avaient dû faire appel aux militaires…

Autre temps, autre mœurs, mais derrière les sourires Pepsodent de M. Pinera, la férocité de ces gens restent la même et leur opinion concernant le peuple chilien n’a guère évolué. Leur grande idée pour le salarié chilien, c’est « ferme ta gueule, bosse. Et enrichis moi, encore plus, toujours plus ». S’ils gagnent le 17 janvier prochain, ces « momios » (c’est ainsi que l’on appelle les soutiens du coup d’état) pourront aboyer encore plus fort. Bouffis d’orgueil et d’arrogance.

Mais, la campagne n’est pas encore finie et je vais maintenant en dire deux mots. Eduardo Frei, le candidat de la Concertacion, également aider par de nombreux secteurs du patronnat (pas de naïveté), se montre aussi ici ou là dans les campagnes. Puis, de temps en temps, quelques affiches éparpillées de MEO et d’Arrate. Mais, soyons clair, avec le candidat de la droite, le rapport est de un à cent, voire pire.

Donc, depuis mon dernier billet, la vie politique a bien entendu continué à plein régime. Normal, c’est l’entre deux tours. Le temps presse. L’équipe de Frei veut mettre en place un « large arc de forces démocratiques et progressistes contre la droite ». Ici, chaque mot compte, on ne parle plus de la gauche mais des « démocrates » et « progressistes ». Dans notre hexagone on connait ce genre de « glissement » sémantique. Quand je vous dis que le Chili n’est pas si loin que cela de la France. Mais bon, pas d’aigreur. Ici, cela fait vingt ans que cela dure ainsi.

Concrètement les dernières nouvelles sont que le Parti communiste, et le candidat de Juntos Podemos, Jorge Arrate, ont décidé d’appeler clairement à voter Eduardo Frei pour battre Sébastian Pinera. Au nom de la Concertacion, Eduardo « Lalo » Frei a pris 12 engagements permettant ce soutien.

Je rappelle qu’avec conviction, Jorge Arrate avait indiqué au soir du premier tour que c’est sur la question institutionnelle (c’est-à-dire la fin de la Constitution de Pinochet encore en cours) qu’il attendait des engagements clairs et notamment la convocation d’une Assemblée constituante pour sa rédaction et son adoption. Le point un des engagements de Frei indique « Pour une nouvelle Constitution politique de l’Etat (…) Nous constatons que les forces du Centre et de gauche ont affirmé la nécessité d’une nouvelle Constitution pour le Chili. Certains proposent que cela se fasse par le biais de la convocation d’une Assemblée constituante, d’autres par un mécanisme de ratification par la souveraineté populaire et d’autres par le biais d’un processus de dialogue social. » Chacun appréciera le flou sur la méthode. Suit après les points sur lesquels la nouvelle Constitution devrait changer : garantir la proportionnalité, la fin du système binominal, garantir le droit de vote pour les chiliens de l’extérieur, possibilité pour les dirigeants syndicaux d’être candidat au Parlement… Pourquoi ceux qui ont exercé le pouvoir pendant 20 ans ne l’ont pas fait ? Pas de réponse. Mais ces engagements constituent une avancée, ne soyons pas sectaires. Les 11 autres points se prononcent notamment : pour le maintien de Codelco (l’entreprise nationale du cuivre) comme entreprise 100 % entre les mains de l’Etat ; pour une éducation publique de qualité, pour une attention au système de santé publique, pour une amélioration des droits des travailleurs, pour la récupération du caractère national de l’eau, pour une démocratisation des moyens de communication, pour le respect des droits des femmes, etc…

Je comprends donc la position de Jorge Arrate. Sa candidature a joué un rôle très important. Le score obtenu est le plus important pour la gauche chilienne indépendante depuis 20 ans. Mais on ne peut faire abstraction du deuxième tour. Battre la droite est effectivement un objectif impératif, et moi, si j’étais un électeur chilien, non sans dépit, je voterai Frei le 17 janvier 2010. Un peu à l’image du second tour en France entre Chirac et Le Pen. Car, quels que soient les engagements pris par Frei, il ne faut pas se méprendre. Ils n’ont été arrachés que sous la pression du résultat catastrophique obtenu au premier tour. Par exemple, les mêmes qui proposent de défendre le caractère national de l’eau, l’ont privatisé au début des années 90 ! Comprend qui peut donc. Pour dire les choses brutalement, sans mobilisation et pression populaire constante, surtout aucune illusion sur la capacité de la Concertacion à mettre en place une politique divergente avec celle qu’elle a mené depuis 1989. En ce sens, la déclaration de nos amis de PAIZ (cliquer ici) me semble la plus lucide et la plus utile pour la suite.

Je m’écarte un instant de cette description de l’actualité politique chilienne (afin de mieux y revenir) pour vous dire que j’ai découvert en « surfant » par hasard sur le net, le compte rendu d’une réunion du Parti de Gauche que j’avais animé à Toulouse le 10 décembre dernier. L’auteur, Jean-Paul Damaggio, responsable des Editions La Brochure, a rédigé un petit texte que j’ai trouvé fort intéressant. Je ne connais pas personnellement son auteur et je le regrette vivement. Je ne l’ai rencontré que quelques minutes lors de cette réunion publique durant laquelle il est intervenu pour dire des choses forts pertinentes sur les processus en cours en Amérique Latine. Sur nombres de sujets il était bien plus affuté que moi. Je vous invite donc à lire ce compte rendu (en cliquant ici). Je ne partage pas dans le détail la totalité des analyses de l’auteur mais elles sont indiscutablement celle d’un esprit cultivé qui devrait nous aider à la construction du PG. Cette digression me permet de préciser une ou deux bricoles concernant le regard que je porte sur Marco Enriquez-Ominami (MEO) qui fut candidat à l’élection présidentielle chilienne. Avant cela, encore un clin d’œil à l’attention de Damaggio, le grand et génial écrivain Luis Sépulveda (aujourd’hui vivant en Espagne) a apporté son soutien à Jorge Arrate et non à MEO. Ou du moins, peut être au deux, mais je ne le crois pas. Victor Hugo de la Fuente (Directeur du Monde Diplomatique éditions Chili) me l’a confirmé. C’est par lui que Luis a fait parvenir un texte de soutien à Jorge.

Bon, à propos de Marco Enriquez-Ominami, je ne voudrais pas apparaître ici systématiquement anti-MEO même si quelquefois sur ce blog j’ai fait connaître les désaccords (et les déceptions, ne le cachons pas) que j’avais avec les axes stratégiques de sa candidature. Nous voilà à présent après le premier tour. Avec plus de 20 %, il réalise un score remarquable. Et le caractère incroyablement anti démocratique de la Constitution se referme sur lui : il n’aura aucun député à l’Assemblée nationale. Tous les candidats « MEistes » ont été battus. Désormais, le groupe le plus important des 120 députés est celui de la UDI (la droite dure liée à l’Opus Déi) et il reste encore une grande incertitude pour savoir qui la présidera. Les quelques indépendants (penchant généralement vers la droite) sont l’objet de toutes les convoitises et peuvent peut être récupérer la présidence. Le Sénat lui, reste sous la présidence la Concertacion.

Pour revenir à MEO, à l’avenir donc, il peut jouer un rôle déterminant dans l’histoire du Chili. Cela dépend de lui. Pour l’heure, son équipe de campagne se partage entre Pinera, Frei et refus de faire un choix (c’est le cas de MEO lui-même). A mon sens, il devrait maintenant faire entendre une position rompant avec le « ni chicha, ni limona » (mi chèvre, mi choux) qu’il a exprimé le soir du premier tour. Est-il bien responsable de laisser la droite (qui, du Chili, organisera la contre attaque anti-vénézuelienne et anti-cubaine)reprendre le contrôle du pays ?D’un point de vue plus continental, et en relation avec les processus actuellement en cours dans les autres pays d’Amérique latine à gauche, on ne peut raisonnablement laisser faire cela. Pas simple de faire survivre un mouvement politique après de telles contradictions.

En cas de victoire de Pinera, ce qu’il faut éviter par tous les moyens, si MEO se présente comme un opposant résolu, avec un discours de gauche clair, à la politique de la droite, alors tout lui est possible. Moi, après l’avoir rencontré au mois d’août et avoir pu discuter avec lui, j’ai surtout exprimé le danger de ce type de candidature très médiatique, au dessus du « clivage droite/gauche », qui peut enflammer une campagne puis s’éteindre sans lendemain. De plus, je conteste, pour répondre au titre de l’article du Monde (évoqué ici lors d’un billet précédent) qui le présente comme « le candidat rebelle de la gauche chilienne », ce qualificatif de rebelle. Le re-bellum, est celui qui recommence la guerre, et précisément MEO n’a pas mené une campagne de filiation avec des combats passés de la gauche (comme ceux menées par Salvador Allende par exemple). Il a plutôt été un candidat de rupture avec cette gauche traditionnelle que de recommencement.

Mais, MEO dispose aussi de beaucoup d’aspects attachants j’en conviens. Une énergie, un tempérament, une insolence, qui agacent, mais qui peuvent être déterminants pour forcer les évènements suivants. Et puis, quelques soient ses foucades, il symbolise quelque chose qui n’est pas neutre. Le soir du vote, il a salué la mémoire de son père biologique (le dirigeant du MIR, Miguel Enriquez, héros de la résistance, abattu en 1974 rue Santa Fé à Santiago) et beaucoup de camarades de Miguel se sont retrouvés dans cette campagne (Je pense à Pascal Allende,à l’homme d’affaire Max Marambio dirigeant des GAP qui assuraient la protection personnelle d’Allende, agent des forces armées cubaines, et dont je découvre actuellement la vie à la lecture de sa biographie Larmas de ayer, et quelques autres..).

Beaucoup de choses restent donc ouvertes. Mais, tel que l’on dit nos amis de PAIZ, quelque soit le vainqueur le 17 janvier, il faudra se préparer à être une « opposition de gauche » au gouvernement élu.


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