Je regrette la disparition du conseil national des programmes. Les programmes actuels sont infaisables.

vendredi 13 juin 2008.
 

Quel est votre avis sur la disparition du conseil national des programmes (CNP) ?

Je la regrette, car j’ai pu expérimenter l’importance d’une discussion spécialisée dans une commission d’experts, et celle d’un groupe qui a une large vue de l’ensemble du système éducatif. La manière dont a été écrit le projet de programmes du primaire, dans l’obscurité la plus totale où personne ne sait qui fait quoi et qui écrit quoi, est tout à fait regrettable.

Le ministre dit que ce projet a été écrit par des scientifiques...

Quels scientifiques ? Des membres de l’Académie des sciences, consultée au dernier moment, ont fait des remarques très critiques à la fois sur le fond et sur la forme. Seuls quelques éléments sur la forme ont été retenus. Jusqu’à preuve du contraire, dans le passé, les choses étaient claires, en particulier en 2002 avec le CNP, des gens bien identifiés, nommés normalement, et des commissions d’experts bien connus. Mais si les commissions d’experts ont continué un peu pour le secondaire, elles n’ont pas été reconduites au primaire.

Cette méthode s’accompagne d’injonctions  : la Shoah, Guy Moquet…

Il y a une tendance du pouvoir politique en France, à dire, dès qu’il y a une difficulté, ou quelque chose à mettre en valeur : « l’école y pourvoira  ». L’école est obligée de répondre à chaque fois à des commandes diverses.

Ce n’est donc pas la première fois qu’il y a ce genre d’injonctions, « l’originalité  » c’est qu’elles se situent sur des problèmes de type mémoriel, dans une sorte d’inflation basée sur un appel à l’émotion. Ce peut être un point de départ, mais jusqu’à preuve du contraire, l’école doit permettre de prendre de la distance par rapport à l’émotion, viser à être plus rationnel. La mémoire a de l’importance, mais si elle n’est pas soumise au regard de l’histoire, elle peut être dangereuse. Sans compter que l’école ne doit pas instrumentaliser le passé.

Qu’est-ce qui est en jeu quand on modifie des programmes ?

Il faut de sérieuses raisons pour bouleverser de fond en comble un programme, car « l’école a besoin de stabilité  » (Xavier Darcos, 2003). Il faut du temps, de la formation, pour que l’ensemble des enseignants s’approprie un programme. Les évolutions sont normales mais en respectant des délais minimums. Pour qu’un changement important de programme soit opérationnel, il faudrait faire une évaluation des points forts et des points faibles. Toute évolution doit être liée à des phénomènes nouveaux. En 2002, pour les écoles primaires, il y avait la volonté d’intégrer une langue vivante étrangère et celle de prendre en compte l’évolution des technologies de l’information et de la communication.

On avait aussi anticipé le socle commun en étab l i s s a n t c o m p é - tences et c o n n a i s - sances. En 2007 il y a eu la fameuse histoire des méthodes de lecture, et l’existence d’un socle commun, d’où le changement, à la fin de chaque discipline, de la présentation en connaissances, capacités et aptitude. C’est beaucoup plus difficile d’expliquer ce qui motive le changement un an après. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées : vouloir faire, comme le disaient Jack Lang et Luc Ferry, du populisme scolaire, et répondre à l’influence d’un groupe de pression, comme le GRIP.

Quelques phrases pour caractériser le projet de programmes 2008 pour l’école.

Ils sont infaisables parce qu’il n’y a aucune véritable réflexion sur la diminution horaire générale. Ensuite ils confondent les moyens et les fins. La fin, c’est la maîtrise de la langue française sur laquelle les programmes 2002 insistaient beaucoup : savoir s’exprimer, savoir comprendre, savoir rédiger.

Les moyens, c’est l’acquisition du vocabulaire, de techniques orthographiques et d’une maîtrise de la grammaire.

L’exigence très forte, parfois trop, sur les moyens, est moindre sur le but. Du coup ce sont des programmes faussement exigeants. À force de multiplier les exercices mécaniques et techniques, on risque de faire une école de l’ennui. Ces programmes sont très flous, puisqu’on donne un certain nombre d’injonctions mais on dit très peu comment faire. Ils vont déstabiliser les enseignants.

Cette démarche risque-t-elle de se retrouver pour le collège, pour le lycée ?

A priori, ça ne devrait pas être la même chose pour le second degré, les programmes y ont été faits plus lentement. Les programmes du second degré sont dans la continuation des programmes 2002. La suppression du CNP est une faiblesse, mais il reste les commissions d’experts. Ceci étant, le second degré va être en contradiction avec le 1er degré, s’il reste en l’état.


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