Suède. Le coup de massue libéral

jeudi 31 décembre 2009.
 

La droite a impulsé un tournant libéral dans les années 1990. Revenue au pouvoir 
il y a trois ans, 
elle enfonce le clou 
concernant les écoles 
et la protection sociale. Les conséquences 
sont dramatiques 
pour les plus démunis.

Qu’est-ce qui coûte le plus cher dans une école  ? Les bâtiments. L’entreprise Helianthus, qui a son siège à Varby, dans la
 banlieue sud de Stockholm, a inventé un nouveau concept  : l’école mobile. Une semaine sur deux, dans les maternelles que gère l’entreprise, en Suède et en Norvège, les classes montent dans un bus-école avec tables pour dessiner, matelas pour dormir, tableau pour enseigner, et toilettes. Un outil idéal pour partir en excursion au musée, en forêt, et faire des activités de plein air, défend l’entreprise. Et pour économiser de l’argent. « Dans l’école d’à côté, les locaux sont prévus pour 80 élèves, nous explique l’ancienne enseignante et inventrice du concept, Solveig Sunnebo. Grâce au bus, nous pouvons accueillir 22 élèves supplémentaires. »

En Suède, pays modèle de l’État providence, le Parti social-démocrate a géré le pays quasiment sans interruption depuis 1926. Le premier gouvernement de droite, entre 1991 et 1993, a impulsé un tournant libéral. Pour preuve, l’éducation. Celle-ci est devenue un marché comme un autre, par décision du gouvernement social-démocrate, à la fin des années 1990. Les communes sont tenues de financer les établissements privés en fonction de leur nombre d’élèves. Depuis 2006, Uppsala, ville située au nord de Stockholm, est passée à droite. De la même manière que quinze autres communes du royaume, la municipalité a instauré le principe du « droit de défier ». Si la municipalité gère un service public, une entreprise a la possibilité de se porter candidate à sa gestion. L’administration communale doit alors lancer un appel d’offres pour évaluer la demande. Au terme de l’évaluation sur le prix et la qualité, le service peut rester public, ou être délégué à une entreprise privée pour quelques années. C’est à Uppsala qu’Helianthus a demandé à remporter le marché d’une dizaine d’écoles maternelles. Un contrat qui rapporterait la coquette somme de 50 millions de couronnes (5 millions d’euros). « C’est la première fois que le “droit de défier” porte sur un marché aussi important », a appris un employé d’Helianthus qui décrit son entreprise comme l’un des « trois dragons » du marché des écoles maternelles.

Sten Widmalm n’entend pas se laisser faire. Deux de ses filles sont passées par la Höganas förskola (école maternelle publique). L’une d’elles y est encore. Il s’insurge contre cette procédure  : « Il est difficile de juger par avance de la qualité du service. » Aujourd’hui, les parents ont le choix entre public et privé. « Ce droit sera restreint demain, si Helianthus remporte le marché », estime-t-il. Cecilia von Otter est également parente d’élèves. « Ce qui m’ennuie, c’est qu’on ne considère pas comme un choix le fait que j’aie placé mes enfants dans un établissement public. » De plus, si privatisation il y a, « on ne sait pas si le personnel restera ou non ». Les deux parents apprécient l’équipe pédagogique. Et pour Sten Widmalm, il y a un risque concernant la qualité. Il cite un rapport de l’agence pour l’éducation, Skolverket  : « Dans les écoles maternelles privées, 11 % des employés à temps plein manquent de formation pour travailler avec des enfants, alors qu’ils ne sont que 4 % dans le public. » Selon ce même rapport, « 55 % des employés à temps plein des écoles maternelles publiques ont une formation pédagogique avancée ». Une part qui tombe à 43 % dans les écoles privées. Du côté d’Helianthus, on rassure  : il serait « stupide » que la municipalité n’oblige pas à la reprise du personnel enseignant  ; et on assure que les parents sont « demandeurs » d’activités en extérieur. Concernant la protection sociale, à partir du 1er janvier, 55 000 malades de longue durée basculeront de l’assurance santé vers l’assurance chômage. Cette mesure fait partie de la politique « d’activation » du nouveau gouvernement de droite, qui a remporté les élections de 2006. À savoir  : pousser chômeurs et malades sur le marché du travail. Après six mois d’arrêt pour longue maladie, quelqu’un devra chercher un autre emploi que celui qu’il occupait, en s’inscrivant à l’assurance chômage, tout en étant malade. Après six mois, il devra être disponible pour tout autre emploi sur le marché du travail suédois, y compris à qualification et rémunération inférieures. « Un malade perd ainsi le contact avec son employeur, nous traduit le journaliste indépendant Lennart Kjörling. Or, il est plus facile au sortir d’une maladie de retourner au travail dans un endroit que l’on connaît. »

La seule alternative pour rester en congé est d’avoir une allocation à vie, accordée uniquement en cas de maladie incurable. « En psychiatrie, il est difficile de soigner un malade en lui disant qu’il ne sera jamais guéri  ! » s’insurge Jenni Fjell. Avec quelques collègues, Jenni Fjell a lancé, en 2007, le réseau Resurs, pour informer sur les réformes des congés maladie. « L’assurance maladie ne fait plus confiance au diagnostic des médecins », estime-t-elle.

Le réseau a été rejoint cette année par des patients inquiets. Ils sont 800. Ulla Nihtinen est en arrêt maladie. Ella travaille depuis l’âge de dix-sept ans et a longtemps fait du sport. En 2000, elle subit une opération et est victime d’une erreur médicale. Depuis, elle souffre de carences en vitamines, sans que ce ne soit décelé. À l’automne 2003, sa tension monte, elle sombre dans la dépression, souffre de fatigue. Elle retourne au travail quelques mois, au printemps suivant, puis l’an dernier. Des expériences qui l’ont rendue encore plus malade. Ses médecins diagnostiquent des pertes de mémoire dues à des problèmes neurologiques. À cinquante-deux ans, elle n’est pas assurée d’avoir une pension de longue durée. Incapable de travailler, elle ne pourrait prétendre à l’assurance chômage. Son amie, Ann-Christin Johansson, a deux emplois en tant qu’orthophoniste. Depuis 2006, elle souffre de fibromyalgie. Une maladie qui lui cause de fortes douleurs musculaires et l’épuise. Elle ne peut travailler que 25 à 50 % du temps. Et pourtant, en février, son arrêt maladie s’arrêtera, et elle sera basculée vers l’assurance chômage et forcée de travailler à 100 %. « J’ai déjà deux emplois. Je n’ai pas besoin d’en chercher un autre. Cette situation me stresse, nous explique-t-elle. J’ai besoin de calme, leur politique est parfaite pour me rendre malade  ! » Inapte au travail à temps plein, cette femme, qui a quarante-deux ans et une fille à charge, pourrait se retrouver sans assurance chômage, et devrait réclamer l’aide sociale (une sorte de RMI), de moins de 500 euros quand on a un enfant. « Je ne sais pas comment je vais faire, s’inquiète-t-elle. Je ne vais quand même pas retourner vivre chez mon père de soixante-dix ans  ! J’ai une licence universitaire, c’est une honte que de pointer à l’aide sociale simplement parce que je suis malade  ! »

Mettre tout le monde au travail, coûte que coûte, est une constante gouvernementale, de droite comme de gauche. Cela permet au pays d’afficher un taux d’emploi parmi les plus élevés de l’Union européenne  : plus de 74 % l’an dernier. Mais c’est au prix de drames humains. La droite a restreint, en 2007, les conditions d’accès à l’assurance chômage. Derrière ces mesures, il y a l’éternel cliché que « quand on est indemnisé, on ne cherche pas de travail, analyse Lisa Rasmussen, du Parti de gauche (Vansterpartiet, parti postcommuniste). C’est faux  ! En 1999, on était indemnisé à 100 % et il n’y avait que 1 % de chômeurs ». En Suède, les syndicats gèrent l’assurance chômage. « L’idée est que les salariés rémunèrent à un bon niveau les chômeurs afin que ceux-ci ne fassent pas baisser les salaires. » C’est pourquoi le gouvernement de Fredrik Reinfeldt a fait passer de 80 % à 65 % l’indemnisation après trois cents jours sans emploi. En outre, le gouvernement a fait augmenter la cotisation que le salarié doit verser à l’assurance chômage. Une cotisation différente selon le risque de se trouver au chômage. Un professeur d’université paie moins qu’un employé de la restauration. Résultat, 500 000 personnes, plus de 10 % des salariés, et de nombreux jeunes ont quitté le système d’assurance chômage et les syndicats. La part des chômeurs non indemnisés augmente depuis 2007. Ces derniers doivent pointer à l’aide sociale, gérée par les municipalités. Et ce dans un contexte où le taux de chômage est passé de 6 % à 9,4 % en un an, l’un des plus hauts d’Europe de l’Ouest. Malgré les attaques, le modèle social reste fort. « Notre syndicat a perdu 20 à 25 % de ses membres », explique Ulrika Vedin, des travailleurs du commerce de la centrale LO. Mais l’organisation « réclamera 2,5 à 3,5 % d’augmentation de salaire », lors des négociations salariales nationales de printemps. « Nous réclamons en général une hausse correspondant à l’inflation et aux gains de productivité dans toute l’économie, et ce pour toutes les branches, afin de réduire les écarts de salaires », poursuit-elle. Ce mode de négociation a permis une augmentation des salaires réels de 40 % entre 1992 et 2002, les portant à l’un des niveaux les plus élevés au monde. Un niveau qui explique pourquoi le modèle suédois résiste, malgré les attaques.

En détruisant les assurances chômage et maladie, l’État se défausse sur les collectivités locales, qui gèrent l’aide sociale. Le dernier recours pour les plus démunis. À Botkyrka, commune sociale-démocrate, « nous résistons et nous n’avons pas prévu de couper dans les budgets sociaux cette année, ni l’année prochaine », se réjouit le chef du groupe du Parti de gauche, Mats Einarsson. Et en 2011  ? « Ce sera plus dur, il nous faut un nouveau gouvernement  ! »

Gaël De Santis


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message