L’éducation dans la Russie soviétique après la révolution de 1917

vendredi 9 mars 2018.
 

Une autre éducation a été possible dans un pays qui expérimentait une société différente du capitalisme. Il s’agit de la Russie révolutionnaire. Bien sûr, ce n’est pas un modèle de ce qu’il faudrait faire aujourd’hui, on n’est plus au début du XXe siècle. Mais cela donne néanmoins une idée de ce qu’il est possible de faire lorsqu’il y a la volonté politique et la conscience que l’éducation des hommes, c’est l’avenir de la société.

En Russie, les ouvriers, les soldats et les paysans prirent le pouvoir en 1917 et renversèrent le vieil ordre social tsariste. Ils provoquèrent une immense avancée dans le domaine de l’éducation, après des siècles d’obscurantisme et d’analphabétisme.

À la veille de la révolution de 1917, 80 % de la population était toujours illettrée. La plupart des écoles existantes étaient tenues par des popes de l’Église orthodoxe. En mettant fin au régime qui maintenait le peuple dans une misère noire, la révolution bolchévique mit fin également à l’analphabétisme, à un état d’ignorance et de superstitions inimaginables. Lutter contre l’analphabétisme, une priorité Dès 1918, un commissariat à l’Instruction publique fut mis en place, et un décret promulguait l’alphabétisation de toute la population entre huit et cinquante ans. Malgré les bouleversements de la Révolution, puis les difficultés de la guerre civile, et en l’absence de moyens importants, l’enthousiasme révolutionnaire souleva des montagnes, le combat contre l’illettrisme fut mené dans tous les coins de la nouvelle URSS, du Turkestan jusqu’en Sibérie.

Un roman d’Aïtmatov raconte l’arrivée du « premier maître » dans un village de Kirghizie. Sachant lui-même tout juste lire et écrire, il dut faire face à la méfiance des paysans, qui hésitaient à lui confier leurs enfants. Établir l’école, convaincre enfants et parents, ce ne fut pas une mince affaire, mais il s’y attela avec fougue et ferveur. Et ce fut grâce à des milliers et des milliers de ces premiers maîtres qu’en quelques années l’analphabétisme recula radicalement, même parmi les peuples dont la langue ne connaissait pas l’écriture.

Des dizaines de milliers de centres de lutte contre l’analphabétisme furent créés, autant de bibliothèques. Pour alimenter la soif de savoir, surgirent des écoles nouvelles, des cours d’adultes, des facultés ouvrières. En 1920, il y avait un demi-million d’enseignants à travers tout le pays. Mais chacun était concerné, un décret exigeait de tout homme cultivé « qu’il considère comme son devoir d’instruire plusieurs illettrés ».

John Reed, un militant communiste américain qui vécut les débuts de la Révolution, écrivait : « Toute la Russie apprenait à lire, et lisait de la politique, de l’économie et de l’histoire, car le peuple voulait savoir et connaître (…) L’aspiration à l’éducation pendant si longtemps contenue éclata avec la Révolution. »

À propos du rôle du commissariat à l’Instruction publique, Lénine disait : « D’en bas, c’est-à-dire de la masse des travailleurs que le capitalisme écartait de l’instruction, à la fois ouvertement par la violence, et par l’hypocrisie et la duperie, monte un puissant élan vers le savoir et les connaissances. Nous sommes fiers à juste titre de le seconder et d’être à son service. » Et il recommandait : « Pourquoi n’apprendrions-nous pas à donner au peuple en un an, malgré notre indigence actuelle, à raison de deux exemplaires pour les 50 000 bibliothèques et salles de lecture, tous les manuels nécessaires et tous les classiques de la littérature, de la science et de la technique modernes ? »

Une école au service d’une nouvelle société

Il s’agissait de créer une nouvelle école, « l’école unique du travail » que Boukharine et Préobrajenski décrivaient ainsi dans l’ABC du communisme en 1923 : « Cela signifie d’abord que la séparation des sexes doit être supprimée. Il faut écarter ensuite cette division des écoles en écoles supérieures, secondaires et primaires, dont les programmes ne sont point adaptés les uns aux autres. Il faut cesser également la distinction entre l’enseignement général et l’enseignement professionnel, la division en écoles accessibles à tous et en écoles réservées aux classes privilégiées. L’école unique doit constituer une échelle unique que tout élève de la République socialiste peut et doit gravir en commençant par l’échelon le plus bas : le jardin d’enfants, et en terminant par le plus haut : l’Université. L’enseignement général et la culture polytechnique seront obligatoires pour tous. »

Il fallut aussi trouver des solutions au problème immédiat des orphelins.

De nombreux enfants et jeunes avaient perdu leurs parents dans la guerre mondiale, la révolution ou la guerre civile, et ils se retrouvaient livrés à eux-mêmes, voire tombaient dans la délinquance. Makarenko s’occupa dans les années 1920 d’une colonie de jeunes délinquants. Il chercha à les transformer en leur faisant mener une vie basée sur le travail et l’intérêt collectif, une vie d’où la loi de la jungle qu’ils avaient connue jusque-là était bannie et qui valorisait au contraire la vie collective et la responsabilité. Pendant dix ans, il y eut une effervescence et un génie inventif dans le domaine de l’éducation et de l’enfance qui impressionnèrent jusqu’en Amérique le pédagogue et philosophe John Dewey, celui-là même que Trotsky choisit des années plus tard pour présider la commission chargée de démonter l’argumentaire des procès staliniens. Dewey vint en Russie en 1928 et en revint enthousiasmé par les écoliers comme par les maîtres.

Changer les comportements sociaux

Mais instruire, ce n’était pas que cela, il fallait aussi modifier les comportements sociaux. Les bolcheviks avaient pris le pouvoir dans un pays barbare : la crasse des idées, la brutalité des comportements, l’esprit bureaucratique et la corruption imprégnaient toute la société tsariste, du haut jusqu’en bas. Il fallait donc aussi que l’éducation soit un moyen de socialiser, de transformer les comportements.

Dans une petite brochure qui devint vite très populaire et qui s’appelait Les questions du mode de vie, Trotsky abordait différents aspects de la vie quotidienne. Des petites choses en regard des grandes qu’accomplissait la révolution ? Non, parce qu’il considérait que l’héritage du passé, ce n’était pas seulement l’arriération économique, mais aussi l’arriération des moeurs qui empoisonnait toute la vie sociale, depuis la famille jusqu’au sommet de l’État.

Pour changer cet état de choses, il appelait à combattre avec énergie l’alcoolisme, les préjugés religieux et les superstitions de toutes sortes, comme la grossièreté du langage qui reflétait celle des rapports humains. Il fallait aussi rendre la culture accessible à tous. Les oeuvres d’art, les musées considérés comme la propriété du peuple entier furent protégés. Les salles de concerts, de ballets ou d’opéras furent ouvertes à tous et elles se remplirent de soldats en vareuses, d’ouvriers en habits de travail, d’enfants de tous les âges. Loin de détruire la culture, il fallait au contraire s’approprier ce que les classes riches avaient produit de mieux, et le mettre au service de tous. Il fallait assimiler les richesses accumulées par la connaissance humaine.

S’adressant aux jeunes communistes en 1920, Lénine expliquait : « Notre école doit donner à la jeunesse les bases de la connaissance, lui apprendre à élaborer elle-même les conceptions communistes, elle doit en faire des hommes cultivés. »

Le résultat

Malgré toutes les difficultés dues à la misère et à la pénurie, il y eut des tentatives nouvelles dans toutes les directions et de nombreuses expérimentations, tout cela avec les moyens du bord. La bureaucratisation stalinienne allait y mettre fin.

Mais en un demi-siècle, la Russie passa d’une arriération quasi moyenâgeuse à la modernité, donnant une éducation générale et technique à des millions de Soviétiques, ainsi qu’à des générations d’étudiants de pays pauvres formés en URSS.

Et malgré le stalinisme qui a tout figé, le système d’éducation soviétique a sauvegardé une certaine universalité, une volonté de démocratiser l’enseignement et la culture, en les rendant accessibles au plus grand nombre plutôt que de privilégier une minorité. C’est en fournissant l’éducation la plus vaste à de larges masses que l’URSS occupa une place de premier plan dans la conquête de l’espace, dans la science.

« Le seul fait que la Révolution d’Octobre ait enseigné au peuple russe, aux dizaines de peuples de la Russie tsariste, à lire et à écrire, se place incomparablement plus haut que toute la culture russe en serre d’autrefois », écrivait Trotsky en 1932. Oui, quand on mesure l’ampleur de ce que le régime issu de la révolution a fait en matière d’éducation, sans même parler de ce qu’il a tenté de faire, on peut être fier d’être communiste !


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