POURQUOI LES SOCIALISTES N’ONT PAS SU MENER UN PROJET ALTERNATIF AU CAPITALISME LIBÉRAL ?

mardi 19 décembre 2023.
 

L’Humanité a publié un texte dont le sujet m’intéresse : pourquoi la gauche n’est pas parvenue de 1981 à 1993 à appliquer son projet (programme commun) ? L’auteur(e) de l’article donne une seule réponse : c’est la faute des " SOCIALISTES (QUI) N’ONT PAS SU MENER UN PROJET ALTERNATIF AU CAPITALISME LIBÉRAL".

Après avoir découvert l’argumentation sur l’édition papier de L’Humanité, j’ai fait un copié-collé sur le web puis mis en ligne quelques paragraphes sans prétention qui sont loin d’épuiser le sujet. L’article original ( que je ne considère absolument pas comme un texte de référence du PCF) du quotidien a ensuite disparu du web ; ce n’est pas une raison suffisante pour supprimer mon humble écrit.

B1) "Pourquoi les socialistes n’ont pas su mener un projet alternatif au capitalisme libéral ?" A cause de leur nature social-démocrate, d’après l’article de L’Huma

Cette affirmation me paraît apporter une partie de la réponse. Oui, la nature de la social-démocratie sur la fin du 20ème siècle ne lui permettait pas de porter une alternative au capitalisme :

- oui, la social-démocratie "partageant une histoire et des valeurs de progrès communes" avec le socialisme anticapitaliste dont le communisme, s’en éloigne au début du XXe siècle

- en se désolidarisant des mouvements démocratiques et révolutionnaires des années 1917 à 1925, en particulier de la révolution russe, la social-démocratie internationale s’est "installée" entre camp capitaliste managé par les Etats Unis et camp "communiste" managé par Moscou, s’occupant surtout de gérer son électorat pour garder des élus

- cette identité essentiellement électoraliste a pesé lourd sur la nature de chaque parti social-démocrate dont les élus ont de plus en plus accaparé la direction, dont la base ouvrière et populaire s’est réduite, dont l’autonomie de réflexion et de projet par rapport à l’idéologie dominante s’est progressivement largement réduite, dont la formation politique socialiste des militants et cadres s’est aseptisé...

- oui, " Il serait injuste de nier l’apport des social-démocraties en Europe occidentale durant les Trente Glorieuses. Au cœur de nombreux gouvernements, elles mettent en place de nombreuses réformes sociales." Cependant, si l’on prend le cas de la France, en menant la guerre d’Algérie de façon honteuse, en s’intégrant de plus en plus dans le "bloc occidental" lié aux Etats-Unis, en faisant appel au général de Gaulle en 1958, la SFIO perd une grosse part de son audience dans le milieu populaire et l’électorat de gauche.

La nature de la social-démocratie est-elle la seule réponse à la question : POURQUOI LES SOCIALISTES N’ONT PAS SU MENER UN PROJET ALTERNATIF AU CAPITALISME LIBÉRAL ?

A coup sûr, non ! En particulier ce texte passe à côté de trois questions :

- en France, l’identité du Parti Socialiste se résume-t-elle à l’évolution de la social-démocratie européenne et mondiale ?

- le Parti socialiste et le PCF ont-ils compris le changement de période politique internationale entre l’écriture du programme commun et les années 1981 1993 ?

- Le projet du PCF était-il de mener UN PROJET ALTERNATIF AU CAPITALISME LIBÉRAL ? Si oui, lequel ?

B2) En France, l’identité du Parti Socialiste se résume-t-elle à l’évolution de la social-démocratie européenne et mondiale ?

Franchement, je ne crois pas même si l’évolution de ce parti avec des dirigeants comme Dominique Strauss-Khan et François Hollande va dans ce sens.

La nature de la Révolution française et en particulier de la Convention montagnarde, le nombre important de grands mouvements sociaux et crises révolutionnaires qui ont suivi (1830, 1848, 1871, 1905, 1920, 1936, 1945, 1968), le long combat pour la République et la laïcité, la puissance des luttes ouvrières (par exemple en 1968, 1995, 2010) ont construit un champ politique français marqué par une gauche républicaine (anticapitaliste souvent inconséquente mais sincère) dont une partie s’est toujours retrouvée dans le Parti Socialiste. Faute de mieux, je crois utile d’employer le concept de socialisme républicain français pour en rendre compte.

Ni les socialistes communards, ni Edouard Vaillant, ni Jules Guesde, ni Jaurès, ni Zyromski, ni Pivert, ni Daniel Mayer, ni Poperen, ni Chevènement, ni Emmanuelli, ni Filoche, ni même Lienemann... ne peuvent sérieusement être réduits aux caractéristiques données ci-dessus de la social-démocratie européenne. Ces courants gauche expliquent que, même la pratique de Blum et Mitterrand présente des caractéristiques plus socialistes que la grande majorité des autres organisations de la social-démocratie internationale.

Il est évident que ce socialisme républicain a contribué à empêcher le fascisme d’arriver au pouvoir en France

Du 6 au 12 février 1934, la France ouvrière et républicaine stoppe le fascisme

Les 200 familles, le fascisme et la violence dans les années 1930

Il est évident que ce socialisme républicain a contribué à construire et défendre de grands services publics "à la française", la Sécurité sociale, la retraite par répartition...

Il est évident que ce socialisme républicain pouvait capter une partie des aspirations des années 1968, ce qu’une simple social-démocratie n’aurait pu faire.

Il est évident que ce socialisme républicain pouvait représenter un allié historique pour le projet porté par le PCF en 1936, 1945, dans les années 1960 puis 1970, ce qu’une simple social-démocratie n’aurait pu apporter.

La social-démocratie internationale est-elle analysable seulement comme un bloc monolithique au service du grand capital ? Quiconque pense cela ne peut comprendre par exemple le rôle de Largo Caballero durant la Guerre d’Espagne contre le fascisme franquiste ou celui de Salvador Allende au Chili ; il ne peut comprendre aujourd’hui ni l’existence de courants gauche en Belgique, Allemagne, Chili..., ni l’impact de la scission opérée à l’automne 2008 par le Parti de Gauche en France.

Ceci dit, il est évident que les appareils nationaux de la social-démocratie internationale ne peuvent plus être caractérisés comme seulement liés aux intérêts du monde capitaliste. Globalement, ses dirigeants influents font partie des dirigeants du monde capitaliste. Leur "socialisme compassionnel" est plus médiatique que concret.

La volonté de nombreuses directions social-démocrates dans les années 1980 et 1990 de constituer une "internationale démocrate" autour du parti démocrate US n’est que la face émergée de leurs liens avec l’impérialisme US.

B3) Le Parti socialiste et le PCF ont-ils compris le changement de période politique internationale entre l’écriture du programme commun et les années 1981 1993 ?

Je crois que de 1967 à 1975, le contexte politique international était favorable pour mener à bien un projet du type programme commun.

Dans les années 1975 à 1983, les potentialités s’amenuisent

- en France, avec une combativité ouvrière et populaire déclinante au fil des défaites comme les grandes grèves des PTT et de la SNCF

- au niveau international surtout avec la vague du "libéralisme" appuyé sur des coups d’état initiés par les USA puis régimes militaires totalitaires (Colombie, Bolivie, Chili, Argentine, Brésil, Indonésie...), avec le développement d’un marché international et d’un capitalisme financier posant de nouveaux problèmes pour un projet de type keynésien.

Globalement, l’Union de la Gauche a poussé à limiter les luttes pour ne pas effrayer les électeurs dans la période propice à son projet puis s’est retrouvée comme un poisson sur le sable lorsque elle a été élue.

B4) Le projet du PCF était-il de mener UN PROJET ALTERNATIF AU CAPITALISME LIBÉRAL ?

La PCF a toujours été un parti bien plus complexe que la seule dépendance vis à vis de Moscou sans cesse rabâchée comme une ritournelle par les historiens réactionnaires. Dès sa fondation, il comprend aussi des cadres organisateurs de la classe ouvrière dévoués à la défense des travailleurs, des bolcheviks, quelques élus électoralistes et ce que l’on pourrait appeler un "communisme républicain français" aux variantes diverses.

Trois textes me paraissent marquer les jalons principaux du projet républicain porté par le PCF face à la droite et au patronat :

- La "voie française vers le socialisme" (Maurice Thorez 18 novembre 1946)

- "La marche de la France au socialisme", livre de Waldeck Rochet, secrétaire général adjoint du parti en 1961, puis secrétaire général en 1964

- " Programme pour un gouvernement démocratique d’union populaire", livre publié par les Editions sociales en 1971 avec une préface de Georges Marchais

Ces trois textes présentent des aspects alternatifs au capitalisme libéral sur le plan social, démocratique, économique, institutionnel et anti-impérialiste.

Les expériences gouvernementales de la Libération comme de 1981 à 1983 ont traduit dans la réalité législative, économique, sociale, sociétale, idéologique de notre pays des réformes qui s’apparentent à la fois au socialisme républicain français et au communisme républicain français. C’est le cas de la Sécurité sociale, des services publics, de droits sociaux nombreux...

Le texte paru dans L’Huma paraît considérer à juste titre que ces avancées n’ont cependant pas représenté la réussite d’un projet alternatif au capitalisme libéral. Est-ce parce que les "socialos" sont des traîtres par nature comme le pensent certains ou faut-il réfléchir à la question de façon plus approfondie ? J’opte pour le second choix.

Pour ne pas être trop long, je m’en tiendrai ici à quelques remarques, tout d’abord sur le texte de Thorez cité plus haut.

Cet interview au Times doit être intégré dans son contexte. Une semaine plus tôt, les électeurs ont accordé au PCF 28,6% aux élections législatives, le plaçant nettement en tête de tous les partis. Dans ces conditions, le principal dirigeant du PCF se pose en candidat au poste de chef du gouvernement, d’où nécessité d’amadouer d’une part les alliés britanniques et américains, d’autre part l’ensemble du champ politique français. Ceci dit, il serait faux de lire cette stratégie de Thorez comme répondant seulement à la conjoncture politique de la fin d’année 1946. En effet, sur le fond, il développe ici le même projet politique que celui du PCF de 1934 à 1938 puis à la Libération puis encore de 1963 à 2002. Beaucoup d’adhérents et cadres du PCF continuent à défendre la même position.

Je me considère personnellement comme d’accord sur une grosse partie des propositions. Plusieurs questions me préoccupent cependant.

- Seul le PC paraît être garant du succès, la classe ouvrière et ses syndicats disparaissant, les citoyens eux-mêmes et structures d’autoorganisation tout autant.

- Les nationalisations constituent le socle anticapitaliste du projet « Les nationalisations portent atteinte à la toute-puissance des oligarchies financières, elles limitent les possibilités légales de l’exploitation de l’homme par l’homme, elles placent entre les mains d’un gouvernement démocratique des moyens appréciables pour l’œuvre de redressement économique et social du pays » ; Posées indépendamment d’une socialisation démocratique de ses entreprises, l’expérience prouve qu’elles sont facilement intégrables quelques années dans la vie économique capitaliste.

- Que ce soit en 1936, 1945 et 1981, le rapport de forces politique international a pesé lourd sur l’essoufflement de l’expérience de gauche. Comment répondre à cette carence, ne serait-ce qu’au niveau européen ?

- Que ce soit en 1936, 1945 et 1981, le capital financier a été au coeur d’une contre-offensive économique. Aujourd’hui, l’évasion fiscale, les paradis fiscaux... rendent cette question encore plus centrale.

Sur tous ces points, il me parait indispensable de débattre des questions de stratégie de passage au socialisme, de quel socialisme voulons-nous, indépendamment des textes à vocation propagandiste et électorale. Ils doivent tous être en cohérence mais leur nature différente doit permettre de préciser les réponses à des questions différentes.

B4) Que s’est-il passé de 1964 à 1983 ?

De façon étonnante, cette partie-là manque complètement dans le texte POURQUOI LES SOCIALISTES N’ONT PAS SU MENER UN PROJET ALTERNATIF AU CAPITALISME LIBÉRAL ?

Dans les années 1960, le PCF avance un projet étapiste. Il s’agit dans un premier temps de "remplacer le pouvoir personnel" gaulliste par une démocratie véritable" grâce à "l’entente claire et loyale entre toutes les forces de gauche sur la base d’un programme commun, tenant lieu de contrat de majorité et de gouvernement". A qui s’adresse cet appel ? au "Parti Socialiste et autres formations groupées dans la Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste" (parti radical, CIR). Cette première étape doit "créer les conditions requises pour faire comprendre à l’immense masse du peuple les objectifs de la révolution socialiste et la nécessité de combattre pour les atteindre... Nous ne confondons pas les deux étapes." (Maurice Thorez)

De 1964 à 1968, le PCF déploie son action politique de façon cohérente par rapport à ce projet :

Grâce à lui se constituent pour les municipales de mars 1965 un nombre important de listes d’union de la gauche (PCF, PSU, SFIO, radicaux, CIR) sans alliance plus loin vers le centre. En faisant cela, il pèse sur la SFIO dont beaucoup de maires sont des pitres ambitieux seulement intéressés par leur mandat personnel (en 1965, sur des villes importantes comme Marseille, Toulouse, Lille et dans bien d’autres la SFIO reste unie au MRP ancêtre du MODEM Bayrouiste et souvent à la droite dure du Centre National des Indépendants). Le second tour marque un succès des listes d’Union de la Gauche, y compris du PCF (Le Havre).

Pour la direction du PCF, les municipales ont globalement validé l’orientation définie en 1964 par le Comité central et théorisé dans "La marche de la France au socialisme". Aussi, sa "main tendue" aux catholiques serre de nombreuses mains ; surtout, il soutient François Mitterrand dès le premier tour des élections présidentielles de 1965 ; celui-ci réussit à mettre le général de Gaulle en ballotage au premier tour. Un souffle d’espoir et d’unité souffle sur le peuple de gauche de Perpignan à Dunkerque et de Brest à Strasbourg.

Pourtant, le PCF connaît alors une crise dans ses organisations de jeunesse, due à plusieurs facteurs qui poussent à l’apparition de courants contestataires puis à la scission d’organisations "révolutionnaires" (JCR, UJCML...)

- critique du soutien à Mitterrand dès le premier tour, malgré les doutes sur ses choix politiques de 1936 à 1942, malgré son rôle dans la guerre d’Algérie, malgré le désistement en mars 1965 aux municipales de Nevers de sa liste au profit de la droite UNR UDT et non du PC

- critique de l’orientation pacifiste du PC sur les questions internationales (Paix au Vietnam par exemple) alors que le mouvement jeune internationaliste scande FNL vaincra...

En 1968, la France connaît le plus grand mouvement social de l’histoire humaine mondiale, un mouvement porteurs d’aspirations à la fois démocratiques et socialistes non étapistes. Le mouvement jeune porte une critique virulente du capitalisme, de la "société de consommation", de l’impérialisme yankee. Les luttes ouvrières mettent en cause le pouvoir patronal dans l’entreprise ; les gains salariaux rognent une part des surprofits. Une partie des radicaux commence son glissement vers la droite (d’où le parti actuel de Borloo) ; la SFIO disparaît du champ politique. Des organisations d’extrême gauche gagnent une audience et des milliers de militants, en particulier dans la jeunesse. Cependant, le mouvement ne trouve pas de débouché politique.

- Un peu déstabilisé pendant le mouvement de 68 lui-même, le PCF reprend rapidement son projet d’union des forces de gauche mais cette fois-ci sur un programme nettement plus ambitieux pour répondre aux aspirations et revendications apparues en 1968. Sur cette base, Jacques Duclos recueille 4 808 285 voix (21,27%) comme candidat communiste en 1969 (élections présidentielles). En 1971, le comité central adopte le " Programme pour un gouvernement démocratique d’union populaire" qui sert de base de négociation avec le nouveau parti socialiste dirigé par François Mitterrand. Ce programme est effectivement incompatible avec le capitalisme libéral et constitue une base de transition pour répondre aux aspirations et revendications populaires.

- Pourtant, le PCF ne va pas tirer profit électoralement du travail considérable qu’il a investi sur cette orientation Union de la gauche Programme commun. D’une part, les organisations d’extrême gauche stabilisent leur place, y compris parmi des ouvriers combatifs qui pestent de voir les luttes ouvrières insuffisamment soutenues en raison du projet "Une seule solution, le programme commun". D’autre part, le Parti Socialiste capte l’essentiel du glissement électoral vers la gauche qui s’opère à l’époque.

Les élections municipales de 1977 sont marquées par un véritable raz de marée en faveur de la gauche. Derrière une tête de liste PS, la gauche prend à la droite de nombreuses villes : Montpellier, Brest, Belfort, Angers, Rennes, Cherbourg, Nantes, Castres, Romans, Le Creusot, Pessac, Angoulème, Valence, La Roche-sur-Yon, Dreux, Épinal, Roanne, Schiltigheim, Aurillac, Villeneuve-d’Ascq, Meaux, Beauvais, Chartres, Conflans-Sainte-Honorine, Mantes-la-Jolie, Saint-Herblain, Saint-Priest, Villefranche-sur-Saône, Chambéry, Hyères, Poitiers, Tourcoing, Albi, Bourg-en-Bresse, Saint-Chamond, Alençon, Saint-Malo, Villeurbanne, Mâcon. Les têtes de liste PCF l’emportent à : Reims, Saint-Étienne, Le Mans, Tarbes, Béziers, Saint-Quentin, Châlons-sur-Marne, Athis-Mons, Houilles, Tarbes, Villeneuve-Saint-Georges, Sevran, La Ciotat, Bourges, Chelles, Poissy, Grasse, Thionville.

Ces élections municipales marquent l’apogée de la dynamique électorale unitaire portée par l’Union de la Gauche. Lors des élections législatives de mars 1978, le Parti Socialiste obtient 23,01% (18,9% en 1973) et 113 députés alors que le PCF baisse au premier tour par rapport à 1973 de 21,3% à 17,52%. Le bureau politique du PCF comme les cadres locaux constatent que la dynamique unitaire (dont ils ont été les principaux initiateurs) est en train de les affaiblir au profit du PS.

De 1978 à 1981, les batailles politiques du PC contre le PS vont conforter encore plus celui-ci comme représentant le courant unitaire à gauche, vont encore plus conforter l’autonomie de celui-ci et de François Mitterrand. Aussi, en 1981, celui-ci se présente aux élections présidentielles avec ses 110 propositions et non sur la base du programme commun.

Avant même de gagner les présidentielles et législatives de 1981, le coeur programmatique du projet de société porté par l’union de la gauche, se retrouvait marginalisé. On peut en faire porter la responsabilité à la direction du PS mais d’autres causes peuvent être analysées :

- le projet porté par l’union de la gauche a fait glisser l’intervention politique centrale des partis et beaucoup de syndicalistes, du terrain revendicatif dans l’entreprise au terrain électoral (municipal en particulier) affaiblissant le noeud principal du rapport de forces entre les classes qui se situe dans les entreprises.

- la logique électoraliste a poussé à ne pas durcir et centraliser les luttes durant les années 1968 1975 où elles profitaient encore de l’élan des années 1968.

- en attendant la "victoire électorale", la gauche a laissé passer les années de combativité et de politisation fortes, n’obtenant le succès qu’au moment où le rapport de force mondial s’était inversé au profit du grand capital et des Etats Unis...

Globalement, les 110 propositions sont passées de façon significative en application de 1981 à 1983 après la victoire de Mitterrand aux présidentielles. Cependant, en 1983 1984, le Parti socialiste décide une "pause" dont nous ne sommes pas encore sortis.

Il ne fait pas de doute que le PS " porte une indéniable responsabilité" dans ce choix. Ceci dit :

- La période politique mondiale des années 1980 marquée par un recul du socialisme contredisait les prédictions euphoriques du " Programme pour un gouvernement démocratique d’union populaire" sur l’aspiration populaire grandissante au socialisme

L’évolution économique mondialisée de type anglo-saxon, déjà nette, ne correspondait pas non plus au diagnostic du capitalisme monopoliste d’Etat sous-jacent au programme commun.

B5) Quel projet pour la France en ce début du 21ème siècle ?

Je partage les caractéristiques de la période politique avancées dans le texte POURQUOI LES SOCIALISTES N’ONT PAS SU MENER UN PROJET ALTERNATIF AU CAPITALISME LIBÉRAL ?

« La grande illusion du bonheur à l’Ouest a fait long feu... L’après-chute du mur de Berlin n’est finalement que le point d’orgue de politiques initiées dès le début des années 1980, en particulier par Reagan et Thatcher dont le TINA (There is no Alternative) a durablement contaminé la planète. Au nom de la liberté, bien entendu  ! Ces politiques sont à l’origine de la casse progressive des modèles sociaux, mis en place après la Seconde Guerre mondiale... Démantèlement du droit du travail et des services publics, dérégulation des marchés, financiarisation de l’économie, dogme du libre-échange… Le tout accompagné, et ce n’est pas la moindre des ironies, d’une remise en question fondamentale des libertés et de la démocratie, dont le décuplement des fichages et des surveillances vidéo, la chasse aux sans-papiers et la nomination du président de la télévision publique par le chef de l’État sont de tristes exemples … »

Cependant, plusieurs éléments importants manquent dans cette description de la période. J’en cite ici un seul : les bons résultats du Front de Gauche aux européennes ne sont pas signalés ni les nouvelles données stratégiques impliquées par celui-ci.

Cette absence me donne à penser que le texte de l’Humanité émane en fait d’un identitaire du PCF opposé au Front de Gauche. Il illustre toute l’impasse politique de ce courant en terme de projet pour la France. Sans perspective pour modifier le rapport de force social, idéologique et électoral, la dénonciation des traîtres socialistes sert de palliatif. Cela serait bien insuffisant pour convaincre les Français et reprendre "La marche de la France au socialisme". Aussi, je crois au Front de gauche, y compris avec ces communistes identitaires du PCF.

Cela ne m’empêche pas d’estimer que la mise en place du Front de Gauche et l’élaboration de son Programme partagé remettent à l’ordre du jour toutes les questions stratégiques des années 1960 et 1970. Aussi, un travail de bilan sur ce qui a été écrit puis fait dans les années 1980 et 1990 constitue une urgence.

Jacques Serieys, 16 décembre 2009

A) POURQUOI LES SOCIALISTES N’ONT PAS SU MENER UN PROJET ALTERNATIF AU CAPITALISME LIBÉRAL ?

Texte publié dans le quotidien L’Humanité et mis en ligne sur le site de ce journal

Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin, symbole de la guerre froide et de la scission du monde en deux blocs, tombait sans déploiement d’artillerie lourde, sous les seuls coups de pioche de jeunes Allemands. Dans l’euphorie, des millions d’Européens fêtaient les droits de l’homme et la liberté retrouvés. Vingt ans plus tard, ce vent d’espérance s’est passablement affaibli. Nombreux sont les Allemands de l’Est, intellectuels et artistes en tête, à évoquer un tout nouveau sentiment de précarité, d’insécurité et « une peur collective de la paupérisation ». Quand ils ne stigmatisent pas l’arrogance d’un capitalisme occidental autoproclamé « vainqueur de l’histoire », refusant tout débat et qui s’est offert avec l’Est un nouveau et très juteux marché…

La grande illusion du bonheur à l’Ouest a fait long feu. L’après-chute du mur de Berlin n’est finalement que le point d’orgue de politiques initiées dès le début des années 1980, en particulier par Reagan et Thatcher dont le TINA (There is no Alternative) a durablement contaminé la planète. Au nom de la liberté, bien entendu  ! Ces politiques sont à l’origine de la casse progressive des modèles sociaux, mis en place après la Seconde Guerre mondiale. En France, à cette époque, face à un patronat en partie discrédité pour collaborationnisme, mais face aussi à l’espérance suscitée par le modèle soviétique qui crée un véritable rapport de forces, la classe dirigeante est contrainte d’accepter des compromis sociaux. Mais dès lors qu’avec l’effondrement du bloc de l’Est disparaît le « danger révolutionnaire » — le garde-fou en quelque sorte —, la levée de ces compromis ne se fait pas attendre. Nous en vivons aujourd’hui dans notre pays des étapes majeures et cruciales. Démantèlement du droit du travail et des services publics, dérégulation des marchés, financiarisation de l’économie, dogme du libre-échange… Le tout accompagné, et ce n’est pas la moindre des ironies, d’une remise en question fondamentale des libertés et de la démocratie, dont le décuplement des fichages et des surveillances vidéo, la chasse aux sans-papiers et la nomination du président de la télévision publique par le chef de l’État sont de tristes exemples …

Face à cette situation, la social-démocratie porte une indéniable responsabilité.

Partageant une histoire et des valeurs de progrès communes avec le communisme, elle s’en désolidarise au début du XXe siècle, en refusant d’adhérer à la révolution bolchevique.

Installée dès lors entre un modèle soviétique et un modèle ultralibéral également rejetés, elle s’amollit, s’endort dans une position finalement assez confortable. Ainsi, continuant à s’adosser au communisme — adhésion à la notion d’un État fort et social —, elle accompagne dans le même temps, résignée, les dérégulations dogmatiques mises en œuvre par les politiques libérales. Il serait pourtant injuste de nier l’apport des social-démocraties en Europe occidentale durant les Trente Glorieuses. Au cœur de nombreux gouvernements, elles mettent en place de nombreuses réformes sociales. Mais elles se laissent dénaturer au début des années 1980 par la pensée libérale et commencent à lâcher prise.

En conséquence de quoi, lors de la chute du bloc de l’Est, aucun véritable projet de société alternatif n’est plus en place pour instaurer un rapport de forces avec un libéralisme effréné, arrogant et regonflé à bloc. Discréditées, les social-démocraties européennes enregistrent alors de cuisantes défaites.

Ainsi, le XXe anniversaire de la chute du mur de Berlin doit-il être pour les socialistes une nouvelle occasion symbolique de s’interroger sur leur socle idéologique, voire de le repenser. Nous devons redéfinir et réaffirmer nos valeurs, les porter, proposer une pensée et un projet alternatifs à une pensée et un projet néolibéraux dont l’injustice n’a d’égale que l’inefficacité économique.

Nous n’avons pas su être une alternative au communisme mis en œuvre dans les pays de l’Est. Nous devons en être une au capitalisme dont la dernière crise a démontré, puisqu’il le fallait encore, la dangerosité et finalement l’inanité.

Au cours de son histoire, la social-démocratie n’a jamais anticipé la chute des régimes communistes. Une erreur fatale qui l’a conduite à un retard théorique qu’il convient aujourd’hui de combler. Des Grenelle thématiques dispersés n’y suffiront pas. Cette réflexion ne peut se concevoir que de façon profonde et globale, en replaçant l’être humain au cœur d’un débat dont les protagonistes principaux portés en héros sont aujourd’hui l’argent et le profit. Savoir comment, pourquoi, pour qui l’on produit et comment l’on redistribue les richesses constitue le chantier idéologique majeur de la social-démocratie du XXIe siècle. Ce chantier a existé. Il a été stoppé. Il est urgent de le réactiver. Avec la nouvelle crise qu’il vient de traverser et dont les conséquences pour les plus démunis sont encore à venir, l’ultralibéralisme a le dos au mur. Et plus elle tardera, plus dure sera sa chute. Il nous faudra bien alors être en mesure de proposer une alternative et de l’ériger à hauteur de ce Jaurès appelait « un idéal nouveau ».


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