Interview de Bernard Thibault dans Le Monde : candidature d’opposition, mots de Xavier Mathieu, évolution de la CGT, adhérents, suicides

jeudi 12 novembre 2009.
 

A un mois de l’ouverture du 49e congrès de la CGT, le 7 décembre à Nantes, Bernard Thibault expose les grandes lignes de sa stratégie. Candidat à sa propre succession au poste de secrétaire général, il doit faire face, en pleine crise économique, à une CGT qui doute. Certes, la confédération n’est pas menacée par la réforme de la représentativité qui est en train de rebattre les cartes au sein du monde syndical. Mais l’évolution "réformiste" de la CGT, sa stratégie unitaire qui a permis un rapprochement avec la CFDT, la stagnation des effectifs à 650 000 adhérents vont alimenter les débats à Nantes. Certain d’être réélu pour un quatrième mandat, M. Thibault va devoir construire une nouvelle direction, après les départs de ses "numéros deux", Maryse Dumas et Jean-Christophe Le Duigou, qui veulent laisser place à la relève.

Un candidat d’opposition - Jean-Paul Delannoy, métallurgiste du Nord - va se présenter contre le secrétaire général sortant. N’est-ce pas le signe que le mécontentement grandit ?

C’est une candidature individuelle, elle n’a pas été présentée suivant les règles statutaires, elle ne sera donc pas prise en compte. Jean-Paul Delannoy veut incarner une autre orientation pour la CGT. Ce débat sera réglé au congrès. Contrairement à lui, je suis persuadé que les salariés n’ont aucun doute sur la CGT, sa démarche, ses analyses et ses revendications. Sinon, on ne comprendrait pas pourquoi nous avons été les seuls à progresser aux dernières élections prud’homales (décembre 2008).

Les mots durs à votre égard du leader CGT de Continental, Xavier Mathieu, cet été, ont montré qu’il existait des impatiences, des doutes ...

Si les travailleurs doutaient de la CGT, il n’y aurait pas ce niveau d’attentes et d’exigences à notre égard. Il n’y a pas de divergence d’appréciation entre nous sur les impasses que génère le capitalisme. La question n’est pas de savoir si la CGT est ou n’est pas anticapitaliste : la CGT "combat l’exploitation capitaliste ". C’est dans l’article 1 de nos statuts et ils n’ont pas changé. Ce que veulent les salariés, c’est un syndicat utile pour améliorer leur sort ici et maintenant. Un syndicat composé d’une avant-garde éclairée serait marginalisé par la grande majorité des salariés et donc inefficace.

On vous reproche d’avoir transformé la CGT en un syndicat réformiste. Revendiquez-vous cette évolution ?

La puissance de la CGT doit être mise à profit pour accrocher des avancées sociales, même partielles. C’est cela que les salariés attendent de nous. A la création de la CGT, l’objectif était bien de modifier le rapport de forces entre salariés et employeurs, en forçant à la négociation. Parmi les critiques, nous entendons que la négociation avec le chef de l’Etat et le gouvernement serait par principe impossible. Cela signifie-t-il qu’il faut attendre un changement politique ou de société pour que les négociations soient envisageables ?

Notre objectif est d’être utile en toutes circonstances, sans ignorer que le contexte politique influe évidemment sur la possibilité d’être entendu. Parmi ceux qui critiquent les orientations actuelles de la CGT, certains sont en fait en mal de perspectives politiques et demandent au syndicat de combler ce manque. Quant au réformisme, c’est un débat philosophique vieux comme le syndicalisme. Classer les syndicats, les militants de la CGT est d’abord source de division. Ceux qui font signer une pétition ou qui occupent une entreprise ne se posent pas la question de savoir s’ils sont réformistes ou révolutionnaire : ils travaillent à la mobilisation.

Le "compromis" n’est plus un gros mot à la CGT ?

Compromis ne veut pas dire compromission. Il reflète un rapport de forces à un moment donné. Tout syndicaliste doit être à même d’apprécier, à l’issue d’une négociation, si le résultat améliore ou non la situation des salariés. Xavier Mathieu a signé un compromis dans son entreprise.

Certains de vos opposants craignent que la CGT ne devienne une CFDT bis...

Où serait l’intérêt pour la CGT à copier les méthodes, les objectifs de la CFDT qui, elle, a reculé aux élections prud’homales ? Je remarque aussi qu’un discours très vindicatif, comme celui de Force ouvrière, lorsqu’il n’est pas conforme aux actes, fait perdre en influence. La différence principale avec la CFDT tient au degré de critiques à l’encontre du système capitaliste. La CFDT, au fil des ans, a remisé au second plan son ambition de transformation de la société .Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des choses à faire ensemble comme avec l’ensemble des syndicats.

Vous aviez critiqué le NPA et Olivier Besancenot pour leur ingérence dans le débat sur la stratégie syndicale. D’autres partis, comme le PCF, se permettent aussi des commentaires. Comment réagissez-vous ?

Que des responsables politiques s’intéressent à la stratégie des syndicats, pourquoi pas. La CGT est un objet public qui fait partie de l’identité nationale. Peut-être parce que c’est elle qui donne le la au syndicalisme français. Autre chose est que des partis prétendent dicter ce qui doit être notre ligne de conduite syndicale. Depuis que l’on a eu une rencontre avec le NPA, il y a moins de déclarations de sa part sur ce sujet. Le PCF respecte l’indépendance syndicale dans le dialogue nécessaire entre syndicats et partis politiques.

Avec un peu plus de 650 000 adhérents, vous êtes loin du million, objectif fixé voici deux congrès. N’est-ce pas un échec ?

C’est un échec. On atteindra peut-être les 45 000 adhésions pour cette année lors du congrès. Mais ce rythme n’est pas à la hauteur de nos ambitions. Pour améliorer leurs conditions, les salariés doivent être organisés, il n’y a pas d’alternative. La question des libertés syndicales reste récurrente : le patronat ne veut pas que le syndicalisme se développe dans les entreprises. La CGT a aussi une responsabilité. Nous sommes implantés dans les secteurs où l’emploi recule et absents des secteurs où l’emploi se développe. J’espère que ce constat occupera une place centrale au congrès pour faire évoluer nos structures.

Les suicides sur le lieu de travail se sont multipliés. N’est-ce pas un constat d’échec pour le syndicalisme ?

On ne peut pas tout mettre sur le dos du syndicalisme. La longue dégradation des conditions au travail est d’abord la conséquence d’une course à la productivité et d’une dévalorisation du travail et des travailleurs. Mais il faut probablement mieux articuler revendications collectives et prise en charge des situations individuelles.

Pourquoi refusez vous de participer au débat sur l’emprunt ?

On va faire payer aux contribuables le fait que les entreprises ont accumulé un retard d’investissement parce qu’elles ont privilégié leurs actionnaires . Il faut savoir ne pas perdre son temps . En plus, Nicolas Sarkozy a déjà tout décidé.

Propos recueillis par Rémi Barroux


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