Pakistan : entre impérialisme et fondamentalisme

mardi 10 novembre 2009.
 

« Traitez avec les services de renseignement pakistanais (isi) et avec l’armée pakistanaise et recrutez ces moudjahidines. C’est un argument très intéressant…ce n’était pas un mauvais calcul pour en finir avec l’URSS mais prenons garde à ce que nous semons…parce que c’est nous qui récolterons. » Hillary Clinton, le 23 avril 2009.

Une fois de plus, le Pakistan est devenu le point de mire de l’attention mondiale. Chaque jour, nous sommes informés d’attentats suicides ou d’opérations militaires, avec leur cortège de morts, de blessés ou de populations déplacées. Dernièrement, les écoles ont dû fermer pendant plus d’une semaine. Même les enfants parlent de la mort et des attentats suicides.

Avec plus de 125 points de contrôles policiers, Islamabad est devenue une véritable forteresse. Lahore et d’autres villes subissent le même sort : il y a des barrages de police partout. Après chaque attaque terroriste, les autorités prennent des mesures de haute sécurité et érigent des barrages supplémentaires. L’ironie de l’histoire, c’est que, récemment encore, les autorités et les médias, décrivaient ces terroristes comme des moudjahidines luttant pour le monde islamique.

Sous la forte pression du gouvernement Obama, le gouvernement pakistanais a lancé une série d’opérations dans diverses parties du pays qui ont mené à une vague de morts jamais atteinte jusque là condamnant, en outre, des centaines de milliers de personnes à quitter leurs domiciles pour trouver un abri provisoire. Repoussés hors des frontières de l’Afghanistan après le 11 novembre, des fanatiques religieux de diverses nationalités ont trouvé refuge au Pakistan, avec 2 objectifs en tête : rendre le Pakistan plus islamique, et donner une leçon au gouvernement à cause de ses bonnes relations avec l’impérialisme américain. Mais c’est le peuple qui en paie le prix. Les fanatiques religieux sont les fascistes d’aujourd’hui. Ils croient en l’élimination de leurs opposants politiques. Bien qu’ils puissent passer pour des anti-impérialistes, ils ne représentent pas une force progressiste. En fait, ils sont une force d’extrême droite qui veut remonter le temps.

La religion d’Etat

Le Pakistan s’appelle aussi République islamique pakistanaise .La religion est liée à l’Etat. La constitution et le pouvoir judiciaire sont harcelés par une démagogie islamique. La plupart des programmes éducatifs sont imprégnés d’idéologie islamique, et même les justifications scientifiques essaient, d’une certaine façon, de trouver leurs sources dans la religion. La religion est devenue une façon de vivre. Tous les dons faits aux œuvres charitables finissent dans les coffres des institutions religieuses. La vie sans religion est inimaginable. Bien que la seule raison d’être d’un état pakistanais ait été la nécessité d’un territoire pour les musulmans, il aurait dû être un état séculier pour les musulmans.

Quand l’Etat fut fondé, en1947, la population n’était pas fondamentaliste. Mais, avec le temps, le Pakistan a adopté une idéologie islamique qui offre aujourd’hui aux fanatiques un terrain plus favorable pour réaliser leur rêve d’un pays islamique. A la fin des années 70, avec l’invasion soviétique de l’Afghanistan, Washington décida qu’il était nécessaire de développer une force d’opposition indigène. Pour combattre le « communisme » en Afghanistan, Washington a travaillé en étroite relation avec le dictateur militaire, le général Zia Ul Haq, avec les services secrets pakistanais et avec les services de renseignement internes (ISI).

Il y a des douzaines d’ouvrages qui expliquent la montée des talibans et des moudjahidines sous le contrôle direct des Américains, mais le ISI n’avait aucune raison de renoncer au financement américain après le retrait soviétique en 1987.Si les Américains n’étaient plus intéressés par cette guérilla, le ISI trouvait utile les jihads dans son conflit avec l’Inde à propos du Cachemire. De plus, il y a de nombreux partis politiques religieux au Pakistan. Jamaati islami et jamiat Ulmai islam, les partis politiques sunnites et wahabites sont tous pour une révolution islamique. Ils ont aussi donné leur soutien politique aux fanatiques religieux des talibans et d’al Quaida.

Hillary Clinton a reconnu le rôle joué par les Américains

Même Hillary Clinton, la secrétaire des affaires étrangères, a reconnu la responsabilité de Washington dans la montée du fanatisme religieux. Voici sa déclaration à un sous comité du Congrès américain le 23 avril 2009, dans laquelle elle admet que, effectivement, les Américains sont à l’origine de la situation actuelle désastreuse de l’Afghanistan : c’était le président Reagan, en accord avec le Congrès dirigé par les démocrates qui a dit : « Vous savez que c’est une sacrée bonne idée… Traitez avec les services de renseignement pakistanais (isi) et avec l’armée051109-drapeau-americain pakistanaise et recrutez ces mujahidins. C’est un argument très intéressant…ce n’était pas un mauvais calcul d’en finir avec l’URSS mais prenons garde à ce que nous semons…parce que c’est nous qui récolterons. »

Cependant, ce ne sont pas seulement les Américains qui ont récolté ce qu’ils ont semé. De nombreux gouvernements pakistanais ont été prêts à faire ce que voulaient les Américains par pure avidité financière. Depuis 1978, les divers gouvernements ont tous été de proches alliés des USA .Cela représente 20 années de dictatures militaires sous Zia (1977-1988) et sous le général Musharaf (1999-2008). Ces gouvernements ont rendu possible aux fanatiques religieux l’ouverture d’établissements d’éducation religieuse qui ont modifié la culture religieuse du pays. La tactique des madrasas

Une des principales tactiques utilisées par les fanatiques religieux pour amener le jihad à la jeunesse pakistanaise a051109-madrasa été d’ouvrir des écoles religieuses (madrasas) qui ont proliféré sous la dictature du général Zia Ul Haque. A présent, il y a des écoles religieuses dans tout le Pakistan.

Presque la moitié des 15ooo madrasas enregistrées se trouve dans le Punjab .Des experts estiment même qu’il y en a davantage :quand l’état a tenté d’en établir le nombre en 2005, 1/5e de celles installées en province ont refusé de s’enregistrer.

Les madrasas ont eu beaucoup de succès chez les travailleurs parce qu’elles offraient une éducation gratuite avec un enseignement religieux. En fait, c’est la défaillance de l’état à trouver les ressources nécessaires pour une éducation publique gratuite qui a ouvert la voie au succès des madrasas. Le Pakistan est l’un des pays qui a le plus d’analphabètes au monde. Le gouvernement consacre moins de 3% de son budget à l’éducation. C’est seulement plus ou moins la moitié des Pakistanais qui peuvent lire et écrire, loin derrière des pays qui ont proportionnellement le même revenu par habitant, comme le Vietnam.

Selon l’UNESCO, 1 enfant pakistanais sur 3 en âge scolaire ne peut accéder à l’éducation, et parmi ceux qui le peuvent, un tiers abandonne au niveau du 5e degré. L’accès de l’école pour les filles est l’un des plus bas au monde, derrière l’Ethiopie et le Yémen.

Même si les madrasas ne représentent que 7% des écoles primaires, leur influence est renforcée par les lacunes de l’éducation publique et par l’esprit religieux qui anime les populations des campagnes dans lesquelles vivent les 2/3 de la population. Ces madrasas sont les vrais germes du fondementalisme religieux. Les plus ou moins 15ooo établissements religieux enregistrés dans le pays comptent plus de 1,5 millions d’étudiants et plus de 55ooo enseignants.

Avant 2002, en accord avec le ministère des affaires religieuses, les madrasas enregistrées ne dépassaient pas le nombre de 6000. Après le 11 septembre, les fanatiques religieux qui quittèrent l’Afghanistan arrivèrent au Pakistan et avec l’aide des 2 gouvernements provinciaux des alliances religieuses le MMa, la province de la frontière du nord-ouest et le Baluchistan, furent capables d’augmenter rapidement le nombre de madrasas.

En 2007, il y avait plus de 13ooo établissements enregistrés dans le pays.A cette époque, le général Musharaf était le partenaire de ce qui s’appelait « alliance contre le terrorisme ».Il manipulait à la fois les fanatiques et l’impérialisme.

En mars 2009, le nombre des madrasas était de 15725.

La montée du fanatisme religieux

Le partenariat entre les fanatiques religieux, les Américains et les services de renseignement pakistanais continue sans problème jusqu’au 11septembre.Puis tout le scénario capote. Les moudjahidines sont alors qualifiés de terroristes et l’Amérique veut une solution militaire à la montée du fondamentalisme religieux.

Cette montée n’est pas seulement le résultat des actions des services de renseignement pakistanais et américains, mais c’est aussi à cause de l’échec des gouvernements civils ou militaires qui n’ont pas pu résoudre les problèmes fondamentaux de la classe ouvrière et de ses alliés. Les gouvernements successifs ont été incapables de mettre un terme à l’emprise du féodalisme, à la nature de grand exploiteur des capitalistes pakistanais, au traitement humiliant des ouvriers et des paysans, à la répression des minorités et à l’exploitation des ressources naturelles.

La classe dirigeante a lamentablement échoué à faire valoir des règles démocratiques. C’est pourquoi, aussi longtemps qu’un gouvernement civil est vaincu par une dictature militaire, la grande majorité des masses populaires ne peut résister à une dictature.

Les tribunaux religieux

Face aux fanatiques, l’actuel gouvernement civil du Parti du Peuples du Pakistan est ambigu. Dans la vallée de Swat, il a fait des concessions majeures aux fanatiques en établissant des cours de justice islamiques alors que les forces religieuses avaient subi une défaite électorale lors des élections générales de 2008 passant de plus de 15% six ans plus tôt à moins de 3%.

Mais, alors que les masses ont rejeté les forces religieuses, le régime actuel a opté pour une négociation avec elles au lieu de déclencher une mobilisation de masse pour en finir avec le fanatisme religieux. Cela a encouragé les fanatiques à aller plus loin : ils ont exigé l’instauration de la Charia dans la province de Malakaland, ce qui a été accepté et paraphé sous forme d’accord.

Cela a représenté une incitation pour les fondamentalistes religieux à s’attaquer à d’autres provinces et a fait croire qu’ils n’étaient désormais plus très loin d’Islamabad.

Pris de panique, le régime, avec l’appui total des Américains s’est lancé dans une vaste opération militaire en juin de cette année dans la région de Malakaland dont le résultat est de plus de 5000 tués et de plus de trois millions et demi de déplacés. Le gouvernement actuel revendique la victoire militaire et demande aux déplacés de rentrer chez eux. Sauf que, plus d’une victoire militaire, il s’agit d’une retraite stratégique des fanatiques qui, à l’image des Talibans afghans en 2001, ont ainsi sauvé leur infrastructure militaire de manière à pouvoir refaire surface plus tard.

Et, en octobre, un mois à peine après la célébration de cette « victoire militaire », les fanatiques s’attaquaient en effet au grand quartier général militaire ainsi qu’à une série de centres de formation de la police dans différentes zones du pays. Ce mois d’octobre a été particulièrement sanglant avec beaucoup de victimes des deux côtés.

Prétendant que c’était la seule option possible, beaucoup de progressistes ont soutenu les actions militaires contre les fanatiques religieux. Mais aucune solution militaire ne peut éliminer les fondamentalistes religieux. C’a été le cas en Afghanistan et il en sera ainsi au Pakistan. L’option militaire ne peut que les pousser à agir ailleurs. Les fondamentalistes religieux ont employé la tactique du terrorisme urbain. On ne peut pas éliminer un terrorisme urbain en envahissant des régions considérées comme étant sous leur contrôle.

Les actions militaires dans la région de Malakand et maintenant dans le Wazirestan ont poussé les fanatiques vers d’autres régions du Pakistan.

L’échec des stratégies à court et long-terme

La solution militaire a été présentée comme une étape vers l’éradication finale du fondamentalisme. Elle fait écho à la vieille philosophie stalinienne consistant à séparer les revendications immédiates de l’objectif final pour se contenter de l’immédiatement réalisable.

Dans certains cercles pourtant, on reconnaît que l’action militaire doit être suivie de réformes profondes et de mesures de développement. Sauf que cela n’est souvent que déclamations pour plaire à l’impérialisme américain.

Mais, il n’y a pas de séparation entre le court et le long terme. Si on veut combattre les fanatiques religieux, il faut séparer la religion et l’état. La question de la nature de l’Etat pakistanais doit être posée car la religion ne peut pas être la base d’une nation.

Deux conceptions de l’Etat pakistanais se sont affrontées durant les années soixante et septante et se sont soldées par la naissance d’un nouvel Etat, le Bangladesh. C’est sur des lignes de fracture similaires qu’une crise majeure éclate aujourd’hui au Baloutchistan où un mouvement indépendantiste prend de l’ampleur.

Un programme complet

Il faut un programme concret pour combattre le fondamentalisme religieux. Il doit combiner la lutte contre les attaques suicides et la limitation des activités des forces fascistes dans leurs bastions avec un plan d’action global dans les domaines économique, politique et social. Ceci devrait inclure la nationalisation des madrasas et le recyclage des professeurs. Il devrait inclure une augmentation immédiate des salaires des ouvriers du privé et du secteur public d’au moins à 12.000 roupies par mois [un peu moins de 98 euros - ndt].

Toutes les lois discriminatoires doivent disparaître et tous les citoyens du Pakistan doivent bénéficier d’un statut d’égalité alors que de nombreuses lois actuelles réduisent les membres des minorités religieuses au statut de citoyens de seconde catégorie.

Le gouvernement devrait s’investir massivement dans la lutte contre le fondamentalisme en assurant son soutien, en particulier dans les bastions des religieux, aux structures de la société civile pour qu’elles puissent fonctionner. Il faut que tous les droits syndicaux soient rétablis, dans le secteur public comme dans le privé, avec pleine liberté d’expression et de rassemblement.

Le gouvernement civil actuel cherche des solutions militaires, mais la plupart des lois discriminatoires restent en vigueur, y compris celles contre le blasphème. Le gouvernement n’a aucun plan pour éliminer ces lois discriminatoires promulguées sous les dictatures militaires. C’est aux organisations de la société civile d’exiger que le gouvernement abolisse les lois discriminatoires et rétablisse les droits.

Les fondamentalistes religieux s’organisent sur une base internationale. C’est aussi sur ce plan qu’il faut organiser le combat contre elles.

La guerre américaine contre le terrorisme alimente le fondamentalisme. Elle est comprise comme une guerre contre les musulmans. L’occupation impérialiste de l’Irak et de l’Afghanistan apporte de l‘eau au moulin des fanatiques : elle sert de justification à leurs actions terroristes.

Il faut mettre un terme à l’occupation

La campagne pour la fin de l’occupation de l’Irak et de l’Afghanistan et le refus du fanatisme doivent être la base d’une action internationale des forces progressistes.

La campagne contre le fondamentalisme religieux doit être partie prenante du combat altermondialiste car il faut refuser aussi bien l’occupation que le fondamentalisme religieux. On ne peut pas soutenir l’un contre l’autre.

Le combat entre fondamentalistes et impérialistes est un combat entre taureaux. Les peuples n’ont rien à y gagner si ce n’est d’en être écrasé. Il faut ouvrir un autre espace de lutte, des chemins alternatifs. TARIQ Farooq

* Paru en traduction française dans Gauche anticapitaliste. Traduit de l’anglais par Christine Bürer :

http://www.gauche-anticapitaliste.c...

* Farooq Tariq est porte parole du Labour Party Pakistan (LPP).


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