Chute du Mur de Berlin : Gregor Gysi : « Moi, mon objectif reste le socialisme démocratique »

dimanche 15 novembre 2009.
 

En novembre 1989, l’avocat critique accède à la direction du SED et sera l’un des acteurs de sa transformation 
en PDS. Aujourd’hui coprésident de Die Linke, il nous a reçus au Bundestag, où son parti a fait une percée remarquée aux législatives de septembre dernier.

Vous vous êtes impliqué très tôt pour changer la RDA en défendant de célèbres dissidents comme Rudolf Bahro ou Robert Havemann. Jusqu’à quel moment avez-vous espéré que l’on pouvait réformer le socialisme d’État  ?

Gregor Gysi. Depuis les événements de 1968 à Prague et plus tard ceux de Pologne, j’étais persuadé qu’une véritable réforme du socialisme d’État n’était possible que si elle était initiée à partir de Moscou. Donc quand Gorbatchev a commencé à introduire la perestroïka et que j’ai constaté que la direction du SED tentait d’empêcher un débat sur ce type de réforme en RDA, je fus extrêmement déçu et j’éprouvais même de la colère. À ce moment-là, je suis devenu de plus en plus politique. En 1989 il était devenu clair qu’il n’y avait pas d’issue pour le socialisme d’État en RDA.

Qu’est-ce qui vous a conduit en décembre 
1989 à maintenir en vie le SED, alors en ruine 
et au bord de la dissolution  ?

Gregor Gysi. Une dissolution du parti était absolument impossible si l’on voulait bien avoir un minimum d’esprit de responsabilité. Rien que dans l’appareil du parti plus de 40 000 personnes étaient employées, j’aurais dû leur dire le même jour  : « Vous rentrez chez vous, le parti n’existe plus, tout est terminé. » Le ministère pour la Sécurité d’État (Stasi) venait d’être dissous. Si l’on avait ajouté à cela la dissolution du parti, on aurait pu assister à des actes de résistance qui auraient pu conduire à des conflits armés. En revanche, à l’été 1990, j’aurais pu dissoudre la formation sans occasionner le chaos ou l’anarchie. La situation s’était stabilisée. Des masses de gens avaient alors quitté le parti mais ceux qui restaient au sein de ce qui s’appelle maintenant le Parti du socialisme démocratique (PDS) et qui avaient vécu les premiers succès électoraux n’étaient naturellement plus prêts à une dissolution.

Vous avez pris la direction de ce parti, qui allait donc devenir le PDS, dans les pires conditions. Avez-vous trouvé facilement des alliés  ?

Gregor Gysi. Tous ceux qui étaient avec moi jadis voulaient une rénovation, un autre chemin, une autre structure. Les opinions étaient certainement très différenciées mais tous le voulaient. En fin de compte, il y avait des gens qui savaient qu’ils étaient des socialistes, entendaient le rester et ne voulaient pas devenir des sociaux-démocrates pour de multiples raisons. Ainsi donc, nous avons réussi à conserver une structure qui, ensuite, après l’unification est devenue le seul parti est-allemand représenté au Bundestag.

Comment avez-vous accueilli la chute du mur  ?

Gregor Gysi. Ma compagne m’a téléphoné et m’a dit  : « Le mur est ouvert. » Je ne le croyais pas. Ce furent des moments d’une grande intensité mais je les ressentais d’abord comme quelque chose d’arbitraire. Comment peut-on simplement construire un mur, puis tout aussi simplement l’ouvrir, pour plus tard, qui sait, le refermer… Il me manquait un fondement juridique ou constitutionnel à tout cela. Sur le coup j’ai réagi en juriste. Mais cette ouverture était un acte de libération. On ne peut tenir une société enfermée. Trop peu d’échanges d’idées avec l’extérieur, avec la base, avaient contribué à l’asphyxier.

Vingt ans après, en dehors des flèches vertes aux feux tricolores, de quelques coopératives agricoles, il n’est rien resté de la RDA…

Gregor Gysi. Non, il est resté bien plus que cela de la RDA. C’est difficile à expliquer, une forme de penser, de ressentir les choses, une certaine solidarité, l’individualisme étant bien plus prégnant en RFA. Le pays était organisé de façon totalement différente. Les gens n’avaient pas peur de perdre leur logement, ni, en général, leur emploi. Mais ils savaient qu’ils ne pouvaient pas exprimer librement leur opinion en public, qu’ils ne pouvaient voyager que dans un petit nombre de pays. Les droits politiques des citoyens étaient limités. Mais pas leurs droits sociaux. Et beaucoup de gens ont cru qu’avec l’unification ils allaient maintenant bénéficier de leurs droits politiques tout en conservant leurs droits sociaux. Il existait en outre un endroit où il y avait davantage de liberté d’opinion qu’à l’Ouest. C’était dans l’entreprise. Là les gens pouvaient dire « ce chef-là est un idiot complet » et cela n’avait aucune conséquence. Ils ne peuvent plus se le permettre aujourd’hui.

Vous avez parlé d’Anschluss à l’époque…

Gregor Gysi. Oui et c’était exact. On a voulu que l’Est soit comme l’Ouest. Résultat  : les Bavarois ou les citoyens du Schleswig-Holstein n’ont pas pu faire l’expérience d’une unification améliorant leur qualité de vie. Si l’on avait dit jadis  : nous introduisons les polycliniques dans toute l’Allemagne, si l’on avait décrété que le système de crèches était une bonne chose, si l’on avait introduit des apports de ce type, issus des structures propres à la RDA, alors les gens de la République fédérale auraient fait une expérience toute différente de l’unité allemande. Ironie du sort  : la Finlande s’est entre-temps très largement inspirée du système scolaire de la RDA et c’est maintenant ce « modèle finlandais » que l’on invoque ici pour… soigner notre système éducatif en crise. Aucun apport est-allemand n’a été autorisé. Aucun. Le point de vue des Allemands de l’Ouest sur l’Est s’est formé en conséquence. Au départ, ils ont trinqué, bu quelques verres de mousseux. Puis l’opération leur est apparue très coûteuse. Et c’est ainsi que les Allemands de l’Est sont devenus, à leurs yeux, des râleurs qui en veulent toujours plus et votent si bizarrement… Le point de vue des Allemands de l’Est est à l’opposé. Ils se sont sentis comme des citoyens de seconde classe, privés d’un seul coup de toute protection. D’où une évolution séparée, toujours perceptible aujourd’hui.

L’ordre des vainqueurs, celui de la société capitaliste n’est-il pas à son tour ébranlé, 
et n’est-ce pas désormais le dépassement 
de cet ordre-là qui vient à l’ordre du jour  ?

Gregor Gysi. J’ai dit en 1990 le socialisme d’État a échoué mais le capitalisme n’a pas gagné. Il est simplement resté tout seul. Aujourd’hui, il traverse effectivement une crise grave. Pour autant le moment ne me paraît pas mûr pour un dépassement. Il nous faut réfléchir à la forme que doit revêtir une société socialiste démocratique. Le problème des vainqueurs, c’est qu’ils se doivent ici toujours de vaincre complètement. C’est la raison pour laquelle ils n’ont repris aucune structure de l’Est – ce qui a les conséquences terribles que je viens d’évoquer. J’en tire la conclusion que lorsque l’on gagne, il ne faut jamais l’emporter totalement. Il faut à chaque fois réfléchir comment donner une chance à celui qui a perdu.

Pourquoi avez-vous désigné le succès 
de la fusion des gauches de l’Est et de l’Ouest comme une vraie contribution à l’unification  ?

Gregor Gysi. Non j’ai simplement dit que le seul parti qui avait réussi une véritable union Est-Ouest était le nôtre. Les autres formations issues de la RDA n’ont fait qu’intégrer les partis de l’Ouest. Notre manière de faire s’est avérée beaucoup plus complexe mais aussi beaucoup plus juste. Mais votre question est néanmoins juste  : notre parti est aussi devenu une force de promotion de l’unité allemande.

Die Linke n’a toujours pas de programme, plus de deux ans après sa fondation. Le processus de formation du parti est-il vraiment achevé  ?

Gregor Gysi. La formation du parti est terminée. Le processus d’unification Est-Ouest a vraiment démarré, à mes yeux, dans un sens émotionnel et sur le plan du contenu lors du dernier congrès du parti en juin. Je conteste que nous n’ayons pas de programme. Nous avons des points saillants programmatiques qui ont été adoptés par les deux partis quand ils ont fusionné. Cela étant, nous avons certainement besoin maintenant d’un nouveau programme. Faut-il fixer un délai pour son adoption  ? Dans mon parti, on aime bien se fixer des délais, ce que je ne trouve pas toujours heureux parce que l’on ne se donne pas forcément tout le temps dont on aurait besoin. En fait, la question est la suivante  : sachant que nous sommes un parti pluraliste, il nous faut formuler des compromis qui puissent être portés par 99 % des militants. Je pense que nous y parviendrons et que nous aurons ce nouveau programme.

Dans ce débat qui s’est déjà instauré, quelle est votre opinion sur ce que doit devenir 
Die Linke. Un vrai parti social-démocrate qui 
ne piétine pas ses valeurs de gauche comme le fait aujourd’hui le SPD, un parti socialiste, néocommuniste  ?

Gregor Gysi. Je veux que nous devenions un parti socialiste. Un parti néocommuniste serait à mon avis une erreur. Et se transformer en véritable social-démocratie serait tout aussi erroné. Nous avons une social-démocratie qui a été « dé-social-démocratisée. » Si elle se « re-social-démocratise », elle peut jouer un rôle important. Mais les différences demeurent. Même un SPD re-social-démocratisé ne veut pas autre chose qu’un capitalisme plus social. Moi, mon objectif reste un socialisme démocratique. De plus, même un SPD re-social-démocratisé courrait toujours le danger de glisser à nouveau à droite. C’est pourquoi nous avons besoin d’un correctif de gauche. Ce que nous sommes.

Comment voulez-vous résister à une nouvelle fuite en avant néolibérale telle qu’elle 
se dessine avec le gouvernement Merkel 2  ?

Gregor Gysi. Nous allons bien sûr nous battre. Mais la réponse décisive à cette probable fuite en avant viendra de la société. Le rôle des syndicats, de l’association Attac, de l’église évangélique, de beaucoup d’autres organisations de la société civile sera déterminant. Notre rôle sera de susciter, d’amplifier cette résistance. Si le démontage social se poursuit, s’aggrave, il importe de se mobiliser contre lui de telle manière que le gouvernement n’ose pas s’aventurer sur ce terrain.

Après votre succès lors du dernier scrutin 
du Bundestag, le tabou d’une coalition SPD-Verts-Die Linke vous paraît-il pouvoir être prochainement levé  ?

Gregor Gysi. Cela devient plus envisageable mais c’est encore loin d’être une perspective réelle. Le SPD n’a toujours pas trouvé de réponse à cette question. Les Verts louchent de plus en plus fort en direction de la CDU. Ils ambitionnent de devenir une sorte de FDP bis, qui une fois passe accord avec le SPD, une autre avec la CDU. Les choses peuvent encore évoluer dans la bonne direction. Mais pour l’heure je me garde de tout pronostic.

Sous quelles conditions une telle alliance gouvernementale serait acceptable pour vous  ?

Gregor Gysi. Sans un accord sur un retrait des troupes allemandes d’Afghanistan, ce serait impossible. Même chose si Harz IV n’est pas surmontée, si la réforme du système de santé demeure en l’état. Ou si l’on refuse de programmer un rattrapage des pensions et des salaires de l’Est pour les mettre au même niveau que ceux de l’Ouest. Ou bien encore si la mise en place d’un salaire minimum sur tout le territoire n’est pas programmée. On peut négocier dans un contrat de coalition gouvernementale sur les délais de mise en place de tel ou tel changement mais du point de vue du contenu tout doit être toujours totalement clair. Et si nous n’arrivons pas à nous faire entendre sur les conditions évoquées, il vaut mieux laisser cela. On ne doit pas renoncer à ses principes pour participer à tout prix à une coalition gouvernementale.

Entretien réalisé par Bruno Odent


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