Affaiblissement sans précédent du service public (dossier de L’Humanité)

mardi 8 décembre 2009.
 

Pour parvenir à une réduction drastique du nombre de fonctionnaires, les réformes dans la fonction publique s’empilent et se ressemblent. Dernière née, celle de l’administration territoriale

C’est un véritable jeu de quilles. Le gouvernement s’attache méthodiquement à dégommer tous les piliers qui tiennent l’édifice « service public » de la maison France. Hier, Éric Woerth, ministre du Budget, a fait injonction aux opérateurs publics (musées, Pôle emploi, Météo France, etc.) de réduire drastiquement leurs moyens (voir p. 4). Le 16 novembre 2009, François Fillon présentait une réforme passée plus inaperçue mais non moins dévastatrice, celle de l’administration territoriale de l’État (RéATE). Les principaux syndicats de la fonction publique (CGT, FSU et Solidaires) refusaient de se rendre à cette présentation, « où sont en jeu des suppressions d’emplois et de services publics », expliquent-ils. Menée au pas de charge, la réforme, qui doit entrer en vigueur dès janvier 2010, constitue une refonte totale de l’organisation des missions et des fonctions de l’État dans les territoires.

Le gouvernement avance deux objectifs : « Unifier la parole de l’État en formant une équipe resserrée autour du préfet » et « maintenir une présence compétente de l’État sur tout le territoire tout en relevant le défi du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux. » On ne peut être plus clair : cette réforme a un double objectif. D’abord, diminuer le nombre des agents de la fonction publique, ce qui aura pour conséquence inévitable une réduction de ses missions. Elle est de ce fait une pièce de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Affirmer ensuite l’autorité du pouvoir central sur tous les territoires à travers un renforcement du rôle des préfets, et notamment des préfets de région. Par ce fait, elle met en cohérence l’administration de l’État dans les régions et départements, avec la réforme des collectivités locales. Si toutes les pièces de ce gigantesque puzzle viennent à s’emboîter, se dessinera un État nouveau, plus centralisé et autoritaire. Et un service public affaibli.

1. La restructuration complète des missions publiques de l’État

Construite à partir de missions qui concernent la vie quotidienne des populations, la fonction publique de l’État est organisée sous l’autorité des ministères dans les départements et régions : préfectures, Dass, directions départementales du travail, DDE, Drac, etc. Ces services sont directement impactés par la RGPP. Ils subissent une restructuration complète sous un double impératif.

Le premier est de réaliser des économies par le non-remplacement des départs en retraite.

Le second est un reprofilage de l’appareil d’État. On regarde les missions que l’État pourra transférer vers d’autres acteurs. Pour l’équipement, on a transféré au privé les missions d’ingénierie ou de maîtrise d’ouvrage au profit des communes, susceptibles de rentrer dans le champ concurrentiel. Autre exemple, le transfert de l’entretien des routes vers les départements. C’est donc un désengagement de l’État, une réduction de ses missions de service public. On retrouve également ce désengagement sous la forme du « partenariat public-privé », par exemple pour l’université, les prisons, les transports

2. Les préfets de région deviennent de véritables « gouverneurs »

L’administration territoriale de l’État repose sur deux niveaux : le département et la région. Le gouvernement considère aujourd’hui que l’échelon régional est devenu le mieux adapté « à l’impulsion et à la programmation des stratégies de l’État ». La réforme fait donc du niveau régional « le niveau de droit commun du pilotage des politiques publiques ». C’est au préfet de région qu’il reviendra d’assurer le lien entre les ministères et l’administration départementale pour impulser la stratégie de l’État.

Dans le pilotage des politiques publiques, le préfet de région aura autorité sur les préfets des départements et « nouera des relations directes avec les directions générales », c’est-à-dire le rectorat d’académie, la direction régionale des finances publiques (impôts et Trésor désormais fusionnés) et l’agence régionale de santé. Disposant d’un secrétariat général pour les affaires régionales (Sgar), dirigeant un comité de l’administration régionale (CAR) composé des préfets de département et des directeurs régionaux, le préfet de région disposera désormais de tout le pouvoir sur l’administration de l’État dans sa région.

3.Nouvelle administration départementale de l’État

Certaines structures départementales actuelles (travail, culture, environnement et sécurité industrielle) seront remplacées par des « unités territoriales de directions régionales ». Ainsi, la direction du travail sera fondue dans la Direccte, direction régionale des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l’emploi. L’inspection du travail, qui a un rôle de contrôle, sera donc placée dans une direction dont la mission est le service aux entreprises. De même pour la direction de la consommation et de la répression des fraudes. Cela signifie que des services de l’État qui ont pour mission de contrôler les entreprises seront intégrés dans un service qui a pour rôle d’aider les entreprises dans leur développement. Le risque est de faire primer l’intérêt des entreprises sur celui des salariés et consommateurs. Les autres directions départementales seront regroupées, selon la taille du département, en deux ou trois directions interministérielles.

La direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) et la direction de la protection de la population (DDPP). Pour les départements moins peuplés (environ 50 %), DDCS et DDPP sont fusionnées. Il ne restera dans les départements que deux ou trois directions interministérielles. Avec comme première conséquence la possibilité de diminuer drastiquement le nombre de fonctionnaires.

4. Pagaille, autoritarisme et mise en concurrence des territoires

« Simplification », « rationalisation », « mutualisation » ; « éviter les doublons », « rassembler les compétences », « rendre plus lisible la politique de l’État »… Les arguties ne manquent pas pour justifier cette réforme. La première conséquence du passage en force de la RéATE risque bien d’être une grande pagaille. Sans aucune concertation, les nouvelles directions régionales et départementales doivent être en place en janvier prochain, et personne dans l’administration ne sait précisément à quel poste et où il travaillera à ce moment-là. Des mutations sont probables et la loi sur la mobilité des fonctionnaires, votée durant les congés d’été, lève de fait les protections sur l’emploi des fonctionnaires qui les refuseraient.

5. En cohérence avec la réforme des collectivités territoriales

Cette réforme de l’administration territoriale de l’État coïncide avec celle des collectivités territoriales. Sous prétexte de s’en prendre au soi-disant « mille-feuille » et en mettant en avant l’argument populiste du trop grand nombre d’élus, il s’agit, comme le dénonce Anicet Le Pors de « faire prévaloir le triptyque agglomérations-régions- Europe contre le triptyque communes-départements-nation ». L’ancien ministre de la Fonction publique montre qu’en France, le triptyque « nation-département-commune » structure les institutions de façon essentiellement politique, tandis que le triptyque « Europe-région-agglomération » est une structuration à dominante économique. La prédominance des régions et des regroupements de communes, sur les départements et les communes, représenterait une mainmise renforcée des puissances économiques et un recul de la démocratie. RGPP, réforme des collectivités, réforme des administrations territoriales d’État forment bien une cohérence qui met à mal le service public à la française et les structures républicaines démocratiques. Le statut des salariés de la fonction publique est une des dernières garanties de l’unicité des services publics sur tout le territoire. Il est dans le viseur de Nicolas Sarkozy.

6. Une politique qui parvient à s’imposer, sans convaincre

Le Congrès des maires a montré combien une telle politique avait du mal à s’imposer, y compris dans la majorité de droite. Des possibilités pour la mettre en échec et faire prévaloir d’autres solutions semblent donc ouvertes. Des actions convergentes des salariés de la fonction publique, des élus et des citoyens peuvent-elles avoir lieu ? Les contradictions sont aujourd’hui très fortes. Les salariés de la fonction publique territoriale se plaignent souvent que les élus, sous la pression des restrictions financières, préfèrent recruter des salariés hors statut pour mener les missions de service public. Dans leur volonté de rééquilibrer leur implantation vers le privé, les grandes confédérations syndicales sont parfois soupçonnées de négliger les enjeux de la fonction publique. Au sein de la gauche, des divisions profondes se sont fait jour. Les socialistes et les Verts sont partisans de la prédominance de l’Europe, des régions et de l’intercommunalité dans la hiérarchie des institutions.

Dans la gauche de transformation, des débats sont ouverts sur la place de l’État, la nation, la démocratie participative parfois opposée à la démocratie représentative… Une mise à jour semble nécessaire. Mais dans l’urgence de la riposte à la réforme menée par Nicolas Sarkozy, l’exemple du rassemblement créé autour de La Poste peut ouvrir le chemin à des actions communes.

OLIVIER MAYER


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